Photo : Ted Eytan (CC BY-SA 2.0) | Image : Marcho Verch (CC BY 2.0)
Analyse

Les changements climatiques annoncent-ils plus d’inflation?

L’augmentation des événements météo extrêmes et le déclin de la biodiversité seront synonymes de pressions inflationnistes dans le futur.

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La crise climatique risque fort de favoriser l’inflation. Et la transition verte aussi, selon certains. Mais ne pas agir sur la crise climatique est beaucoup plus dangereux pour la santé de nos économies que d’entamer la transition écologique, disent plusieurs économistes.

Nous avons tou·tes remarqué les effets de l’inflation sur nos portefeuilles. L’année 2022 a vu le coût de la vie et le prix des marchandises monter à des niveaux jamais vus en presque 50 ans. Résultat des lendemains de la crise sanitaire, de la guerre en Ukraine et des problèmes persistants de chaine d’approvisionnement, l’inflation que nous vivons en ce moment a aussi ses origines dans la crise climatique.

Malgré les appels répétés à réduire nos émissions, certains plaident encore la précaution dans une transition écologique qu’ils accusent de nourrir la hausse des prix et pour laquelle d’autres disent que nous serions déjà en retard.

Pivot a interrogé trois économistes sur la question, et ils et elles sont catégoriques : les coûts de l’inaction dépassent de loin ceux de la transition.

Des causes climatiques à l’inflation

Après de multiples tentatives par la Banque du Canada d’y pallier en faisant grimper les taux d’intérêt, un ralentissement significatif de la montée des prix se fait toujours attendre (et plusieurs spéculent que seule une récession en sera le remède).

Or, dans un contexte où l’offre des ressources et des services naturels qui alimentent nos économies tend à diminuer, plusieurs observateurs comme Colin Pratte, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), doutent de l’efficacité de ce genre de solutions orthodoxes, particulièrement lorsque l’inflation est causée par une variété grandissante de facteurs.

On a, par exemple, récemment prouvé que les chocs de température constituaient un stresseur inflationniste considérable.

La fréquence et l’intensité grandissantes des événements météo extrêmes, couplés avec la disparition d’un nombre grandissant de pollinisateurs, mettent également en danger l’offre alimentaire mondiale. Jusqu’à 577 milliards $ de la production alimentaire mondiale annuelle serait dépendante de ces insectes.

Il a été calculé que les changements climatiques pourraient occasionner une baisse annuelle des rendements à l’échelle mondiale. Les risques d’une telle crise augmentent d’ici 2030 et encore plus d’ici 2050.

« Les coûts de l’inaction son plus grands que les coûts de l’action. »

François Delorme

Comme l’explique Bengi Akbulut, économiste spécialisée en économie écologique et professeure à l’Université Concordia, les coûts de ces pressions sur l’offre sont inévitablement transférés aux consommateurs par la nature de nos régimes économiques. « Les institutions du capitalisme permettent aux entreprises de transférer les coûts de la crise environnementale sur le reste de la société. »

Inflation verte vs inflation climatique

Le 9 novembre dernier, Marc-Antoine Dumont, économiste chez Desjardins, affirmait dans une conférence que les risques d’inflation liés aux coûts de la transition écologique nécessitaient de ne pas y aller « trop vite ». Autrement, on courrait le risque de provoquer de « l’inflation verte » (ou greenflation).

Il est vrai que des facteurs comme la demande accrue des métaux nécessaires à la transition énergétique et une restriction de l’offre de pétrole puissent accélérer l’inflation. Toutefois, les risques de « l’inflation climatique » qui résulterait de l’inaction ou même d’une transition trop lente sont beaucoup plus préoccupants, aux yeux d’un nombre grandissant d’économistes.

Selon François Delorme, par exemple, ancien économiste principal de l’OCDE et expert ayant contribué au GIEC jusqu’à l’année dernière, on ne peut pas se permettre de ne pas aller vite. « Le statu quo à un coût », insiste-t-il.

Delorme rappelle les conclusions du rapport Stern de 2006, dont s’inspireront les rapports subséquents du GIEC, et qui établit que 5 % à 20 % du PIB annuel d’un pays comme le Royaume-Uni pourraient être perdus à cause des conséquences cumulatives du changement climatique. C’est uniquement 1 % du PIB qui serait compromis dans le cas d’une transition écologique.

Décroissance et redistribution comme solutions?

Il est nécessaire de garder en tête deux choses lorsqu’on parle des coûts de la transition, pose Colin Pratte : ces coûts devront prendre la forme d’une diminution de la production, mais il n’est pas nécessaire que cela débouche sur une diminution de notre qualité de vie.

Comme l’a proposé le GIEC l’an passé, la transition écologique devra s’opérer par une réduction drastique de la demande carbone des sociétés du Nord. Et ce, à un point tel qu’« une économie et une société décarbonées auront moins de joules consommés, de tonnes de matières extraites, éventuellement même d’heures travaillées ». Ainsi, nos priorités en tant que consommateur·trices et les priorités de nos économies devront changer du tout au tout, affirme Colin Pratte.

 « Les institutions du capitalisme permettent aux entreprises de transférer les coûts de la crise environnementale sur le reste de la société. »

Bengi Akbulut

Qui plus est, les sacrifices de cette « sobriété » nécessaire pour les pays du Nord ne sont pas obligés de tomber sur celle et ceux qui vivent déjà sobrement au sein de ces sociétés. Comme l’explique la Dre Akbulut, les coûts économiques des changements climatiques et de la transition écologique peuvent et doivent être transférés à ceux qui ont profité de la destruction de la planète.

Cela pourrait se faire à travers des mesures redistributives comme l’impôt progressif, le revenu universel et la démarchandisation des besoins essentiels. « À terme, peut-être que nos sociétés ne pourront plus se permettre le luxe d’avoir… des ultra-riches », lance Colin Pratte.

Un avenir incertain et des défis à relever

Au moment où plusieurs de nos leaders tentent de se pencher sur le problème de l’inflation, une chose est sûre pour les expert·es interrogé·es : non seulement l’inflation climatique est-elle ici pour rester, mais la transition écologique ne doit en aucun cas être freinée par peur des pressions économiques qu’elle pourrait causer, car les conséquences de l’inaction sont infiniment pires.

« Les coûts de l’inaction sont plus grands que les coûts de l’action », résume François Delorme « 3 % de croissance économique dans une planète à 3 degrés de plus, c’est impossible! »

« L’inflation va être le dernier de nos problèmes si nous ne faisons rien », corrobore Bengi Akbulut. « Nous ne pouvons pas laisser l’inflation nous empêcher de faire les changements nécessaires. »

Et même, pour Colin Pratte, avec la transition écologique, « les crises inflationnistes que craignent certains économistes pourraient bien ne pas survenir. À l’opposé, si nos sociétés se refusent à une transition écologique rapide, nous nous dirigeons vers la certitude scientifique d’un effondrement des bases écologique sur lesquelles reposent nos sociétés. »

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