Couche-Tard dans le Far West environnemental
Dans un monde où les lois qui encadrent l’action environnementale des entreprises sont aussi laxistes, pas surprenant qu’elles en profitent.
Les Coops de l’information révélaient ce lundi que le géant Couche-Tard jetait aux ordures des milliers de contenants recyclables encore pleins.
Ironiquement, le pollueur prétendait sur son site Internet que la réduction des déchets faisait partie « d’une de ses trois priorités pour la planète ». En lisant plus en détail, on découvre que son véritable objectif concret pour 2030 est que 100 % de ses emballages soient recyclables ou réutilisables… ce qui ne signifie pas qu’ils seront effectivement recyclés ou réutilisés par la chaîne.
Bienvenue dans l’univers du Far West environnemental et de l’écoblanchiment.
Sincèrement, qui n’est pas « vert et durable » aujourd’hui? De l’aviation à l’ultra-polluante industrie des sables bitumineux, tout le monde se rêve déjà carboneutre en 2050. Comment? On trouvera bien quelque chose d’ici là, ou pas, qu’importe! Aujourd’hui, ce qui compte, c’est de se dire « vert » haut et fort.
Pour découvrir l’ampleur du phénomène, je vous recommande vivement ce webinaire sur l’écoblanchiment climatique du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).
Par exemple, Julien Beaulieu, chargé de cours en droit de la concurrence à l’Université de Sherbrooke et auteur du rapport du CQDE sur l’écoblanchiment paru en 2022, m’a rappelé que le Bureau de la concurrence du Canada enquête actuellement sur la RBC en raison d’une plainte pour écoblanchiment. À grands coûts de marketing, la banque prétend notamment que ses prêts et activités seront zéro émission nette en 2050, ce qui ne l’empêche pas d’apporter encore largement son soutien financier à l’industrie des combustibles fossiles.
Des mots vidanges
Évidemment, ça paraît mal quand on se fait prendre la main dans le sac poubelle de ses paroles.
Bien sûr, on a tellement envie de croire aux slogans plus vertueux les uns que les autres des entreprises, alors le public est bouleversé en découvrant qu’au mieux elles exagèrent. Et qu’au pire, elles mentent.
Aujourd’hui, ce qui compte, c’est de se dire « vert » haut et fort.
Les actions anti-environnementales de Couche-Tard n’étaient pas bien compliquées à révéler, cela prenait juste la volonté médiatique de le faire. Il suffisait de suivre des dumpster divers, ces gens qui trouvent des pépites alimentaires dans des poubelles comme celles des Couche-Tard. Les mêmes qui, depuis des années, alertent sur le nombre d’aliments encore comestibles qui sont jetés quotidiennement.
Ce qui étonne aussi, c’est le nombre de personnes qui étaient au courant, depuis tant d’années. Bien sûr, les dumpster divers, mais aussi des gérant·es, des employé·es et même des personnes démunies qui pouvaient récupérer quelques pièces en recyclant à la place de Couche-Tard.
La vérité, c’est que jeter coûte moins cher : tout est un déchet, sauf si un consommateur donne de la valeur en passant à la caisse.
Combien d’autres commerces adoptent ces comportements antisociaux et environnementaux?
Et ce… en toute légalité.
En effet, rien n’empêche Couche-Tard de sacrer aux vidanges ses invendus et ses contenants recyclables, sauf peut-être des valeurs morales auxquelles l’entreprise est de toute évidence insensible.
Légalement, il est possible de déposer une plainte auprès du Bureau de la concurrence lorsqu’une entreprise fait des déclarations environnementales fausses ou trompeuses, mais je n’ai vu nulle part Couche-Tard prétendre vouloir recycler ses contenus.
Un gros coup de bâton, s’il vous plaît
Je trouve que la lutte à l’écoblanchiment est devenue du greenwashing à force de ne pas être suffisamment encadrée.
Cette mignonne petite fiche d’information sur l’écoblanchiment sur le site Web du gouvernement du Québec donne le ton : « Comment fait-on pour savoir si le produit est véritablement écologique? […] Eh bien, il n’existe pas encore de réglementation. Il faut bien lire les étiquettes comme lorsqu’on achète de la nourriture. On peut aussi s’informer sur Internet ou auprès des gens qui travaillent dans le magasin. Chose certaine, il faut demeurer vigilant! », peut-on lire candidement.
Cher·es consommateur·trices, sachez donc qu’il est de votre responsabilité de plonger dans les poubelles des entreprises afin de vérifier si celles-ci adoptent de bonnes pratiques environnementales ou de jouer aux journalistes en interrogeant leurs employé·es.
La lutte à l’écoblanchiment est devenue du greenwashing à force de ne pas être suffisamment encadrée.
Ne vous arrêtez pas aux entreprises alimentaires, vérifiez aussi les poubelles des quincailleries, comme Home Depot qui jette aussi des tonnes de produits neufs depuis des décennies bien que la compagnie se justifie en disant rechercher « continuellement des occasions de réduire, réparer, réutiliser et recycler ».
Coudonc, ça a l’air ben compliqué d’arrêter de jeter des produits neufs et de la nourriture à la poubelle, alors que les organismes et banques alimentaires implorent pour recevoir des dons.
La vérité, c’est que jeter coûte moins cher : tout est un déchet, sauf si un consommateur donne de la valeur en passant à la caisse. C’est révoltant, c’est inacceptable et c’en est assez.
Actuellement, les cadres légaux sur le recyclage, le gaspillage et l’écoblanchiment sont lacunaires, déficients et dommageables pour la population, l’environnement et l’économie. « On se fie beaucoup aux efforts du marché et à la volonté des entreprises d’offrir des produits écoresponsables et de se fixer des objectifs de réduction de GES. Mais à un moment donné, on voit que l’approche volontaire, ça ne fonctionne pas », commente Julien Beaulieu.
Donner des carottes aux entreprises pour les inciter à adopter de bonnes pratiques, c’est bien. Mais il est dorénavant temps de donner des coups de bâtons à celles qui s’enrichissent tout en nuisant à la transition socioécologique.
Des pratiques nuisibles, des solutions accessibles
L’avocat fait remarquer à quel point les mauvais joueurs « bousillent le système ». Outre le fait qu’ils attisent la méfiance du public envers les déclarations environnementales, ils faussent la concurrence avec les « bons joueurs » qui, eux, investissent vraiment de l’argent et du temps dans de bonnes pratiques environnementales. « Juste à côté [des bons joueurs], il y a leurs concurrents qui ont exactement les mêmes déclarations et engagements qu’eux, mais qui ne dépensent pas un sou dans des changements concrets! » s’indigne Julien Beaulieu.
Coudonc, ça a l’air ben compliqué d’arrêter de jeter des produits neufs et de la nourriture à la poubelle!
Il s’avère que le gouvernement canadien réfléchit actuellement à une réforme de la loi sur la concurrence, une occasion de resserrer le cadre réglementaire. M. Beaulieu recommande notamment d’interdire les « déclarations environnementales génériques », c’est-à-dire celles qui ne sont pas précises – comme s’engager à « réduire les déchets » –, ainsi que les « déclarations environnementales prospectives », à savoir celles qui ne sont pas appuyées par des changements concrets et des engagements à court terme.
« Dès que quelqu’un s’engage à faire quelque chose en 2050, ça prend une trajectoire, des engagements à court terme et des cibles intermédiaires et vérifiables, sinon cela ne veut strictement rien dire », appuie l’avocat Beaulieu.