Lucy Fréchette | Photo : Gracieuseté Lucy Fréchette
Reportage

Se choisir à tout âge : la transidentité chez les personnes vieillissantes

Après 60 ans, de nombreuses personnes entament une transition de genre. Pour plusieurs, vieillir représente cependant son lot de défis.

Au sein de la communauté trans, le plus grand nombre de transitions s’effectuerait dans la vingtaine… ou après 60 ans. Si la transition se fait si tardivement pour certain·es, c’est entre autres pour avoir grandi dans une société fermée à la diversité de genre. Alors que le Québec d’aujourd’hui accorde de plus en plus de place aux personnes trans, vieillir représente parfois un ultime défi dans un parcours marqué par la résilience.

« Les personnes âgées LGBTQ+ sont à l’intersection de deux enjeux », affirme Julien Rougerie, chargé du programme Pour que vieillir soit gai à la Fondation Émergence. « Parce qu’elles sont âgées, elles subissent de l’âgisme, et parce qu’elles sont LGBTQ+, elles subissent de la discrimination liée à l’orientation sexuelle ou à l’identité », explique-t-il.

Vieillir n’est pas toujours gai

À Montréal, en 2023, la quasi-totalité des personnes LGBTQ+ vivant en résidence pour aîné·es ou en CHSLD serait contrainte de retourner dans le placard. « On sait qu’il y a de l’intimidation, du harcèlement dans les milieux de vie », explique Julien Rougerie.

Pour le chargé de projet, ce ne sont pas les résident·es qui sont les plus discriminant·es. Julien Rougerie dénonce plutôt le système institutionnel, qu’il juge « homophobe » et « transphobe ». Celui qui cogne aux portes des milieux de vie pour aîné·es afin d’offrir des formations et des activités de sensibilisation se bute souvent à des refus.

« Les institutions nous disent “il n’y a pas de gens comme ça dans la résidence” », explique-t-il.

Selon Julien Rougerie, si le personnel n’est pas proactif et sensibilisé, il n’aura pas les outils pour agir sur les propos déplacés, les petits gestes qui minent la sécurité. « La seule arme véritablement efficace, c’est de sensibiliser les milieux », plaide-t-il.

À l’heure actuelle, les personnes âgées de la communauté LGBTQ+ ont en moyenne un revenu inférieur aux personnes hétérosexuelles et cisgenres du même âge. Elles sont également plus susceptibles de déclarer des problèmes de santé mentale ou de vivre de l’isolement social.

« Ça m’a pris tout ce temps pour réaliser et accepter que je serais une personne transgenre toute ma vie. Que j’allais vieillir comme ça. »

Lucy Fréchette

Grandir dans une société transphobe

Cette réalité serait d’ailleurs accrue pour les personnes trans, qui ont vu leur condition pathologisée jusqu’en 2019 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : l’OMS qualifiait la transidentité de « trouble de santé mentale ».

Au Canada, ce n’est que depuis 2017 que la discrimination basée sur l’identité ou l’expression genre est interdite. Au Québec, ce motif interdit de discrimination a été ajouté à la Charte des droits l’année précédente.

Plus encore, c’est seulement en 2015 que le Code civil a été modifié au Québec et qu’il est devenu possible de changer de mention de sexe auprès de l’État civil sans avoir subi une chirurgie – elle-même accessible uniquement à celles et ceux remplissant des exigences très strictes.

« La transidentité, on n’en parlait pas. C’était presque un péché mortel. »

Claude Amiot

Les aîné·es trans « sont pour beaucoup des gens qui ont vécu une grande partie de leur vie dans une société qui leur était hostile », explique Julien Rougerie.

Un exemple vivant est Claude Amiot. Cette femme trans, qui a affirmé son genre authentique dans la soixantaine, a grandi dans un Québec des années 1950 où les valeurs catholiques et conservatrices laissaient peu de place aux identités de genre variées. « La transidentité, on n’en parlait pas. C’était presque un péché mortel », confie celle qui est aujourd’hui présidente pour Entraide Trans Saguenay–Lac-Saint-Jean.

« Vers quatre ans, je le ressentais déjà, mon besoin du féminin. J’avais des frères très machos, je les entendais dire toutes sortes de choses. Je tenais ça renfermé. J’avais peu de connaissances et les barrières s’accumulaient », confie-t-elle. « J’ai grandi une grande partie de ma vie à me mentir à moi-même, en essayant d’être fine avec la société ».

Claude Amiot | Photo : Gracieuseté Claude Amiot

Mme Amiot raconte qu’elle a vécu plusieurs années à s’affirmer dans sa maison, en s’habillant de manière féminine, mais en refusant de se présenter comme telle à l’extérieur. « Pour aller à l’épicerie ou même sortir les poubelles, je m’habillais en homme », se remémore-t-elle.

Mais un beau soir, ç’en fut assez. « Je sortais les poubelles et au beau milieu du chemin, j’ai fondu en larmes. Je me suis dit “c’est assez. Il est temps que je devienne moi-même”. »

Pouvoir se nommer et s’identifier

Pour beaucoup, l’âge d’or représente un moment propice à la transition. Certain·es sont divorcé·es ou n’ont plus de jeune enfant : redescend alors la pression de devoir se voiler.

La meilleure acceptation sociale au cours des dernières années ainsi que la visibilité accrue des personnes trans en société contribueraient également à cette vague d’affirmation.

Pour Lucy Fréchette, femme trans qui a transitionné un peu avant la soixantaine, c’est l’accès à l’information qui a tout changé. « Au tournant des années 2000, avec Internet, j’avais accès à de l’information sur la transidentité. De savoir qu’il y avait d’autres personnes qui vivaient la même chose que moi, cette pulsion, ce sentiment profond et incontrôlable, ça a été un déclencheur. »

Je veux être la personne que j’aurais dû voir quand je n’étais pas capable de sortir du placard. »

Lucy Fréchette

Mais le parcours d’affirmation de Lucy Fréchette n’a pas été sans défis. « J’ai été tellement d’années dans le secret et la souffrance psychologique », raconte celle qui a finalement transitionné en 2019. « Ça m’a pris tout ce temps pour réaliser et accepter que je serais une personne transgenre toute ma vie. Que j’allais vieillir comme ça. »

Lucy Fréchette | Photo : Gracieuseté Lucy Fréchette

C’est toutefois par une journée de printemps que Lucy Fréchette a pu réellement faire le grand saut. Alors que sa conjointe rangeait un garde-robe, elle a mis la main sur une boîte : à l’intérieur, des vêtements et des accessoires féminins.

Après 30 ans de vie commune, ce secret qui aurait pu briser le couple les a plutôt soudées. « J’aime dire que c’est ma conjointe qui m’a sortie du placard », raconte Mme Fréchette en riant. « Elle était sur le bord de faire ses valises, mais elle a persisté. Ça a pris un peu de temps, mais une étape à la fois, on a cheminé ensemble. Elle m’a dit “je veux rencontrer Lucy”. L’année suivante, elle m’a demandée en mariage. »

« Elle a été mon alliée la plus précieuse. »

Se choisir, à n’importe quel âge

Le travail est encore grand pour dépoussiérer les institutions transphobes et la représentation doit se multiplier dans l’ensemble de la société, croit Julien Rougerie de la Fondation Émergence.

Si le parcours de transition est peuplé d’embûches – et vieillir peut le compliquer –, les modèles de personnes trans épanouies démontrent bien que la souffrance du refoulement ne doit plus être vécue.

« J’ai tellement souffert en étant dans ma tête, en refusant de m’accepter. Je veux être la personne que j’aurais dû voir quand je n’étais pas capable de sortir du placard », affirme Lucy Fréchette, qui s’implique maintenant auprès de l’organisme Divergenres.

« C’est ça, ma motivation : si les gens voient que je suis une femme transgenre, heureuse et bien dans sa peau, ça va peut-être les aider à s’affirmer et peut-être, leur sauver la vie. »

Pour Claude Amiot, la vie exaltante qu’elle mène actuellement n’aurait pas pu être atteinte sans sa transition. « Je suis une femme heureuse, bien dans sa peau, et j’en souhaite tout autant aux personnes qui hésitent à sauter dans cette grande aventure. Notre mal de vivre a un remède… pas évident, mais quel bonheur d’être soi-même! » affirme-t-elle.

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