3e lien : on fait quoi, maintenant?

L’encre, les larmes et le champagne ont coulé abondamment depuis une semaine en réaction à l’abandon du volet autoroutier du projet de troisième lien entre Québec et Lévis. Bien sûr, tout cet émoi est dû aux déclarations et engagements passés de la CAQ dans ce dossier et cela pourrait avoir des répercussions politiques.

Mais ceux et celles qui ont célébré ces derniers jours l’ont fait pour une raison bien simple : le projet sera désormais entièrement consacré au transport collectif.

Maintenant, il est temps de regarder vers l’avenir.

Le gouvernement Legault maintient son intention de créer une nouvelle voie de passage entre les deux rives, essentiellement dans l’axe prévu initialement, soit à l’est. Or, avant de se lancer dans un nouveau cycle de planification, il est important de tirer les leçons de cette saga. La plus importante d’entre elles : l’importance de faire les choses dans le bon ordre pour éviter un fiasco, en commençant par avoir un portrait clair de la situation pour cibler les besoins et les solutions adéquates.

Cette fois, commençons par faire des études rigoureuses.

Il est donc peu avisé de partager l’empressement d’un Bernard Drainville, un politicien qui ne s’est jamais distingué par son affection pour les données probantes et les études, préférant plutôt les observations partielles et les anecdotes. Son avis est péremptoire : il faut un tunnel et une première pelletée de terre d’ici 2026.

Pourtant, un projet d’une telle ampleur ne mérite-t-il pas que l’on fasse les choses avec sérieux? Que l’on évite d’inclure la conclusion dans les prémisses?

Déjà, une question toute simple se pose : comment assurer la proportionnalité entre l’ampleur de l’investissement à venir et le niveau de service qui sera offert?

Pour un projet optimal

Autre façon de poser la même question : pour la somme de 5 à 10 milliards $, percer un tunnel qui compterait des voies de tramway vers Lévis est-il le meilleur choix?

Rappelons que la ville de Lévis compte environ 150 000 habitant·es (ce qui représente grosso modo la population de l’arrondissement montréalais de Rosemont-La Petite-Patrie) et que l’ensemble de la région métropolitaine de Québec compte environ 821 000 habitant·es.

La question est d’autant plus importante si, à en croire Geneviève Guilbault, l’un des nouveaux objectifs du troisième lien est de favoriser l’adoption du transport en commun, c’est-à-dire de convaincre des automobilistes souvent pour le moins sceptiques de faire le grand saut.

Commençons par avoir un portrait clair de la situation pour cibler les besoins et les solutions adéquates.

Il importe donc de choisir la manière optimale d’investir de telles sommes afin de relever le défi du transfert modal.

D’ailleurs, bonne nouvelle : une nouvelle enquête origine-destination devrait être menée sous peu dans la région de Québec (l’exercice est généralement fait aux six ans et la dernière remonte à 2017). Cet outil est l’un des plus importants pour la planification des transports, car il permet de connaître les habitudes de déplacement de la population, donc les besoins. En faisant cela, on peut identifier les axes où le développement du transport en commun aurait le plus grand impact quant au remplacement de l’auto solo.

D’autres options?

Il y a fort à parier qu’avec 5 à 10 milliards $, on pourrait faire beaucoup plus et beaucoup mieux en la matière que de creuser à une centaine de mètres (ou plus!) sous terre.

Peut-être réalisera-t-on qu’il serait préférable de construire un pont plus à l’ouest et d’y faire passer un métro léger de type REM. Ou bien de faire passer un service rapide par bus (SRB) sur l’un des deux ponts actuels. Et peut-être qu’avec l’argent ainsi économisé, on pourrait développer davantage le réseau de tramway du côté de Québec ou même en faire une composante structurante de l’urbanisme du côté de Lévis…

Des études rigoureuses pourraient également montrer que d’autres modes de transport seraient à privilégier.

À titre d’exemple, le conseiller municipal montréalais Sylvain Ouellet (diplômé en génie civil spécialisé en transport et idéateur, notamment, du projet de ligne rose) a proposé l’idée d’un téléphérique. Si une telle proposition peut sembler saugrenue a priori, son plaidoyer est bien étoffé et mérite considération. Le principal intéressé a même découvert que le ministère des Transports a étudié des scénarios de cette nature.

Il y a fort à parier qu’avec 5 à 10 milliards $, on pourrait faire beaucoup plus et beaucoup mieux que de creuser à une centaine de mètres (ou plus!) sous terre.

D’aucuns pourraient également miser sur la bonification du service de traversier. Cela pourrait impliquer, par exemple, une meilleure intégration des terminaux de bateaux aux réseaux de transport en commun de chaque rive, l’utilisation de bateaux plus légers, plus rapides et plus fréquents qui n’auraient pas besoin d’embarquer des voitures, etc. Cela pourrait constituer une solution à court terme pendant que des projets plus ambitieux sont élaborés.

Ou bien, peut-être qu’après avoir étudié la chose de près, le tunnel s’avérera être la meilleure option, tant pour le transfert modal que pour le développement régional.

Il ne faut pas faire une fixation sur un mode ou un autre, ce qui nous amènerait à répéter les erreurs du passé. La meilleure solution apparaîtra quand on aura pris réellement la mesure des besoins.

Et si c’était un tunnel?

Bien que la cheffe de Transition Québec, Jackie Smith, s’inquiète de la possibilité que ce nouveau projet n’enraye pas l’étalement urbain qu’aurait également causé la précédente mouture, ce n’est pas une fatalité. Tout dépend du tracé et, surtout, de la planification du développement urbain.

Il y a fort à parier, en premier lieu, que le tunnel de transport en commun n’aboutirait pas, à son extrémité sud, en plein milieu d’une zone agricole qui serait appelée à être tapissée de maisons unifamiliales, comme c’était le cas dans les moutures précédentes. D’autre part, l’arrivée d’un mode de transport structurant pourrait inciter à densifier le tissu urbain autour de la ou des station(s) du côté de Lévis.

La meilleure solution apparaîtra quand on aura pris réellement la mesure des besoins.

Encore une fois, tout cela plaide en faveur d’une planification minutieuse appuyée sur les meilleures données.

Le chapitre autoroutier du troisième lien s’est terminé par un échec en raison de l’absence de sérieux dans son élaboration et de l’obsession de certains élus et animateurs de radio pour une première pelletée de terre, en dépit des signaux d’alarme envoyés par les expert·es. Apprenons de nos erreurs et méfions-nous du chant des sirènes radiophoniques. Le Québec, sa capitale et ses régions méritent mieux que des lubies électoralistes bétonnées.