Des gardien·nes de territoire tiennent tête à l’une des plus grandes forestières canadiennes

Sur le terrain avec les groupes d’Innuat et leurs allié·es qui bloquent depuis une semaine une route de la forestière Résolu au nord de Dolbeau.

Des familles innuat gardiennes du territoire, des traditionalistes autochtones et des allié·es allochtones ont installé, le 31 juillet dernier, un barrage au kilomètre 59 d’un chemin forestier au nord de Dolbeau-Mistassini, bloquant les opérations de la forestière Résolu, une compagnie réputée pour ses pratiques néfastes. Pivot était sur place.

Après un premier blocage aux abords du lac Kénogami il y a quelques mois contre la forestière Lignarex, des gardien·nes de territoire innuat se sont récemment mis en travers d’opérations du géant québécois Produits forestiers Résolu (autrefois AbitibiBowater), sur les terres de plusieurs familles innuat au nord de Dolbeau-Mistassini.

Le blocage a débuté vers 3 h dans la nuit du 31 juillet et s’est poursuivi pendant la semaine.

Conformément à un avis d’expulsion du Nitassinan (territoire innu) transmis à plusieurs forestières le 29 mai, à une mise en demeure envoyée à Résolu le 31 juillet et à une demande de moratoire sur l’exploitation forestière et minière sur le Nitassinan, les gardien·nes exigent le retrait de l’entièreté de la machinerie dans les zones où on coupe du bois vert avant de permettre le transport du bois déjà coupé et la collecte du bois brûlé.

Le blocage s’ajoute à une série d’autres actions entreprises par des groupes autochtones de défense de territoire dans les deux dernières années, notamment par le collectif atikamekw Ekoni Aci.

Affirmation d’un droit ancestral

Les gardien·nes engagé·es* dans ce nouveau blocus demandent l’arrêt complet des coupes de Résolu afin d’affirmer les droits de gestion ancestraux que leur garantit l’article 35 de la Constitution canadienne.

Ils et elles admettent par contre la coupe de bois brûlé et la récolte de bois déjà coupé, car celui-ci peut représenter un danger de contamination du sol et des eaux s’il pourrit. Résolu exploite également des parcelles infectées par la tordeuse d’épinette, mais plusieurs gardien·nes affirment cependant que la compagnie utilise ce prétexte pour couper du bois vert.

Un aperçu du chemin que se fraient les machines à travers la forêt. | Photo: Antoine Morin-Racine

Certain·es des gardien·nes exigent aussi plus largement de réduire, voire d’arrêter toute opération extractive afin de préserver la flore ainsi que des espèces fragiles comme le caribou forestier.

La prospection minière de First Phosphate, qui convoite des minéraux « critiques » destinés à la fabrication de batteries électriques, a également été interrompue par des gardien·nes de territoire lors du blocage.

Plusieurs Innuat présent·es ont affirmé que ce genre d’opération extractive, forestière comme minière, met en péril leurs pratiques culturelles ancestrales.

Certain·es affirment que des sépultures familiales ont été exhumées par le travail des forestières. « Papa est venu au monde ici […] Avant de mourir, il m’a dit : “ma fille, tout ce que j’ai aujourd’hui, c’est le territoire qui me l’a donné”. Son dernier vœu, c’était d’être ici et il est resté ici jusqu’à quelques jours de sa mort », raconte la gardienne d’un des territoires convoités par Résolu.

« Ma fille, tout ce que j’ai aujourd’hui, c’est le territoire qui me l’a donné. »

« [L]’aménagement unilatéral de la forêt par le gouvernement du Québec à des fins mercantiles sans consultation des gardiens autochtones du territoire est intégralement responsable des feux de forêt qui ont posé des risques sans précédent pour la santé et la sécurité de tout le nord-est du continent américain », affirme aussi le Collectif Mashk Assi, une organisation innue vouée à la défense du Nitassinan et qui a été impliquée dans le blocage à son début.

Retrait expéditif de Résolu

Malgré un réseau de sous-traitants assez complexe et une quantité importante de machinerie sur le terrain, Résolu a débuté rapidement le retrait de ses équipements après le déclenchement du blocus.

Les négociations entamées pendant la première journée étaient de nature cordiale. Ainsi, dès début du deuxième jour, le 1er août, la majorité des neuf abatteuses et du reste de l’équipement forestier présent sur cette portion du territoire avait déjà été retirée.

Une abatteuse est récupérée et sortie du territoire visé par le blocage. | Vidéo: Gracieuseté

Robin Caron, superviseur général du secteur pour Résolu, avoue que c’était la première fois qu’il avait affaire à un blocage de la sorte. Il précise que c’est le ministère des Ressources naturelles provincial qui lui a octroyé le droit de couper dans le Nitassinan.

Le blocage s’est poursuivi pendant le reste de la semaine, mobilisant d’autres soutiens, notamment par des aîné·es locaux.

La coupe de bois vert par Résolu a toutefois encore lieu à plusieurs autres endroits du Nitassinan.

Démonstrations de solidarité

Le blocage s’adressant seulement aux opérations de Résolu, les villégiateur·trices et travailleur·euses d’autres secteurs restaient autorisé·es à traverser les barrages routiers. Plusieurs ouvrier·ères sylvicoles affecté·es à la replantation, des travailleur·euses de la voirie, ainsi que des gens se rendant à leur chalet ont d’ailleurs affirmé supporter le blocage.

« Résolu, ils en mènent large, ici! » a lancé un travailleur sylvicole souhaitant rester anonyme.

Un villégiateur manifeste sa solidarité envers le blocage. | Photo: Antoine Morin-Racine

Une forestière à la réputation trouble

L’une des plus grandes forestières au Canada et parmi les plus importants producteurs de papier journal au monde, Produits forestiers Résolu traîne une réputation qui laisse à désirer tant au niveau environnemental qu’au niveau éthique.

Selon une enquête de Greenpeace parue en 2017, les opérations de la compagnie seraient en relation étroite avec la mise en danger du caribou dans le nord de l’Ontario et du Québec. En réponse à ces accusations, Résolu a lancé, il y a quelques années, une poursuite « bâillon » contre Greenpeace pour diffamation au Canada et aux États-Unis.

« Résolu, ils en mènent large, ici! »

Un travailleur sylvicole en solidarité avec le blocage

L’entièreté des parts de Résolu a récemment été achetée par Paper Excellence. Ce géant des pâtes et papiers à la « structure d’entreprise opaque », selon une enquête de Greenpeace : son PDG, Jackson Wijaya, est un des héritiers du groupe Sinar Mas, un conglomérat indonésien dont la filière forestière, Asia Pulp and Paper, a été mainte fois accusée de déforestation et même d’atteintes aux droits humains, notamment contre des populations autochtones. Paper Excellence nie avoir des liens avec Asia Pulp and Paper, mais la découverte de plusieurs courriels et documents internes a prouvé des liens étroits entre les deux entreprises.

* Nous avons choisi de préserver l’anonymat des personnes présentes afin d’éviter qu’ils et elles subissent des représailles.

Correction : Une version précédente de cet article citait un entrepreneur forestier, affirmant qu’il soutenait les revendications des gardien·nes. Il s’agissait d’une erreur. (08-08-2023)

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