Ce qui est bon pour pitou est bon pour minou
Même le gouvernement admet désormais qu’avant de creuser un tunnel sous le fleuve, il faut voir ce qu’en disent les données. Et le racisme systémique, lui? Acceptera-t-on enfin d’aller voir ce qu’en dit la science?
C’est trop demander d’espérer des politiques publiques fondées sur des données probantes qui reflètent la réalité? C’est la légitime question qui ressort encore et encore dans les réactions à la débâcle du troisième lien.
Cette déroute ne peut que susciter des interrogations sur notre conception de la démocratie. Des promesses fondées sur du vent, car depuis de nombreuses années, les opinions des expert·es ne soutenaient pas le projet.
On navigue à vue.
Un exemple : « Le trafic que j’observais l’été dernier était réel. J’ai sincèrement cru que le trafic de malade qu’on observait l’été dernier était la nouvelle normalité », se justifiait le ministre Drainville après l’annonce de l’abandon du projet autoroutier. « Et puis visiblement, une fois que les travaux ont été terminés [sur le pont Pierre-Laporte], le nouveau trafic normal d’après la pandémie n’est pas celui qu’on avait auparavant et c’est ce que les études démontrent. Donc les données qui reflètent la réalité démontrent qu’un lien autoroutier ne se justifie pas. »
Dans la Rome antique, on disait : « donnez-leur du pain et des jeux ». Aujourd’hui, on promet des tunnels virtuels fondés sur des impressions et non sur les données.
Or, les données sont au cœur des politiques publiques.
Déni systémique
C’est pourquoi, depuis des années, les personnes racisées demandent des données statistiques ventilées selon la race, qui font apparaître les réalités particulières des différents groupes. Dans un premier temps, afin de documenter la réalité sociale, mais surtout afin que les fonds publics puissent être dépensés équitablement et répondre adéquatement aux réalités et besoins des communautés marginalisées.
Sans données, on peut nier l’évidence et imaginer un monde qui correspond à nos rêves, un monde qui justifie l’injustifiable. Les données sont nécessaires pour démontrer à quel point le racisme systémique affecte la vie des noir·es, des personnes racisées et des peuples autochtones qui ont été la cible de multiples politiques destructrices.
On navigue à vue.
En 2021, l’ONU a reconnu et défini le racisme systémique comme un « système complexe et interdépendant de lois, de politiques, de pratiques et d’attitudes, dans les institutions de l’État, le secteur privé et les structures sociétales qui, ensemble, produisent des formes, directes ou indirectes, intentionnelles ou non, en droit ou dans les faits, de discrimination, de différenciation, d’exclusion, de restriction ou de préférence ayant pour fondement la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique. »
Bien que le racisme systémique ait été reconnu par les instances internationales, la résistance étatique se poursuit. Ce déni du racisme systémique mène dans un cul-de-sac où les personnes racisées restent la cible de multiples discriminations dont certaines sont intersectionnelles. Cette non-reconnaissance fait perdre un temps précieux et détourne l’attention alors que des gens souffrent.
Et ce, alors que des données scientifiques continuent de s’accumuler.
Censure et fierté nationale
À titre d’exemple, cette histoire où le gouvernement a annulé une formation contre le racisme dans le réseau de la santé parce que les chercheuses qui l’avaient préparée faisaient mention du racisme systémique. « Ce qui est inquiétant, c’est qu’un gouvernement demande à des chercheurs de faire cette opération-là de retrait des réalités justifiées par la recherche scientifique fondée », commente Lilyane Rachédi, professeure titulaire de l’École de travail social de l’UQAM ayant collaboré au projet.
En voulant effacer cet aspect du passé et du présent, on procède à une véritable réécriture de l’histoire qui devient alors un outil de propagande. Cette manipulation intentionnelle du récit national le transforme en un mythe national qui se nourrit de l’oubli.
Sans données, on peut nier l’évidence et imaginer un monde qui correspond à nos rêves, un monde qui justifie l’injustifiable.
Tout cela ne fait que prouver que les observations de l’anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot restent toujours d’actualité : « L’histoire est le fruit du pouvoir, mais le pouvoir lui-même n’est jamais si transparent que son analyse devienne superflue. La marque ultime du pouvoir peut être son invisibilité; le défi ultime, l’exposition de ses racines. »
En attendant d’avoir accès à toutes les données, tout le savoir dont nous aurions besoin, il nous faut continuer à dénoncer les demi-vérités.
D’une science à l’autre
Pendant ce temps, les membres de l’Assemblée nationale se font offrir une formation sur les changements climatiques et cette initiative est saluée comme « le signe de la mobilisation de l’ensemble du Québec ». Il est temps d’élargir ce noble intérêt pour la science et de tenir compte des réalités sociales de tou·tes les Québécois·es.
Les personnes racisées, elles aussi, salueraient une formation sur le racisme systémique pour que les « élus puissent être informés sur la base des connaissances scientifiques les plus à jour, et échanger avec des experts sur cette question » afin que « la prise de décision gouvernementale tienne compte de la science », comme se réjouit le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, en matière de science climatique.
Trois ans après la mort de George Floyd et après la reconnaissance internationale du racisme systémique, il serait temps de tenir compte de ce vaste consensus. Il s’agit non seulement d’une question de respect, mais surtout de la reconnaissance des droits de tou·tes les membres de la société.