
Déclin des insectes : Ottawa propose des actions « historiques »… mais insuffisantes
Les objectifs fédéraux de protection du territoire et de la biodiversité sont insuffisants pour contrer le déclin des insectes qui forment la base des écosystèmes.
Montréal accueillera la 15e Conférence de l’ONU sur la diversité biologique (COP 15) en décembre prochain, à l’heure où des scientifiques sonnent l’alarme devant les actions timides des gouvernements pour protéger la biodiversité. Des populations d’insectes sont en rapide déclin partout dans le monde, alors qu’ils jouent un rôle crucial dans les écosystèmes et dans nos milieux agricoles, où 75 % des types de cultures dépendent de pollinisateurs.
Dans plusieurs communiqués concernant la biodiversité, Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) présente la même solution : protéger « 25 % des terres et des eaux d’ici 2025 et 30 % d’ici 2030, grâce à des investissements historiques dans le réseau canadien d’aires protégées ».
Une approche qui serait « bien, mais insuffisante » d’après Nicola Deguines, maître de conférences à l’Université de Poitiers dans l’équipe Écologie Évolution Symbiose. Il rappelle une étude allemande sur le déclin des insectes volants qui nous apprenait qu’en 27 ans, dans ce pays, la biomasse d’insectes volants a diminué de 76 %. « Et les mesures pour cette étude ont été prises dans des zones protégées » d’après M. Deguines.
Le déclin s’explique parce que les différentes populations d’insectes ont besoin d’avoir des échanges entre elles, pour assurer leurs reproductions par exemple : si les zones protégées sont entourées de surfaces agricoles néfastes, les échanges seront très limités.
Interrogé sur les actions supplémentaires d’ECCC pour défendre les insectes hors des zones protégées, le bureau du ministre Steven Guilbeault a rappelé des lois déjà existantes sur les espèces en périls (datant de 2002), la pêche ou encore les oiseaux migrateurs. Ces lois « sont des outils législatifs clés pour conserver la biodiversité », nous a-t-on répondu par courriel.
Le ministère affirme aussi qu’un « plan National pour arrêter et renverser le déclin de la biodiversité d’ici 2030 » serait développé suivant l’adoption du cadre sur la biodiversité que les parties vont adopter à COP15 à Montréal.
La base mal aimée des écosystèmes
Si aujourd’hui la majorité du public peut s’imaginer l’impact qu’auraient les changements climatiques pour les humains, « il faut aller un pas plus loin pour comprendre les aspects qu’une perte de biodiversité pourrait avoir sur nos vies », croit Michel Saint-Germain, chef des collections entomologiques et de la recherche à l’Insectarium de Montréal.
« L’effort d’éducation c’est un gros chantier spécifiquement quand on parle des insectes. Les gens pensent tout de suite aux moustiques, aux guêpes ou aux araignées dans leurs maisons », affirme-t-il.
En prenant en compte ces difficultés, sensibiliser le public à l’importance de préserver les insectes devient plus complexe.
« On part avec deux prises contre nous, il faut expliquer aux gens : 66 % des organismes vivants sur la terre, ce sont des insectes, et ils sont à la base de tous les écosystèmes. »
M. Saint-Germain se dit tout de même optimiste. « Quand le Journal de Montréal publie des articles sur les pollinisateurs, on est rendu plus loin qu’on l’était il y a dix ou quinze ans. »
Une relation toxique avec l’agriculture
M. Deguines rapporte que les causes du déclin des populations d’insectes seraient en grande partie liées « à la destruction des milieux naturels pour les convertir en zones urbaines ou agricoles et à l’utilisation desdites terres agricoles ».
Les champs seraient de plus en plus grands depuis les 60-70 dernières années pour permettre aux machines de circuler. « Ça fait des zones humides en moins pour les insectes », indique M. Deguines, qui mentionne aussi que l’usage d’insecticides empire la situation.
Pourtant, d’après plusieurs études, avoir des champs plus petits permettrait de produire autant, voire plus pour certaines cultures.
« En créant des habitats, des haies ou des arbres ou des fleurs autour du champ, ça amènerait les pollinisateurs qui améliorent les rendements des cultures », explique M. Deguines.
Même si, en poids total, les 75 % de cultures qui dépendent de pollinisateurs comme les fruits et légumes ne représentent que 35 % de l’agroalimentaire, « leur apport en vitamine et minéraux est essentiel pour l’alimentation humaine » ajoute-t-il.
L’aide des pollinisateurs est difficilement remplaçable, d’après Roel van Klink, chercheur postdoctoral à l’Institut allemand de recherche intégrative sur la biodiversité. Il relate la situation en Chine, où des cultivateurs de fruits qui n’ont pas les moyens de louer des abeilles doivent polliniser les vergers à la main. En Amérique du Nord et en Europe on ne pourrait utiliser ces techniques qu’en ayant recours à du « cheap labor », d’après le chercheur.
L’industrie de la viande
Pour M. van Klink comme pour M. Deguines, il semble évident qu’il faut réduire la production de viande. Le premier indique que pour obtenir une seule protéine de viande, il faut produire huit protéines végétales. Le second affirme qu’en réduisant notre apport de viande, on pourrait « réduire l’intensification des cultures pour être plus en accord avec la biodiversité ».
Une tempête parfaite
Pour Michel Saint-Germain, la crise climatique et la crise de la biodiversité forment ensemble « la tempête parfaite ». D’une part, il y a moins d’abondance animale et végétale, ce qui simplifie les écosystèmes et les rend moins résilients face aux événements aléatoires et extrêmes. De l’autre, les changements climatiques vont rendre ces événements, « comme des canicules extrêmes, des précipitations, des inondations, des sécheresses », encore plus fréquents.