
Écoblanchiment : le Canada ne peut plus se contenter d’un cadre juridique incomplet, défend le CQDE
La hausse des déclarations trompeuses en matière d’environnement inspire des avocats à demander de plus sévères réglementations.
Le 27 septembre dernier, le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) a publié le rapport Écoblanchiment climatique : comment renverser la vapeur. Le rapport dresse un portrait du cadre juridique actuel au Québec et au Canada, et propose aux décideur·ses politiques une série de recommandations inspirées des meilleures pratiques dans le monde. Les auteurs en appellent à une meilleure justification et divulgation de la part des entreprises, ainsi qu’à une supervision systématique afin de lutter contre l’écoblanchiment.
Alors que l’écoblanchiment (greenwashing) est en hausse partout à travers la planète, les déclarations climatiques trompeuses des entreprises nuisent inéluctablement à la défense de l’environnement. Comment les consommateur·trices, les organismes ou encore les investisseur·ses peuvent-ils prendre des décisions éclairées, si aucune loi ne régit l’utilisation de termes comme « carboneutralité »?
C’est ce vide juridique qui a incité les juristes membres du CQDE à se pencher sur l’enjeu de l’écoblanchiment, véritable fléau dans la lutte aux changements climatiques.
Un cadre juridique insuffisant
À l’heure actuelle, le cadre juridique canadien régissant les déclarations fausses ou trompeuses en matière d’environnement serait largement « incomplet », selon l’avocat en droit de la concurrence Julien O. Beaulieu, chargé de cours à l’Université de Sherbrooke et auteur principal du rapport. Au fédéral et au provincial, les lois sur la protection du consommateur régissent les fausses déclarations de manière générale, sans toutefois s’attaquer précisément aux déclarations climatiques.
« Actuellement, au Canada, si une entreprise fait des déclarations fausses ou trompeuses, une plainte doit être émise au Bureau de la concurrence, qui prend en charge le dossier. Le Bureau peut lui aussi effectuer des vérifications, mais celles-ci ne se font pas de manière systémique. Les entreprises peuvent donc dire et faire ce qu’elles veulent, jusqu’à ce qu’elles se fassent démasquer », explique Julien O. Beaulieu.
Le Bureau de la concurrence du Canada énonce sur son site Web des lignes directrices quant à la publicité trompeuse liée à l’environnement. Les déclarations environnementales doivent notamment être fondées et vérifiables, et ne pas être exagérées. Dans un Sommet sur la concurrence et la croissance verte tenu le 20 septembre dernier, le Bureau a d’ailleurs réaffirmé l’importance donnée à la lutte à l’écoblanchiment. Mais concrètement, dans sa mouture actuelle, le Bureau ne prévoit pas d’encadrement plus précis.
« Les entreprises peuvent dire et faire ce qu’elles veulent, jusqu’à ce qu’elles se fassent démasquer. »
Julien O. Beaulieu, avocat en droit de la concurrence
Pour des vérifications et des obligations plus systématiques
Pour élaborer ses recommandations, le CQDE s’est basé sur les quatre fondements d’un « cadre juridique efficace » : la qualification, la justification, la divulgation et la surveillance. Les recommandations s’articulent donc en vertu des principes selon lesquels les entreprises devraient qualifier leur plan climat et justifier celui-ci par des preuves, que l’information soit accessible et divulguée au public, et qu’un système de surveillance soit mis en place afin de superviser le tout.
Ainsi, le rapport recommande que soit élaborée une norme de divulgation pour les déclarations climatiques, en plus de règles claires de comptabilité carbone, de compensation et de déclaration.
Les auteurs du rapport prennent comme exemple le cas de la France, où les entreprises doivent exposer directement leur plan de transition selon un cahier de charges précis. « Si un produit énonce par exemple être carboneutre, le produit affiche un code QR qui renvoie à la page Web de l’entreprise, où figurent le plan de transition, l’empreinte carbone du produit et les mécanismes de compensation carbone », explique l’avocat. L’information est ainsi à la portée du public.
« Changer la loi pour ajouter des sanctions spéciales en matière environnementale, c’est quelque chose qui peut se faire en l’espace de quelques mois »
Julien O. Beaulieu
Le rapport recommande également la mise en place d’équipes d’enquête mandatées de surveiller le marché, un peu à l’instar de ce que fait actuellement en matière de supervision le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.
« Ce qu’on aimerait, c’est que les agences comme le Bureau puissent être proactives. Qu’il y ait une supervision de manière systémique, et non pas seulement un régime réactif dans le traitement des plaintes, comme c’est actuellement le cas », défend l’auteur principal.
Des réformes qui ne demandent qu’une volonté politique
Bien qu’ayant des ressources limitées, le Bureau de la concurrence a mis en place dans les dernières années une équipe entièrement dédiée à l’économie numérique. « Une équipe semblable pourrait être mise en place pour les questions environnementales », croit Julien O. Beaulieu.
Le CQDE identifie plusieurs options qui pourraient renforcer l’encadrement de la publicité à caractère environnemental. Parmi celles-ci figurent les organismes de certifications, qui permettent d’assurer l’uniformité des certifications promues par les entreprises. C’est le cas par exemple de la certification biologique au Canada : pour recevoir cette accréditation, les entreprises doivent en faire la demande et sont tenues de fournir des renseignements détaillés sur leurs processus, conformément aux normes biologiques canadiennes. De telles certifications pourraient être pensées en vertu de normes climatiques.
Les recommandations du rapport sont atteignables et certains changements pourraient être réalisés assez rapidement, croit l’auteur du rapport. « Le Parlement [canadien] a réformé la loi sur la concurrence au printemps dernier, en changeant quelques dispositions. Changer la loi pour ajouter des sanctions spéciales en matière environnementale, c’est quelque chose qui peut se faire en l’espace de quelques mois », défend Julien O. Beaulieu.
La version intégrale du rapport est disponible sur le site Web du CQDE.
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