Analyse

La mode écoresponsable existe-t-elle vraiment?

Le marketing vert trompe des milliers de consommateur·trices chaque année. Pour contrer ce phénomène, les gouvernements, les entreprises et les acheteur·euses auraient tou·tes un rôle à jouer.

Le géant de l’industrie de la mode H&M fait actuellement face à une poursuite. Son crime? Il aurait mené en berne des milliers de consommateur·trices en proposant une gamme de vêtements qui serait faussement « écoresponsable. » Mais le cas d’H&M n’est malheureusement pas unique. Ce phénomène a un nom : écoblanchiment, verdissement ou greenwashing, en anglais.

Le terme écoblanchiment fait son apparition en 1986. Il cherchait alors à décrire les pratiques des hôtels qui demandent à leur clientèle de réutiliser leurs serviettes plutôt que d’en prendre de nouvelles à chaque usage. Prétextant ainsi « sauver la planète », les hôtels y voyaient une occasion d’économiser temps et argent sur la lessive.

L’écoblanchiment, s’il peut aujourd’hui se décliner de plusieurs manières, désigne toute forme de publicité trompeuse qui prétend à des politiques ou procédés respectueux de l’environnement, sans que soit posé de geste réel pour diminuer l’impact environnemental.

Alors que les enjeux climatiques sont au cœur des discours sociaux actuels, le phénomène de l’écoblanchiment a lui aussi le vent dans les voiles. Selon une étude publiée en 2021 par la Changing Markets Foundation, chez les 46 compagnies textiles étudiées (dont faisaient partie H&M, Nike, Zara, et bien d’autres grandes marques), 59 % des prétentions écologiques seraient erronées, partiellement ou complètement.

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Un encadrement légal

Afin de freiner le phénomène de fausses déclarations écologiques, le gouvernement provincial québécois compte sur la Loi sur la protection du consommateur. Au fédéral, on retrouve le Bureau de la concurrence, qui chapeaute trois lois à cet effet : la Loi sur la concurrence, la Loi sur l’étiquetage des textiles et la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation.

« Le Bureau joue un rôle d’enquêteur et de procureur, et se réfère aux lois et certifications environnementales pour déterminer si une publicité est fausse ou trompeuse », explique Julien Beaulieu, chargé de cours sur le droit de la concurrence à l’Université de Sherbrooke. C’est notamment en vertu d’une entente avec le Bureau que la compagnie de café Keurig Canada avait dû payer une amende de 3,8 millions $ l’an dernier, à la suite de déclarations environnementales fausses quant à la recyclabilité de ses dosettes de café à usage unique.

Mais Keurig n’aura pas souffert que financièrement de cette affaire : faire de l’écoblanchiment engendrerait également une perte de confiance de la clientèle.

C’est du moins les résultats d’une étude publiée en 2022 dans la Harvard Business Review. Elle démontre que les entreprises ayant fait partie d’un scandale lié à l’écoblanchiment auraient vu une diminution de 1,34 % du taux de satisfaction de leur clientèle. Si ce chiffre semble minime à première vue, cette diminution aurait un impact direct sur la performance d’une entreprise, notamment sur le taux des ventes et de rétention.

L’écoblanchiment aurait également des conséquences à une plus large échelle que celle de l’entreprise. Pour Caroline Larocque, chargée de projets en développement durable et communication pour le Collectif Communication Citoyenne, le phénomène nuirait à la transition socio-écologique en cours « en semant la confusion chez les consommateur·trices et en banalisant les solutions réelles aux enjeux environnementaux ».

Des entreprises en (dé)croissance

Si l’on pose souvent l’écoblanchiment comme un problème de transparence des entreprises, le réel enjeu s’inscrirait plutôt dans l’urgence de freiner la consommation, qu’elle soit écologique, verte ou responsable. C’est le constat que font plusieurs environnementalistes, ainsi que de nombreuses entreprises écoresponsables, qui ont fait le pari d’opter pour un modèle d’affaires essentiellement minimaliste.

« Il faut qu’on consomme moins, globalement. »

C’est le discours que porte Julie Rochefort, présidente de la compagnie québécoise de mode écoresponsable Message Factory. Son entreprise, fondée en 2005, propose des vêtements éco-responsables neufs, mais encourage ses consommateur·trices à revoir leurs besoins avant d’acheter. Même discours du côté d’Abaka, entreprise écoresponsable basée à Shawinigan. Le fondateur Mario Hamelin, qui a mis temps et énergie sur son entreprise depuis plus de 20 ans, mise avant tout sur un modèle d’affaires (et de vie) minimaliste.

« La mode écoresponsable va au-delà du choix de la fibre. Elle implique de revoir le modèle d’affaires et toutes les étapes de production dans le but d’en réduire les impacts négatifs tout au long du processus », explique Caroline Larocque, qui voit la lutte à la surconsommation comme un enjeu primordial.

Ralentir et réduire

Au Québec et à l’international, de plus en plus de certifications existent pour guider les consommateur·trices. Le ministère de l’Environnement provincial a d’ailleurs mis sur pied un pertoire des « écoétiquettes », afin de fournir des renseignements sur les caractéristiques environnementales des produits. Le Bureau de la concurrence fédéral offre également une série de conseils aux consommateur·trices afin de mieux contrer l’écoblanchiment.

Mais la loi fait-elle suffisamment pour encadrer les entreprises? Pour Caroline Larocque, il y a encore beaucoup à faire en termes de législation pour éviter l’écoblanchiment au Canada.

« Récemment en France, un décret a été accepté relativement aux allégations de neutralité carbone dans la publicité. La carboneutralité est de plus en plus utilisée par les entreprises à tort et à travers. Ce décret vient mettre des balises sur son utilisation pour s’assurer qu’ils ne soient utilisés que par les compagnies ayant entrepris des actions réelles de réduction des émissions carbone […] ». Ce type de modèle pourrait inspirer le Canada, croit la chargée de projet.

Pour l’environnementaliste André Bélisle, président et cofondateur de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), les certifications écologiques seraient de trop modestes mesures pour répondre à l’ampleur de la crise climatique.

« Il ne faut pas avoir peur des mots. On est face à l’effondrement. Face à la crise climatique, il faut que les gens comprennent les enjeux et les impacts. Il faut un changement de paradigme : pas seulement en parler, mais y consentir. C’est notre droit à la santé, notre droit à un environnement sain », défend André Bélisle.

Professeur au département du management à HEC Montréal, Yves-Marie Abraham défend lui aussi que la solution à l’écoblanchiment ne serait pas simplement de respecter des standards de production, mais bien de freiner cette production. « Si on veut être cohérent sur le plan écologique, il faut accepter qu’on va produire moins », défend le professeur. « Nous n’avons jamais été capables de générer une croissance propre. C’est un mensonge. Lorsqu’on a une croissance, on assiste à une dégradation sur le plan écologique. »

Précision : L’explication du rôle du Bureau de la concurrence a été ajustée pour mieux refléter les pouvoirs de ce dernier. (31-08-2022)

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