Petapan : Un traité moins unanime qu’il n’y paraît

Un traité censé renégocier l’ensemble des droits ancestraux et des relations de trois conseils de bande innuat avec les deux paliers de gouvernement, fait face à l’opposition de plusieurs gardien·nes de territoire.

Le 30 mai dernier, l’ensemble des partis d’opposition de l’Assemblée nationale adoptait une motion pour que soient conclues « dans les plus brefs délais » les négociations du traité Petapan avec le gouvernement Legault. Contrairement à l’unanimité avec laquelle est passée la motion, le traité est loin d’être accueilli favorablement par tous.tes au sein des communautés innuat.

Négocié à huis clos depuis maintenant presque 40 ans, le traité Petapan est une entente entre les trois conseils de bande d’Essipit, de Mashteuiatsh et Nutashkuan, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial qui entend renégocier l’ensemble de l’organisation territoriale et politique de ces communautés.  

Petapan a été décrit par plusieurs comme un traité d’ordre « nouveau » pour les négociations territoriales entre gouvernements autochtones et allochtones, principalement car il contiendrait une approche différente quant à la gestion des territoires. 

Là où on parlait « d’extinction » des droits ou de « cession du titre ancestral » dans des traités comme la Convention de la Baie James, communément appelé « traités modernes », on met aujourd’hui l’accent sur la « cogestion », « l’autonomie gouvernementale » et la « suspension » des droits ancestraux. 

Pour la professeure Nawel Hamidi, juriste spécialisée dans le droit territorial autochtone ayant travaillé sur Petapan pour le conseil de bande d’Essipit, on utilise aujourd’hui ce genre « d’euphémismes » afin d’occulter l’objectif premier d’un traité : « la cession du territoire ancestral » et cacher le fait que celui-ci « vise l’extinction de la souveraineté innue et l’appropriation du Nitassinan. » 

« Nouveau traité » ou traité moderne?

En vertu de la constitution canadienne de 1982, qui reconnait les droits ancestraux des Autochtones sur le territoire du pays, et auparavant, de l’arrêt Calder de 1973, qui reconnaissait que les terres des Premiers Peuples n’avaient jamais fait l’objet de cession, les gouvernements provinciaux et fédéraux se doivent essentiellement de « consolider leur souveraineté » en négociant la cession de ces territoires par l’entremise de traités dits « modernes », nous explique Hamidi.

« L’objectif d’un traité moderne pour les différents paliers de gouvernement est de s’approprier le territoire. Ça fait partie de leur ADN », dit-elle. 

Les traités modernes accomplissent cette « saisie » à l’aide de ce que l’on appelle la « clause de certitude », anciennement appelée la « clause d’extinction », qui doit certifier l’extinction des droits autochtones sur leurs territoires et la cession de ceux-ci à la Couronne (et ses tiers). 

Petapan ayant toujours été négocié à huis clos, il est impossible de savoir si une clause de la sorte s’y trouve. 

Me. Hamidi nous informe cependant que, contrairement aux affirmations du Regroupement Petapan quant à la préservation des droits ancestraux, la clause de certitude avait tenté d’y être incluse de manière hâtive par le gouvernement fédéral en 2010, ce qui avait mené à l’arrêt subit des négociations.

Le langage contenu dans l’entente de principe, qui sert de base pour le traité, s’avère également révélateur quant à cet objectif d’appropriation territoriale. 

L’article 3.3.4 de l’entente de principe, par exemple, reconnaît qu’il n’existe pas de moyens concrets (de « modalités d’exercice ») pour les conseils de bandes concernés de faire valoir leurs droits ancestraux si, par exemple, ceux-ci veulent révoquer la « suspension » de ces droits par le traité. Il reconnait même que, dans l’éventualité que de ces moyens soient ajouter au traité, « la Couronne et ses tiers » puisse agir « indépendamment » de la volonté des Innuat.

3.3.4 : « Le fait que le Traité ne mentionne pas un effet ou une modalité d’exercice d’un droit ancestral des Premières Nations n’emporte pas l’abandon ou l’extinction d’un tel effet ou d’une telle modalité d’exercice. Toutefois, à compter de l’entrée en vigueur du Traité, les effets et les modalités d’exercice, autres que ceux prévus au Traité, des droits ancestrauxde ces Premières Nations, quels qu’ils soient, sont suspendus. » 

3.3.4.1 : L’article 3.3.4 n’a pas pour effet d’éteindre ni de porter atteinte aux droits ancestraux, y compris le titre aborigène, reconnus, confirmés et continués par le Traité. Il a toutefois pour effet :

ii. de permettre à la Couronne et aux tiers d’agir, dans le respect du Traité, indépendamment des effets et modalités d’exercice des droits ancestraux, y compris le titre aborigène, des Premières Nations qui ne sont pas mentionnées au Traité; 

Les articles 3.3.6 et 3.3.7, eux, garantissent que, dans l’éventualité d’une contestation des agissements de la « Couronne et ses tiers » par les conseils de bande, le droit de propriété de la Couronne aurait préséance sur leurs droits ancestraux, et que la partie autochtone ne peut reprendre les territoires dont elle conteste l’utilisation que quand la Couronne cesse de les utiliser.

3.3.6 : « Si l’exercice d’un droit par la Couronne ou son ayant droit à l’égard d’une terre fait l’objet d’une contestation judiciaire au motif que la Couronne ou son ayant droit ne peut y exercer ce droit en raison de contraintes résultant du maintien à cet endroit des caractéristiques des droits ancestraux, y compris le titre aborigène, tels que définis par les tribunaux, les droits de la Couronne à cet endroit sont alors réputés avoir préséance, depuis la date de l’entrée en vigueur du Traité, sur les caractéristiques des droits ancestraux… » 

3.3.7 : Sous réserve des dispositions particulières du Traité, lorsque la Couronne ou son ayant droit fait, en respectant le Traité, une utilisation des terres ayant pour effet d’empêcher une Première Nation d’y exercer une activité conformément aux dispositions du Traité, la Première Nation peut de nouveau utiliser ces terres, suivant les effets et les modalités d’exercice prévus au Traité, lorsque la Couronne cesse son utilisation.

« Le Canada a besoin de ces traités pour consolider sa souveraineté », explique Hamidi. « La clause de certitude c’est souvent à peine une page, un paragraphe même, toujours écrite de la même façon, qui fait de ce document-là un outil de dépossession colonial. »

En lutte depuis 20 ans

Le Collectif Mashk Assi est l’une des principales organisations innuat s’opposant au traité Petapan. Ayant récemment fait les manchettes pour le blocage d’une route du parc des Laurentides et l’expulsion des opérations de la forestière Lignarex aux abords du Lac Kénogami, Mashk Assi, fait partie d’une lutte contre un traité moderne innu que d’autres organisations, comme la Coalition de femmes Ukaimau Aimu mène depuis les négociations de « l’Approche Commune » il y a plus de 20 ans. 

Suite à l’envoi d’un communiqué signé par une trentaine de gradien·nes et ainé·es expliquant leurs revendications en mars dernier, le Collectif Mashk Assi a plus récemment déposé une mise en demeure aux procureurs généraux du Québec et du Canada demandant l’arrêt complet des pourparlers, lesquels sont « illégitimes et illégales ». « En droit innu » affirme le Collectif, « la terre est inaliénable et constitue un legs pour les générations futures. » 

« L’expérience inuk et eeyou de la Convention de la Baie-James nous a appris qu’il est odieux de rendre le financement de nos besoins fondamentaux conditionnel à l’abandon de notre identité et dignité. Rien de cela n’est exigé des sociétés civiles allochtones », soutient le Collectif Mashk Assi.

Pour Kuekuatsheu (Michaël Paul), membre du collectif, gardien de territoire, chasseur et cueilleurs ilnu (dénomination des Innus du Pakuakamit) originaire de Mashtéuiatsh, Petapan est un traité négocié par des « institutions non -démocratiques » qui « usurpent » les droits ancestraux innus au nom de l’extractivisme.

« Il n’y a aucun droit de veto pour nous dans ce traité-là. Tu es condamné à extractiver. On ne négocie pas le territoire », lance-t-il. « Notre culture c’est pas une business! »

Une motion qui ne fait pas l’unanimité

Hamidi et Kuekuatsheu se disent tous deux très déçu.es des actions de l’opposition parlementaire, mais particulièrement de Québec solidaire. « Manon Massé a motionné sur un dossier qu’elle ne connait pas », avoue ce dernier. 

Dans une lettre qui souhaite « engager une conversation » avec Québec solidaire, Mashk Assi répondait à la motion en signifiant qu’à « cette époque d’empressement à la réconciliation, il importe de prendre le temps de bien s’informer avant d’appuyer un traité qui n’a pas obtenu le consentement des principaux intéressés – les Innuat qui poursuivent leur mode de vie traditionnel sans participer aux structures coloniales du Conseil de Bande. » 

« Il n’y a aucun droit de veto pour nous dans ce traité-là. Tu es condamné à extractiver. On ne négocie pas le territoire. Notre culture c’est pas une business! »

Kuekuatsheu, Michaël Paul

Massé a récemment rencontré le collectif pour entendre leurs revendications et ne semble pas encore avoir réagi.

Des institutions illégitimes

Avec des taux de participation électoraux qui oscillent souvent en dessous de 20 %, les Conseils de Bandes sont considérés comme des institutions illégitimes pour la négociation territoriale par Mashk Assi et plusieurs autres traditionalistes autochtones. 

La gouvernance parfois dénoncée comme autoritaire et corrompue des conseils ne permet pas un débat sain à propos du traité au sein des communautés qu’il concerne, selon Kuekuatsheu. 

Anciennement gérés par des prêtres ou des « agents indiens », ils sont des « outils coloniaux » qui ne sont pas « porteur d’autodétermination, mais bien d’une intention de municipalisation », nous explique Hamidi.

Malgré un changement de nom des structures politiques qui font régir les communautés, qui deviendront des « Innu tshishe utshimau » avec le traité Petapan, Kuekuatsheu est d’avis que ceux-ci ne sont pas un véhicule pour l’autodétermination des innuat.

« “L’autonomie gouvernementale” dont on parle dans le traité, c’est tout le contraire de l’autodétermination », pense Nawel Hamidi.

Tous deux ont avoué.es avoir fait l’objet de salissage au sein des communautés d’Essipit et de Mashteuiatsh et avoir même reçu des menaces à cause de leur opposition à Petapan. 

Une vision différente pour l’avenir d’un peuple

Interrogé sur ce qu’il voudrait voir à la place de ce traité, Kuekuatsheu est catégorique sur l’unification et l’autodétermination du peuple innu, « sans avoir à monnayer notre identité ». 

Pour lui et le Collectif Mashk Assi, il existe déjà des structures politiques et des traditions juridiques que le peuple innu se doit de retrouver et revaloriser. Malgré les difficultés de la transmission orale, certaines initiatives comme les rencontres du Collectif Ishpitenimatau Tshikauinu Assi avec des ainé.es de plusieurs nations pour le projet de « Manifeste des Premiers Peuples » en partenariat avec la revue Liberté, contribuent à mettre à l’écrit ces traditions. 

« “L’autonomie gouvernementale” dont on parle dans le traité, c’est tout le contraire de l’autodétermination. »

Nawel Hamidi

Organisés autour d’une délibération en consensus avec « des millénaires de pratiques » lors de rassemblements annuels sur le territoire, « Le respect, le partage du territoire, et l’entraide » sont « les trois piliers de notre vision et de notre culture », explique Kuekuatsheu. 

Pour le Collectif, l’ensemble de ces pratiques traditionnelles et de ces valeurs vont à l’encontre de la forme politique ainsi qu’à l’arrangement économique que propose le traité. Particulièrement en ce qui a trait à l’extraction de ressources. 

« Les conseils de bandes s’entendent avec les compagnies comme si le traité était déjà signé », déclare Kuekuatsheu en faisant référence à une entente de répercussions-avantages négociée à huis clos avec la minière Black Rock ainsi qu’aux centaines de milliers de mètres cubes de bois mis à la disposition des conseils à des fins d’exploitation forestière par le traité. 

C’est un conflit similaire entre un conseil de bande et des chefs de territoires traditionnels, à celui qui oppose le conseil de bande de Mashteuiatsh et Mashk Assi à propos de la forestière Lignarex, qui fut à l’origine de la lutte des Wet’suwet’en contre le pipeline Coastal GasLink. 

Si les demandes de Mashk Assi ne sont pas entendues, la possibilité d’une injonction pour faire arrêter des négociations n’est pas écartée pour le moment.

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