
Projet de loi 2 amendé : une victoire pour les communautés LGBTQ+
Avec la nouvelle version de sa réforme du droit de la famille, le gouvernement Legault recule sur des dispositions qui limitaient les droits LGBTQ+, mais certaines problématiques demeurent.
Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette a récemment confirmé certains amendements au controversé projet de loi 2, concernant notamment le changement de mention de sexe à l’état civil. Les amendements n’ont pas encore été révélés, mais les organismes LGBTQ+, qui avaient jugé transphobes plusieurs de ses articles, ont pu étudier le projet de loi amendé, dont la nouvelle mouture se veut plus inclusive.
En octobre dernier, le projet de loi 2 avait provoqué une déferlante de contestations. Certaines dispositions, touchant les personnes trans, non binaires et intersexes, avaient été fortement critiquées. Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette avait donc fait un pas de recul, annonçant que des amendements seraient prévus, mais sans préciser leur détail. Après six mois d’attente, les organismes et communautés LGBTQ+ sont soulagés de voir certaines de leurs demandes satisfaites, jugeant le projet amendé plus inclusif et acceptable.
Pour Celeste Trianon, du Centre de lutte contre l’oppression des genres, « les amendements représentent ce que le projet de loi 2 aurait dû être ». Le projet de loi amendé prévoira entre autres le retrait de l’exigence de chirurgie génitale et de la citoyenneté obligatoire pour changer la mention de sexe à l’état civil. La mention de sexe « X » sera également ajoutée comme option sur les documents d’état civil, pour les personnes ne souhaitant pas être identifiées comme « M » (masculin) ou « F » (féminin).
Rappelons que le projet de loi 2, dans sa mouture initiale, prévoyait notamment une chirurgie génitale obligatoire pour changer la mention de sexe à l’état civil, alors que depuis 2013, la chirurgie génitale n’est plus imposée pour faire ce changement. Ces dispositions visaient à répondre au jugement Moore, de la Cour supérieure du Québec, qui menaçait d’invalider certains articles du Code civil jugés discriminatoires. Mais les modifications proposées par le ministre Jolin-Barrette avaient plutôt été reçues comme un grave recul par les communautés LGBTQ+.
Une distinction écrite entre le sexe et le genre sur les documents officiels de l’État était également prévue par le projet de loi initial. Les communautés LGBTQ+ avaient dénoncé l’effet de « dévoilement » qu’aurait eu cet ajout pour les personnes trans. Pour Ariane Marchand-Labelle, directrice du Conseil québécois LGBT, une discordance entre le sexe biologique et l’identité de genre sur les documents officiels peut occasionner des discriminations systémiques, par exemple dans la recherche d’emploi.
Le projet de loi affectait également les personnes intersexes, soit les personnes nées avec des caractéristiques sexuelles non conformes à la binarité traditionnelle masculine ou féminine. La loi prévoyait d’attribuer une mention de sexe « indéterminé ». Or, pour changer cette mention, des traitements chirurgicaux seraient nécessaires.
De nombreux activistes ont dénoncé cette disposition, jugée problématique et stigmatisante. Pour Ariane Marchand-Labelle, cela aurait pour effet de pathologiser les corps intersexes, les forçant à se conformer à une apparence traditionnelle pour être reconnus. La directrice du Conseil québécois LGBT défend également que cette disposition risque d’augmenter les mutilations génitales chez les mineur·es non consentant·es. Bien que cette pratique soit dénoncée par le Conseil des droits humains de l’ONU, plus de 1385 chirurgies auraient été effectuées sur des mineur·es au Québec entre 2015 et 2020, selon les chiffres recueillis par la RAMQ.
Une victoire significative
Celeste Trianon se dit rassurée par les derniers changements, qui répondent au jugement Moore, mais aussi à la pression des actions collectives orchestrées par les communautés LGBTQ+ depuis l’automne. « Pour notre communauté, ça a été une mobilisation historique », se remémore-t-elle. Au total, ce sont plus de 35 000 courriels qui ont été envoyés au ministère, et une pétition dénonçant les discriminations de la loi avait également récolté plus de 13 000 signatures. « Le message a été clair : un projet transphobe n’a pas sa place au Québec », explique la militante.
Pour Judith Lefebvre, militante transféministe, bien que les amendements prévus répondent aux problématiques soulevées, ils n’apportent pas de gain majeur au-delà de ce qui était déjà prévu par le jugement Moore. « Étant donné le contexte de violence institutionnelle avec lequel on commençait au départ, c’est une issue très positive », pense toutefois la militante.
Une barrière économique à la transition
Pour Florence Gallant Chenel, de l’organisme communautaire TransEstrie, le projet amendé répond effectivement aux obligations du jugement Moore, mais échoue à intégrer toutes les préoccupations des regroupements et expert·es des milieux académiques. Parmi celles-ci figurait l’importance d’une transition légale accessible, sans barrière financière. « Actuellement, le changement de la mention du sexe à l’état civil coûte 148$ en frais administratifs. L’accès à une transition de genre est un droit fondamental, et ne devrait pas être conditionnel à la capacité financière d’une personne de s’en prévaloir », défend Florence Gallant Chenel. Elle souligne d’ailleurs que le revenu médian des personnes trans est en-deçà du seuil de pauvreté, selon une étude menée par TransPulse en 2015.
Même constat chez Ariane Marchand-Labelle, qui dénonce le double standard actuellement présent dans la loi, qui prévoit une exception de frais administratifs pour les personnes intersexes. « On reconnait pour les personnes intersexes qu’il y a erreur au moment de cocher leur genre sur la déclaration de naissance. Mais c’est la même chose pour les personnes trans : elles ont été assignées à un sexe qui ne reflète pas leur identité de genre. Elles ne devraient pas avoir à payer pour cela », défend Ariane Marchand-Labelle.
Zone grise sur la désignation parentale
Un gain significatif du projet de loi amendé concerne la mention « parent » en complément de celle de « père » ou « mère », sur le certificat de naissance d’un enfant. Toutefois, un important bémol demeure, selon le Conseil québécois LGBT. La disposition actuelle prévoit qu’un enfant de plus de 14 ans peut s’opposer à la modification de la désignation parentale sur son certificat de naissance. « Ça part du présupposé que l’enfant a un droit sur l’identité de son parent, ce qui va à l’encontre de l’autodétermination », défend Ariane Marchand-Labelle. Celle-ci croit également que cette mesure se base sur le préjugé qu’une transition parentale pourrait porter préjudice à l’enfant, « ce qui n’est absolument pas prouvé et sans fondement », précise la directrice.
Les plus vulnérables à l’angle mort du projet de loi
Pour les mineurs de 14 à 17 ans souhaitant changer de mention de sexe à l’état civil, le jugement Moore demandait aussi le retrait de l’exigence psychomédicale, c’est-à-dire l’obligation d’obtenir une lettre d’un·e professionnel·le attestant de la demande de l’enfant. Le gouvernement a porté en appel cette décision du juge Moore. Pour Florence Gallant Chenel, cette disposition soulève plusieurs problématiques d’accès : les listes d’attentes dans le système public de santé s’allongent, tandis que le système privé n’est évidemment pas à coût nul. TransEstrie de même que le Centre de lutte contre l’oppression des genres pensent que cette mesure doit également être amendée.
Des luttes encore pressantes
Si les organismes se disent soulagés, la plupart s’accordent pour dire que le projet de loi « aurait pu aller plus loin ». « On a dû se battre [contre] des changements qui étaient nocifs plutôt que de faire de ce projet de loi là un projet innovant », déplore Ariane Marchand-Labelle. De son côté, Celeste Trianon affirme que le Québec a encore beaucoup de chemin à faire pour devenir une société trans-inclusive, notamment en ce qui a trait à la qualité et l’accès à des soins de santé adéquats et trans affirmatifs.