Levée de boucliers contre le projet de loi transphobe du ministre Jolin-Barrette

La mobilisation s’organise pour contrer l’entrée en vigueur des mesures transphobes et rétrogrades du projet de loi 2.

La réforme du droit de la famille présentée jeudi par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette obligerait les personnes souhaitant changer la mention de leur sexe sur leur acte de naissance à subir une chirurgie génitale. Les groupes LGBTQ+ exigent que ces dispositions discriminatoires soient modifiées.

La mesure proposée par la CAQ représenterait un recul net : la loi actuelle exclut clairement une telle exigence depuis 2013. En effet, le Code civil spécifie que la modification de la mention de sexe et du prénom « ne peuvent en aucun cas être subordonnées à l’exigence que la personne ait subi quelque traitement médical ou intervention chirurgicale que ce soit ».

« Les personnes trans et non binaires ont travaillé tellement d’années pour être reçues dans la société, et là, ce projet de loi fait carrément le contraire », dénonce Ariane Marchand-Labelle, porte-parole du Conseil québécois LGBT (CQ-LGBT).

« Les personnes trans sont perpétuellement ramenées uniquement à ce qu’il y a dans leurs culottes. C’est très stigmatisant. »

Ariane Marchand-Labelle, porte-parole du CQ-LGBT

La réforme de la loi cible aussi les personnes intersexes, soit celles qui naissent avec des caractéristiques sexuelles biologiques ne correspondant pas aux définitions traditionnelles des sexes masculin et féminin. Ces personnes se verraient attribuer une mention de sexe « indéterminé » et devraient aussi subir des traitements chirurgicaux pour modifier cette mention.

Or, bien des personnes trans ou intersexes « ne veulent pas subir d’opération génitale, pour une foule de raisons qui les concernent », explique Ariane Marchand-Labelle. Il peut s’agir d’un choix personnel ou même d’une question de santé rendant impossible l’opération. De plus, les chirurgies de réassignation sexuelle rendent stériles celles et ceux qui les subissent, alors que plusieurs personnes trans ou intersexes souhaitent avoir des enfants.

Sortie du placard forcée

Le projet de loi 2 prévoit aussi l’ajout, sur demande, d’une mention d’identité de genre en plus de celle concernant le sexe. C’est-à-dire que les personnes non éligibles à un changement de mention de sexe devraient plutôt faire ajouter à leur certificat de naissance une indication concernant leur genre. Celui-ci pourrait être masculin, féminin, ou non binaire.

Le gouvernement n’a pas encore précisé la manière dont les mentions de sexe et de genre, lorsqu’elles diffèrent, seraient affichées sur les documents officiels comme la carte d’assurance maladie ou le permis de conduire.

Selon le CQ-LGBT, l’ajout sur demande d’une mention de genre ne résout pas le problème, au contraire, puisqu’il crée « une catégorie à part » pour certains groupes de gens. « On s’entend que les seules personnes qui le demanderont seront les personnes trans et non binaires » et qu’elles seront donc clairement identifiables sur leurs documents officiels, explique la porte-parole du Conseil. Elle craint que cela ne conduise à des discriminations lors d’une recherche d’emploi ou de logement, voire à du harcèlement ou à des violences.

« C’est un outing forcé et ça ouvre la porte à plusieurs formes de discrimination. »

Ariane Marchand-Labelle

Plutôt que d’introduire une mention de genre, plusieurs groupes de défense des droits LGBTQ+, comme le Centre de lutte contre l’oppression des genres (CLG), proposent simplement d’abolir l’obligation d’inscrire le sexe sur le certificat de naissance. Cela doit permettre d’éviter les difficultés légales rencontrées par les personnes trans et non binaires.

De nombreuses critiques

Le CLG dénonce « dans les termes les plus forts […] la réintroduction proposée des marqueurs de sexe basés sur les organes génitaux », insistant que la mesure représenterait une forme de « ségrégation ».

« Si adopté, le projet de loi québécois aura le triste honneur d’être la loi la plus transphobe de l’histoire canadienne » a écrit sur Twitter Florence Ashley Paré, juriste se spécialisant dans les enjeux trans. « C’est une violation des droits humains. »

Une lettre ouverte signée par des dizaines de personnalités trans et non binaires et publiée par Elle Québec dénonce la « maladresse dangereuse » du gouvernement. « Nous demandons que notre communauté soit consultée pour toute future législation ayant un impact direct sur nos vies. Nous demandons que nos droits fondamentaux soient respectés », écrivent les signataires.

À l’Assemblée nationale, les trois partis d’opposition ont déjà fait connaître leur opposition à tout recul des droits des personnes trans.

Un projet de loi « déconnecté » à modifier

La réforme de la CAQ fait suite à un jugement rendu par le juge Gregory Moore de la Cour supérieure du Québec en janvier dernier. Celui-ci invalide plusieurs dispositions du Code civil parce qu’elles sont discriminatoires envers les personnes trans et non binaires. Le gouvernement a jusqu’au 31 décembre 2021 pour apporter les modifications nécessaires : le projet de loi 2 est une réponse à cette obligation.

Après le jugement Moore, le CQ-LGBT et d’autres organismes avaient fait parvenir une lettre au ministre Jolin-Barrette pour l’inviter à renouer les liens avec les groupes LGBTQ+. Puis, en avril 2021, le ministre avait sollicité des avis de ces groupes en vue de la mise à jour du Code civil. Plusieurs avis ont été envoyés.

Mais le CQ-LGBT est resté sans nouvelles du gouvernement jusqu’au dépôt du projet de loi 2, jeudi dernier. « Je ne comprends absolument pas comment une telle décision a pu être prise », déplore Ariane Marchand-Labelle. « Je suis convaincue que ça ne reflète en aucun cas ce que [les groupes] ont demandé. Pour moi, ça dénote surtout une déconnexion d’avec les communautés, un manque de connaissance. »

Le Conseil demande au gouvernement de s’asseoir avec les groupes de personnes trans et « d’écouter réellement l’expertise des personnes concernées » pour revoir les dispositions problématiques du projet de loi 2.

« De toute évidence, le ministre Jolin-Barrette n’est pas capable de prendre ces décisions-là tout seul! »

Ariane Marchand-Labelle

La réforme du droit de la famille doit normalement être adoptée par l’Assemblée nationale d’ici la fin de la session parlementaire, en décembre, afin de répondre aux exigences du jugement Moore. D’ici là, le projet de loi 2 pourra être modifié en commission parlementaire, ou alors par le ministre Jolin-Barrette lui-même. Le CQ-LGBT invite les Québécois.es à contacter directement leurs élus, et particulièrement le ministre de la Justice et les membres de la Commission des institutions, pour leur faire part de leurs préoccupations.

D’autres initiatives de mobilisation sont en cours. L’organisme Aide aux trans du Québec prévoit un événement le 30 octobre pour préparer une prise de position à déposer en commission parlementaire. À Montréal, une rencontre d’urgence réunissait dimanche soir plusieurs personnes actives dans les milieux LGBTQ+ : des actions publiques sont prévues pour appeler le gouvernement à modifier son projet de loi.

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