
Article de l'Initiative de journalisme local
Pour les jeunes, militer, ça va de soi
De jeunes militant·es font le point sur leurs espoirs, leurs craintes et leurs stratégies de persévérance.
Pivot est allé à la rencontre de cinq jeunes qui, en plus d’étudier et de travailler, trouvent le temps de militer. Elles et il nous parlent de ce qui anime leurs engagements, ce qui les effraie et ce qui leur permet de garder espoir.
« Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre? » C’est la question que lance Ashley Torres Olachea, activiste pour la justice climatique, lorsqu’on lui demande ce qui motive son implication militante.
La jeune femme dans la vingtaine, qui est également mère et étudiante, œuvre auprès du Collectif du Rat musqué. L’organisme vise à inclure davantage de représentant·es racisé·es et autochtones dans les espaces de prise de décision sur le climat et l’environnement, notamment lors de la COP15.
« Je ne me sens pas à l’aise de ne rien faire », résume-t-elle, tout simplement.
Ce sentiment d’un devoir d’agir est partagé par plusieurs jeunes militant·es pour qui l’inaction n’est pas une option. La liste des menaces – environnementales, mais aussi sociales et économiques – qui guettent les générations futures est longue et ce sont les jeunes qui devront composer avec le legs des politiques actuelles.
C’est pour ça qu’en plus d’étudier, de travailler et de remplir leurs engagements personnels et familiaux, ils et elles militent et se taillent une place dans l’espace public.
Certains, comme Atreyu Lewis, sont tombés dedans quand ils étaient petits. Iel se souvient bien de sa toute première manifestation à Toronto pour dénoncer les politiques du défunt maire Rob Ford. Iel n’avait alors que dix ans. Aujourd’hui, bien installé à Montréal, le jeune ojibwé se consacre à défendre les droits des Premiers Peuples ainsi que la justice climatique.
« Je ne me sens pas à l’aise de ne rien faire. »
Ashley Torres Olachea
Pour d’autres, comme Ashley Torres Olachea, le militantisme est apparu plus récemment. Arrivée au Québec à partir de la Colombie en tant que réfugiée, elle a commencé à s’impliquer en 2019, à l’âge de 22 ans, dans la mobilisation contre les changements climatiques qui prenaient de l’ampleur à Montréal.
Pour Kenza Chahidi, c’est quand elle a fait son entrée au cégep que tout a commencé. C’est là qu’elle s’est aperçue qu’elle avait désormais accès à des mécanismes de prévention et de lutte contre les violences sexuelles qui sont absents dans les écoles primaires et secondaires.
La jeune femme de 20 ans a dès lors commencé à s’impliquer auprès du collectif La Voix des jeunes compte, qui depuis cinq ans clame haut et fort ce qui est pourtant évident : chaque enfant devrait pouvoir étudier dans un milieu sécuritaire.
Cinq ans, c’est long, amplement de temps pour faire adopter une loi-cadre qui forcerait les directions scolaires à se doter de mécanismes pour prévenir et lutter contre les violences sexuelles dans les écoles, pense Kenza Chahidi. « On ne peut pas continuellement traiter ce problème une fois que l’acte est déjà commis, attendre qu’il y ait de nouvelles victimes chaque semaine », lance-t-elle.
La semaine dernière, elle était présente aux côtés de la députée de Québec solidaire, Ruba Ghazal, qui a déposé un projet de loi à cet effet.
« On n’a pas souvent la chance, nous les jeunes, de faire entendre nos voix », souligne Dahlia Weladji, qui fait également partie du collectif depuis bientôt deux ans.
« Quand j’ai entendu parler de La Voix des jeunes compte et qu’on nous a proposé de nous impliquer, pour moi c’était vraiment important. C’est ma chance de faire le changement dans la société dans laquelle je vis et dans laquelle je vais grandir et vieillir. »
Le temps presse
Pour plusieurs, il y a urgence d’agir parce que la planète se réchauffe, les droits et libertés sont en péril, le fossé des inégalités se creuse pendant que les discriminations de tous genres persistent.
« Il y a tellement un besoin fort et un manque [de soutien] dans la communauté [LGBTQ+] en ce moment », indique l’activiste trans Celeste Trianon en parlant de ce qui motive son implication militante. « On a besoin que tout le monde contribue à sa façon. »
À 19 ans, elle tient déjà sa propre clinique juridique pro bono qui permet aux personnes trans et non-binaires de changer leur nom ou la mention de sexe dans leurs documents légaux. Selon elle, plus de 500 personnes ont déjà bénéficié de ce service.

Parallèlement, elle s’inquiète de la montée des mouvements anti-trans, notamment aux États-Unis, mais également au Québec. En mars dernier, la jeune femme était devenue la cible de propos haineux sur Twitter, après avoir participé à une manifestation visant à dénoncer une conférence anti-trans à l’Université McGill.
« Honnêtement, je préférerais pouvoir lutter pour répondre à des besoins, pour créer des avancées, et non pour combattre des tentatives de recul », rapporte la jeune femme.
La situation est d’autant plus critique, selon elle, que les organismes communautaires qui œuvrent auprès de la communauté LGBTQ+ sont déjà sous-financés et surchargés.
Entre espoir et résilience
La génération Z, dont font partie Celeste, Kenza et Dahlia, est souvent qualifiée de pessimiste – mais est-ce vraiment ainsi qu’ils et elles se perçoivent : cyniques et peu enthousiastes quant à leurs futurs?
Pas du tout, et bien au contraire, pense Dahlia Weladji. « On est conscientes du fait qu’on peut faire le changement, que nos efforts vont porter fruit », explique-t-elle.
« Mes parents sont plus du genre à se dire “dans mon temps, c’était pire, alors je ne vais pas me plaindre”. Nous on se dit : au contraire, si c’était pire avant, nous, on veut améliorer les choses encore plus. »
« C’est pour ça que les jeunes vont changer le monde : parce qu’au lieu de se dire que ça ne donnera rien, on est ouvertes et optimistes face au futur qu’on pourrait amener. »
Cet enthousiasme est partagé par Ashley Torres Olachea, qui a longtemps milité au sein de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) avant de rejoindre le Collectif du Rat musqué.
« Moi, j’ai commencé à militer quand Legault n’avait même pas de plan pour l’environnement », note Ashley Torres en pensant aux avancées obtenues au cours des dernières années.
« Je vois déjà des gains. On voit des petits changements, qui ne sont pas assez rapides et qui ne vont pas nécessairement sauver la planète pour l’instant », remarque-t-elle. « Mais moi, ces changements-là, je les prends. Je me concentre sur ça et ça me donne de l’espoir. »
« C’est sûr qu’on a des hauts et des bas, et c’est décourageant quand on doit se battre constamment, alors qu’il y a déjà tellement de recherches et de solutions que le gouvernement ne prend pas », admet-elle.
« Il faut faire attention, on ne peut pas se surcharger », prévient quant à elle Celeste Trianon, en soulignant qu’en militant, les jeunes se rendent souvent vulnérables aux critiques, à la haine. La jeune activiste trans a elle-même été la proie de PDF Québec, une organisation s’affichant comme féministe qui s’oppose aux droits des personnes trans et qui reçoit l’appui financier du gouvernement provincial.
« Honnêtement, je préférerais pouvoir lutter pour répondre à des besoins, pour créer des avancées, et non pour combattre des tentatives de recul. »
Celeste Trianon
« J’essaie de me déconnecter, j’essaie de faire comme si ça n’existait pas, parce que sinon, ça devient trop personnel pour moi », confie-t-elle. « Mais on doit en faire plus pour protéger les jeunes. »
« C’est pourquoi, moi, j’ai dû ralentir, mais pour plusieurs autres, ils ont carrément eu besoin d’arrêter à cause du burn out. C’est tellement un phénomène commun et j’aimerais bien qu’on en parle et qu’on prenne une approche proactive pour prévenir ça. »
Miser sur la communauté
« C’est facile de s’oublier lorsqu’on fait ce genre de travail », explique Celeste Trianon. Mais le soutien qu’elle obtient auprès de la communauté lui permet de continuer à militer. « Juste de voir le monde qui me remercie, qui m’encourage, d’avoir un soutien continu, c’est vraiment juste ça qui me permet de faire autant. »
Atreyu Lewis comprend bien l’importance d’une communauté soudée pour appuyer les jeunes qui militent ou qui sont marginalisés. La jeune personne trans est aussi fondateur de l’organisme Rising from our roots, qui crée des espaces de rassemblement et de soutien pour les artistes racisé·es et LGBTQ+.
« C’est drôle, parce que je ne me considère pas vraiment comme un activiste », explique Atreyu Lewis, qui préfère de loin le terme d’organisateur communautaire. « Techniquement, oui, je fais de l’activisme et de la défense des droits, mais mon truc, c’est vraiment de distribuer des ressources et fournir des espaces pour que les gens puissent se mobiliser, obtenir des fonds et soutenir la communauté. »
Avant de déménager à Montréal pour ses études universitaires, iel a grandi à Toronto où iel a étudié au sein d’une école autochtone. Iel y a appris l’ojibwé, plutôt que le français, et les traditions et la culture de sa nation. « Ça a été vraiment important pour moi, ça m’a permis de comprendre ce qu’est qu’une communauté et une lutte collective », explique-t-iel.
« Je pense que ce qui me motive, en tant qu’étudiant à McGill aujourd’hui, c’est de retrouver une communauté », dit-iel. « C’est tellement important de travailler sur le terrain, auprès de la communauté. »
« Je pense que c’est notre futur. »