Les Atikamekw de Manawan bloquent une route depuis un an contre l’exploitation forestière

À présent, des Atikamekw et leurs allié·es se mobilisent pour élargir l’opposition à l’exploitation forestière qui continue sur le Nitaskinan.

Depuis un an, des Atikamekw de Manawan et leurs allié·es bloquent la route de Manouane aux camions et à la machinerie forestière. Ils veulent maintenant décréter un moratoire sur l’exploitation forestière sur tout le territoire atikamekw.

Le 21 janvier dernier, des représentants du Mouvement 60 de Manawan et des membres des communautés atikamekw d’Opitciwan et de Wemotaci se sont réuni·es à La Tuque, en Mauricie. La rencontre avait pour but l’élargissement, sur l’ensemble du Nitaskinan (territoire atikamekw), du moratoire sur les activités forestières imposé par le Conseil des Atikamekw de Manawan en 2021.

Depuis février 2022, le Mouvement 60 tient un blocus au kilomètre 60 de la route reliant Saint-Michel-des-Saints à Manawan. Des barrières ont été installées après que des coupes non consenties aient été effectuées par la forestière Groupe Champoux sur l’érablière de la famille Dubé, une famille atikamekw de Manawan. Ces barrières empêchent la circulation de la machinerie et des camions à bois dans un grand secteur des environs de Manawan depuis maintenant un an.

Les coupes sur l’érablière Dubé | Photo : Gracieuseté Azad Chan-Cyr (Mouvement 60)

Et aujourd’hui, loin de s’essouffler, la lutte est plutôt en voie de s’élargir. Azad Chan-Cyr, membre allochtone du Mouvement 60 qui se consacre à défense du territoire et à la lutte pour le développement de la nation atikamekw, était présent au sommet de la fin janvier. « Ça a permis d’ouvrir des canaux de communication avec les autres communautés », explique-t-il.

« On espère encourager la mobilisation dans les autres communautés. Le but, c’est qu’un moratoire comme celui imposé par Manawan soit décrété sur l’ensemble du Nitaskinan », ajoute Azad Chan-Cyr. Décréter un moratoire sur tout le territoire prendra du temps, mais il se dit confiant que ce sera possible d’ici quelques années.

Le respect du moratoire signifierait qu’aucun moteur de machinerie ou de camion ne serait en marche sur le Nitaskinan pour au moins cinq ans. « Il s’agit, pour les Atikamekw, de laisser la terre se régénérer et d’avoir un contrôle démocratique sur les ressources et sur la gestion du territoire », précise Azad Chan-Cyr.

Ententes non respectées, moratoire ignoré

Jusqu’à nouvel ordre, dans le secteur de Manawan, cette reprise de contrôle passe par le maintien du blocus routier. « C’est le seul moyen de faire pression », dit Azad Chan-Cyr, qui dénonce qu’à l’heure actuelle, le moratoire de 2021 est ignoré par le gouvernement provincial, qui continue d’autoriser les coupes, et par les forestières, qui poursuivent leurs activités.

Le décret d’un plus vaste moratoire est aussi motivé par le non-respect des « ententes d’harmonisation », ces ententes privées et à la pièce que les forestières établissent avec les autres « usager·ères » du territoire, comme des villégiateurs, des trappeurs et, ici, les chefs de territoire, en ce qui concerne les zones de coupe et les compensations à verser.

« Les Atikamekw se font avoir deux fois. La coupe est d’abord imposée par les entreprises, qui débarquent avec leur droit de coupe déjà en main. Ensuite, on laisse les chefs de territoire délimiter les zones à couper, mais en fin de compte on coupe ailleurs. »

Le non-respect des zones de coupe est un phénomène très répandu, avec de nombreuses familles affectées, dit Azad Chan-Cyr, informé par ses camarades atikamekw.

La forestière compte faire « respecter ses droits »

De son côté, Jean-François Champoux, PDG du Groupe Champoux et de la scierie St-Michel, ne tolère pas la situation dans laquelle se trouve son entreprise. Il estime que le gouvernement provincial doit donner des directives pour autoriser la reprise de ses activités et libérer le bois « pris en otage » par le blocus, peut-on lire dans une lettre publiée dans l’édition du 20 janvier du Tronçon, le journal de son entreprise.

Son entreprise et lui se verront bientôt « contraints de faire respecter [leur] droit d’exploitation, consenti par le gouvernement, pour l’approvisionnement de [leur] usine sur le territoire public de l’État », menace-t-il. Pourtant, le Conseil de la nation atikamekw a déclaré la souveraineté des Atikamekw sur le Nitaskinan en 2014.

« Nous sommes dans l’obligation de nous adresser aux tribunaux afin d’obtenir ces réponses qui ont une importance capitale sur l’avenir de notre communauté et de nos entreprises », écrit-il encore.

Panneau « Non à la déforestation » | Photo : Gracieuseté Azad Chan-Cyr (Mouvement 60)

Ces déclarations rendent évident le mépris de l’entrepreneur devant les revendications atikamekw, selon Azad Chan-Cyr. Il rappelle que l’entreprise amasse d’importants profits par la coupe, tandis que les compensations qu’elle verse aux Atikamekw sont maigres.

Solidarités

Mais malgré l’ampleur du conflit, Azad Chan-Cyr dit voir des avenues de solidarité avec les travailleur·euses de l’industrie forestière. En mai 2022, le syndicat qui représente les ouvrier·ères du secteur, la FIM-CSN, avait déploré l’autorisation par Québec des coupes sur le site de l’érablière de la famille Dubé.

Le Mouvement 60 fait aussi appel à la solidarité et au soutien des autres nations autochtones et des Québécois·es et Canadien·nes, puisque les besoins financiers et matériels sont grands dans la défense du Nitaskinan, souligne Azad Chan-Cyr.

Peu de réactions du gouvernement

Questionné par courriel, le cabinet de la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, s’est montré avare de commentaires. Selon le cabinet, la ministre a « un dialogue régulier avec la communauté atikamekw et les représentants de l’industrie forestière » et « l’harmonisation du territoire se poursuit en prenant en compte les préoccupations des Atikamekw ».

La Direction générale de la gestion des forêts sud-ouest n’avait pas répondu à notre demande de commentaire au moment de la publication.

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