Photo : Paulo Barcellos Jr. (CC BY-SA 2.0)
Analyse

Hausse des taux d’intérêt : freiner l’inflation… ou bloquer la hausse des salaires?

Le ralentissement de l’inflation dans les derniers mois aurait peu à voir avec les hausses successives des taux d’intérêt.

Au cours de la dernière année, pour réagir à l’inflation, la Banque du Canada a fait passer son taux directeur de 0,25 % à 4,5 %, entraînant une hausse générale des taux d’intérêt. Une intervention qui, loin d’aider le pouvoir d’achat des Canadien·nes, cherche plutôt à le diminuer.

La Banque du Canada a annoncé mercredi qu’elle relève son taux directeur pour une huitième fois. La nouvelle hausse est de 0,25 point de pourcentage, portant le taux directeur à 4,5 %.

Une telle mesure entraîne la hausse des taux d’intérêt, par exemple pour les prêts hypothécaires.

Constatant que l’inflation a ralenti dernièrement, passant de 8,1 à 6,3 % entre juin et décembre, le conseil d’administration de la Banque du Canada « s’attend à maintenir le taux directeur à son niveau actuel pendant qu’il évaluera l’incidence des augmentations cumulatives de taux d’intérêt ».

Les hausses de taux de la Banque du Canada n’ont toutefois eu que très peu d’influence directe sur l’inflation, prévient l’économiste du Centre canadien de politiques alternatives, David Macdonald. « La baisse du prix de l’essence est la principale raison du ralentissement de l’inflation et celui-ci n’est d’aucune façon influencé par les taux d’intérêt », précise-t-il.

L’augmentation des taux d’intérêt a tout de même permis de diminuer le prix des maisons, mais les gains faits de ce côté ont été effacés par la montée du coût des hypothèques, explique-t-il.

« La baisse du prix de l’essence est la principale raison du ralentissement de l’inflation. »

David Macdonald, CCPA

Les actions de la Banque du Canada auront un effet concret sur l’inflation, estime de son côté Louis Lévesque, président du comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois pour des choix éclairés. Les hausses de taux ralentissent notamment l’économie en réduisant la quantité d’argent disponible pour les particuliers et les compagnies, ce qui fait baisser les prix.

Toutefois, les effets de ces actions prennent du temps à se manifester. « Avoir de voir une réaction à la hausse des taux, ça peut prendre entre huit et dix-huit mois », précise l’économiste.

Éviter une hausse des salaires

Louis Lévesque prévient toutefois que ce serait étonnant que les actions de la Banque du Canada soient positives pour le pouvoir d’achat des Canadien·nes. Au contraire, c’est justement ce pouvoir d’achat que la Banque cherche à contenir.

Ce que la Banque observe, c’est que les gens ont trop d’argent à dépenser pour ce qu’ils ont à acheter, ce qui permet aux compagnies de hausser les prix. La Banque cherche donc à diminuer la demande de biens et services en encourageant, avec des taux d’intérêt plus intéressants, à épargner plutôt qu’à dépenser, explique Louis Lévesque.

Les hausses de taux d’intérêt ralentissent l’économie en réduisant la quantité d’argent disponible pour les particuliers et les compagnies.

Une autre façon pour la Banque du Canada de réduire la capacité de dépenser des ménages est d’influencer l’évolution des salaires. La Banque craint particulièrement que les travailleur·euses cherchent à conserver leur pouvoir d’achat en négociant leur salaire à la hausse, puis que leurs employeurs augmentent en retour les prix pour conserver leur marge de profits, observe Louis Lévesque.

Selon lui, la hausse des taux d’intérêt et le ralentissement économique qu’elle entraîne visent donc directement à enlever du pouvoir de négociation aux travailleurs en réduisant le nombre d’emplois disponibles.

Une approche critiquée par David Macdonald. « Pourtant, les augmentations de salaire sont demeurées inférieures à l’inflation, si on regarde toute l’année », remarque-t-il. « Même si les salaires ont rattrapé l’inflation pour certains mois dans certaines provinces, ces gains n’ont pas comblé la perte de pouvoir d’achat accumulée durant les mois précédents », explique-t-il.

Les travailleur·euses canadien·nes pourraient toutefois inverser la tendance dans les prochaines années puisque le vieillissement de la population leur donnera un avantage sans précédent pour négocier de meilleures conditions, prédit Louis Lévesque.

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