Celeste Trianon | Photo : Léa Beaulieu-Kratchanov
Reportage
et

Droits des personnes trans : « on est dans une situation critique »

Alors que les rassemblements anti-trans se multiplient au pays, des défenseur·es des droits trans demandent plus de protection.

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Les récents rassemblements anti-LGBTQ+ qui ciblent les activités animées par des drag queens inquiètent les activistes trans : cela serait le signe d’une menace grandissante pour les droits des personnes trans et il y aurait un besoin criant de mieux protéger celles et ceux qui les défendent.

Celeste Trianon est fatiguée. Assise sur un banc de parc, elle fait défiler des photos de manifestant·es anti-LGBTQ+ qui se sont rassemblé·es cette fin de semaine devant la bibliothèque municipale de Sainte-Catherine, où devait se tenir une activité de lecture pour enfants animée par une drag queen.

On voit des gens tenir des affiches aux propos haineux. Quelques personnes semblent chanter ou crier, certaines finissent pas être interpellées par les policiers.

Malgré le danger, la jeune femme trans et étudiante en droit à l’Université de Montréal était sur place.

À l’âge de 19 ans, elle est déjà une référence en matière de défense des droits des personnes trans dans le milieu communautaire. Elle tient aussi depuis près d’un an une clinique juridique permettant aux personnes trans et non-binaires de changer légalement de nom et de mention de genre.

Mais si Celeste est à bout de souffle, ce n’est pas seulement parce que les besoins de la communauté se multiplient. C’est aussi parce que son travail d’activiste l’amène à se battre en amont contre un mouvement anti-trans qui prend de l’ampleur.

« On a [un travail] additionnel de lutte contre la haine anti-trans », explique-t-elle. « C’est un peu devenu le [bruit de fond] de notre communauté. »

« Je pense que c’était plus facile pour moi de transitionner en 2020, que pour quelqu’un qui voudrait transitionner maintenant. »

Celeste Trianon

Faire marche arrière

En effet, en dépit des avancées politiques et juridiques remportées au cours des dernières années au Québec et au Canada pour faire reconnaître les droits des personnes trans, la communauté fait actuellement face à un regain de menaces chez nous et ailleurs dans le monde.

Les dépôts récents de centaines de projets de loi anti-LGBTQ+ aux État-Unis inquiètent. Au Québec, la réforme du droit de la famille menée l’an dernier par le ministre Jolin-Barrette s’attaquait de front aux personnes trans et intersexes, mais la mobilisation a permis d’éviter un grave recul.

De plus, un peu partout au pays dernièrement, des rassemblements semblables à celui de Sainte-Catherine ont perturbé d’autres activités pour enfants animées par des drag queens. « Ça témoigne fortement de l’état des choses en ce moment », pense Celeste Trianon.

« La montée fulgurante de l’extrême droite au Canada et au Québec, ça fait peur. »

« C’est un peu devenu le bruit de fond de notre communauté. »

Celeste Trianon

En même temps, des groupes qui s’affichent comme féministes ou pro-LGB mais qui militent contre les droits trans font aussi leur apparition au pays. L’un d’eux avait notamment été invité à donner une conférence à l’Université McGill l’hiver dernier, mais avait fait face à une forte protestation. 

À cela s’ajoute la haine en ligne, dont Mme Trianon a été personnellement victime, notamment après avoir participé à la mobilisation contre la conférence à McGill.

« De plus en plus, j’ai peur de continuer le travail que je fais, mais je sais que je dois continuer. On est dans une situation critique. »

Selon la jeune femme, la peur est de plus en plus évidente dans la communauté trans depuis les dernières années. « Il y a du monde qui ont peur de se rendre visite, qui ont peur de se montrer, de crainte que l’extrême droite puisse les trouver, publier leurs informations personnelles en ligne », s’inquiète-t-elle.

« Je pense que c’était plus facile pour moi de transitionner en 2020, que pour quelqu’un qui voudrait transitionner maintenant. »

Besoin de sécurité

En plus de relever les défis qu’implique une transition de genre, les personnes trans doivent donc non seulement porter une bataille politique afin de faire valoir leurs droits, mais aussi faire face à un mouvement social haineux, parfois violent, qui menace leur sécurité.

C’est pour alléger ce dernier fardeau, qui se fait de plus en plus pesant dans le climat actuel, que des militant·es demandent maintenant davantage de protection.

« En ce moment, les [personnes trans] ne sont pas assez protégées » dans leur quotidien, soutient Celeste, en expliquant que leur accès au système judiciaire est souvent difficile.

« La montée fulgurante de l’extrême droite au Canada et au Québec, ça fait peur. »

Celeste Trianon

Mme Trianon fait elle-même partie d’une poignée d’activistes trans au Québec qui s’affichent publiquement, en dépit du danger que cela implique. Elle affirme qu’elle pourrait intenter une cinquantaine de recours juridiques pour diffamation au cours de la dernière année.

« Généralement, la police ne fait pas grand-chose, sauf s’il y a une agression physique ou quelque chose de “suffisamment grave” – mais en ce moment, c’est grave », soutient la jeune femme.

À l’heure actuelle, entreprendre des procédures judiciaires demande du temps et des efforts considérables. Les résultats ne sont quant à eux pas garantis.

 « Je pourrais bien sûr aller au tribunal, mais ça prend tellement de temps, tellement d’énergie et je ne sais si je suis prête à me défendre au tribunal et à continuer mes activités d’activiste. »

« Je n’ai pas confiance dans les systèmes qui nous encadrent », souffle Celeste Trianon, en affirmant qu’il est pour le moment difficile d’obtenir un recours à la Commission des droits des droits de la personne pour des plaintes d’intimidation, de discrimination et de diffamation.

« On peut faire plus, il y a tellement d’actions qui peuvent être prises, comme […] simplifier les procédures d’accès à la justice et faciliter les poursuites en matière de discours haineux », propose-t-elle.

Manque de financement 

La montée des mobilisations anti-trans alourdit également le travail des organismes LGBTQ+, déjà surchargés et sous-financés. En plus de servir une communauté aux besoins grandissants, ces organismes doivent également veiller à lutter contre la haine anti-trans promue par des groupes d’extrême droite ou transphobes.

Or, certains de ces groupes, comme Pour les droits des femmes (PDF) du Québec, reçoivent le soutien financier du gouvernement provincial.

« Moi, ce que je constate, c’est que les gens sont brokes, ils ont besoin de cash et il n’y a rien qui est donné », note Mme Trianon.

Elle souligne la compétition entre les organismes de la communauté qui découle de ce manque de moyens. « Les [recherches de] subventions ne devraient pas être un bain de sang, mais c’est ce qu’on a en ce moment : c’est une lutte entre les organismes qui se battent pour recevoir quelques dollars. Le point où on est rendu est réellement dévastateur, il y a juste si peu. »

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