
COP15 : accord « historique » ou « insuffisant » pour protéger la biodiversité?
Le nouveau cadre mondial de protection de la biodiversité marque un pas vers l’avant, mais plusieurs doutes demeurent sur sa mise en œuvre réelle.
Adopté à Montréal lundi par près de 200 pays réunis pour la 15e Conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15), le cadre mondial de protection de la biodiversité comporte plusieurs avancées, mais ne contient pas tous les mécanismes qui permettraient d’assurer sa concrétisation.
La COP15 a finalement mené à l’adoption d’un cadre mondial pour freiner le déclin de la biodiversité, une victoire en soi puisque c’était loin d’être acquis, rappelle Anne-Céline Guyon, chargée de projet climat chez Nature Québec.
Les mesures phares de l’accord sont les engagements à protéger 30 % du territoire terrestre et marin, à diminuer de moitié les risques reliés aux pesticides et à réduire les subventions néfastes à la biodiversité de 500 milliards $, le tout d’ici 2030.
Les pays riches se sont aussi engagés à fournir ensemble 30 milliards $ annuellement pour aider les pays en développement à atteindre les objectifs de conservation de la nature.
Un financement insuffisant
« Les 30 milliards $ seront insuffisants, et risquent de ne pas atteindre les communautés qui en ont besoin », prévient d’emblée Valentin Engobo, leader du village autochtone de Lokolama en République démocratique du Congo. « C’est une crise mondiale, ça demande des investissements records et ce n’est pas ce qu’on observe ici », poursuit Marie-Josée Béliveau de Greenpeace Canada.
Valentin Engono s’inquiète aussi de la transparence et de la traçabilité du financement qui sera mis en place, rappelant le malheureux précédent des projets de lutte aux changements climatiques. « On a donné des fonds par-ci par-là, mais ils n’ont pas donné de projets concrets auprès des communautés visées. L’argent se volatilise auprès des exécutants », dénonce-t-il.
« C’est pourquoi il faut absolument qu’on donne l’argent directement aux communautés autochtones pour que ce soit vraiment elles qui gèrent ces fonds-là, du moins pour ce qui touche à leur territoire », réclame Marie-Josée Béliveau.
« Les organisateurs ont tenu compte de nos droits et je les remercie, mais nous sommes inquiets qu’après ils s’éclipsent et continuent à faire comme si de rien n’était. »
Valentin Engobo, leader autochtone du village de Lokolama
Les droits autochtones reconnus sans être assurés
Anne-Céline Guyon se réjouit tout de même que le cadre mondial signé cette semaine comporte de nombreux énoncés rappelant l’importance d’impliquer les populations locales et autochtones dans l’atteinte des objectifs et de reconnaitre leur savoir-faire. « La reconnaissance des droits humains est réellement au cœur de ce texte et les communautés locales vont pouvoir s’y accrocher pour mener leurs combats dans leurs pays respectifs », remarque-t-elle.
Une perception nuancée par Valentin Engobo. « Les organisateurs ont tenu compte de nos droits et je les remercie, mais nous sommes inquiets qu’après ils s’éclipsent et continuent à faire comme si de rien n’était », confie-t-il.
Il se questionne notamment sur les structures concrètes qui seront mises en place pour intégrer les peuples autochtones à la gestion de leur territoire. « Il va falloir reconnaitre que les peuples autochtones ont eux-mêmes des structures et ne pas imposer celles des intervenants », prévient-il. « On est censé travailler ensemble, mais les partenaires n’écoutent pas et arrivent avec leurs structures, en pensant que tout va bien aller », prévient-il.
Pas d’encadrement pour les entreprises
Le cadre mondial ne contient pas non plus de mesures précises pour encadrer les activités du secteur privé dans les milieux naturels, remarque Anne-Céline Guyon. Elle rappelle que même les nombreux lobbyistes des industries minières et forestières présents à la conférence étaient pourtant d’avis qu’un encadrement plus rigoureux était nécessaire.
« On risque de se retrouver avec des protections qui n’existent que sur le papier. »
Marie-Josée Béliveau, Greenpeace Canada
Pour Marie-Josée Béliveau, c’est d’autant plus inquiétant que l’objectif de 30 % de protection du territoire n’exclut pas qu’il y ait des activités dommageables dans ces zones. « Sans mesures pour encadrer l’industrie, on risque de se retrouver avec des protections qui n’existent que sur le papier », remarque-t-elle.
L’entente ouvre aussi la voie à l’adoption de « crédits de biodiversité » qui permettraient aux compagnies de compenser la destruction d’un milieu naturel en déboursant des sommes pour des activités de restauration. Une approche inspirée des crédits carbone déployés pour la lutte aux changements climatiques, mais qui relève de l’écoblanchiment dans le contexte de la biodiversité et sera carrément nuisible, selon les deux environnementalistes.
Maintenir la pression pour assurer le succès
La COP15 aura toutefois eu le grand avantage de faire comprendre aux populations toute l’importance de la crise de la biodiversité, souligne Anne-Céline Guyon. « Nous sommes beaucoup mieux placés pour talonner nos gouvernements pour qu’ils mettent en place des mesures claires pour la suite », se réjouit-elle.
Greenpeace encourage d’ailleurs le ministre de l’Environnement du Canada Steven Guilbeault à concrétiser l’accord, qu’il qualifie d’« historique », dans la loi canadienne. « Nous lui avons déjà proposé d’adopter une première loi réellement contraignante pour la protection de la biodiversité, avec des mécanismes de reddition de compte et une reconnaissance des droits autochtones. À lui d’agir », lance Marie-Josée Béliveau.
De son côté, Valentin Engobo mise plutôt sur notre vigilance collective pour s’assurer que l’accord ne reste pas que de belles paroles. « En ce moment [les signataires] se tapent la poitrine, mais ils peuvent retourner à leurs habitudes, à moins qu’il y ait un suivi serré et que la presse reste intéressée jusqu’à ce que toutes les résolutions prises ici voient une mise en œuvre effective. »