C’est une année record pour la marche trans. Plusieurs milliers de personnes ont défilé samedi pour mettre fin à la transphobie des institutions et des médias. Un moment historique qui pave la voie à ce qui pourrait bien être une nouvelle phase de mobilisation pour le mouvement de libération.
Je n’avais pas l’énergie pour une manifestation, pour être honnête. Le bruit, la chaleur, la foule : autant de raisons de rester chez moi.
Mais il faut ce qu’il faut, apparemment. J’ai donc réuni ce que j’avais de force pour traîner ma carcasse dépressive chronique à la Marche trans qui se déroulait ce samedi. Nous sommes une petite communauté et chaque personne dans la rue compte, dans ce genre d’occasion. Et puis Celeste Trianon a mis tellement d’efforts dans les deux dernières années pour s’assurer de sa pérennité, je me serais sentie un peu mal de ne pas honorer son travail.
Le point de départ de la marche s’était déplacé au centre-ville cette année. Un choix audacieux qui nous a valu les regards obliques des passant·es, alors que nous nous amassions progressivement au pied du fantôme d’une statue décapitée.
Une nouvelle phase
On s’est donc mis·es en marche à la suite des personnes handicapées qui donnaient le rythme, et des personnes bispirituelles et indigiqueers qui formaient le contingent de tête. À leur suite, un immense drapeau trans – le plus gros jamais déployé à Montréal selon les organisateur·ices – et une foule bigarrée de gars qui montrent leurs cicatrices, de filles en jupes courtes et de enbies avec les cheveux verts.
L’ambiance était plus calme que l’an dernier. La colère du projet de loi 2 semble s’être apaisée pour laisser place à l’inquiétude. Les gens ne crient pas simplement leur colère, illes se parlent entre elleux et cherchent des solutions devant la montée de la haine.
Nous entrons visiblement dans une nouvelle phase pour le mouvement de libération trans local.
Les forces sont de mieux en mieux organisées et nous ne sommes plus en posture défensive comme nous l’étions lors du dépôt du projet de loi qui nous attaquait, en octobre 2021. Nous avons remporté une grande victoire contre la CAQ l’an dernier, et depuis les collectifs et les mobilisations se sont multipliées, jusqu’à battre en brèche des manifestations fascistes.
J’ai vu ce qui est très certainement le plus grand attroupement de personnes trans qu’il m’ait été donné de voir.
Mais c’est seulement quand nous avons atteint la Place des Arts que j’ai pu comprendre le niveau d’engagement de cette communauté et ses allié·es.
Je marchais au rythme de la foule, à ce que je croyais être le milieu du cortège, quand j’ai entendu des « oh » et des « ah » excités derrière moi. Quand je me suis retournée, j’ai vu ce qui est très certainement le plus grand attroupement de personnes trans qu’il m’ait été donné de voir. Cette portion de Sainte-Catherine est toujours noire de monde en été, mais là ce n’étaient pas des touristes déshydraté·es à la recherche d’un food truck, mais plusieurs milliers de camarades qui battaient le pavé (entre 4000 et 5000, selon les estimations). Ça m’a fait de quoi.
Ce n’est peut-être pas évident pour les plus jeunes qui ont joint la communauté dans les quelques dernières années, mais une mobilisation de cette ampleur relève du tour de force. Il n’y a pas dix ans, les personnes trans frôlaient encore les murs et tentaient de se faire oublier. L’idée d’envahir l’espace public pour y revendiquer un coin pour soi était le fait d’une minorité marginale, justement celle qui est à l’origine de cette marche annuelle.
Plus qu’une parade
On va se le dire, une marche seule ne change pas grand-chose. Deux ou trois non plus, d’ailleurs. Mais il y a dans ces rassemblements un partage d’intention qui les distingue profondément de la parade annuelle de la Fierté.
Pour moi, cette édition de la Marche trans, c’est le début de quelque chose.
Je ne suis pas contre un peu de musique et d’ambiance, c’est sûr, mais donner notre fierté en spectacle à des badauds est une approche surprenante de la lutte. Il peut y avoir plusieurs dizaines de milliers de personnes, voire plus de 100 000, pour voir des politiciens défiler sous le logo du dixième plus gros investisseur mondial en énergies fossiles, mais on sait très bien que tout ce beau monde va simplement rentrer chez soi avec le sentiment d’être de bonnes personnes.
Or, nous sommes sous attaque, par les personnes mêmes qui défilent. Et on traite la présence de policier·es dans le cortège comme si c’était un enjeu de relations publiques symbolique, alors que c’est notre sécurité qui est en jeu. Dans ce contexte, le nombre de personnes présentes pour applaudir nos persécuteurs ne veut strictement rien dire. C’est un spectacle, sans plus.
Mais 5000 personnes trans et leurs allié·es qui prennent la rue dans le contexte actuel, c’est autant de personnes qui prennent position et s’engagent physiquement dans la lutte.
Pour moi, cette édition de la Marche trans, c’est le début de quelque chose.
Mais de quoi?
On passe à l’offensive
Chaque année, la marche se déroule sous un ensemble de revendications spécifiques. Cette fois, on demandait la décriminalisation du travail du sexe et la régularisation du statut des migrant·es trans criminalisé·es, la gratuité des soins d’affirmation de genre, l’émission de cartes d’identité qui correspondent aux documents de l’état civil et un engagement de la classe politique contre la campagne de haine dont nous sommes présentement l’objet.
Des revendications importantes – mais aussi un peu déprimantes, parce qu’elles répètent en grande partie celle de l’an dernier, et de l’autre avant, et de l’autre…
C’est qu’il manque encore quelque chose à notre mouvement et c’est tout simplement une campagne structurée qui vise des objectifs précis.
Le pouvoir n’est pas une force abstraite qui nous dépasse, mais un ensemble de personnes en chair et en os qui nous privent activement de notre dignité.
Par exemple, on peut bien demander la gratuité des soins, mais de quoi s’agit-il en réalité? Ajouter les timbres et les injections hormonales aux modes d’administration couverts par la RAMQ se règlerait par un simple décret ministériel. Ce n’est pas un enjeu désincarné, il n’y a littéralement qu’une seule personne dans la province qui puisse régler le problème et on sait où elle travaille.
Le pouvoir n’est pas une force abstraite qui nous dépasse, mais un ensemble de personnes en chair et en os qui nous privent activement de notre dignité. Ces gens doivent être tenu·es responsables individuellement et nous avons la capacité de les faire plier si nous agissons avec intelligence.
Je sais, pour avoir marché aux côtés de ces milliers de personnes, que je ne suis pas la seule à vouloir toutes ces choses. Il est grand temps de s’asseoir ensemble et de formuler un véritable plan d’action.
En anglais on dit « demonstration » pour une manifestation. Nous avons fait la démonstration que nous sommes uni·es derrière des objectifs politiques clairs, mais ne laissons pas ces intentions s’évanouir jusqu’à l’an prochain. Profitons plutôt de l’année qui vient pour nous organiser, décortiquer le pouvoir pour en comprendre les points de tension et agir avec précision et efficacité.
En attendant, il est encore temps pour la fierté et les déclarations d’intention. C’est la RadPride ce samedi, ça pourrait être l’occasion de rencontrer d’autres personnes radicales pour organiser la suite des choses.