
Mobilisation contre la COP15 : une conférence « au service du capitalisme vert »
Une coalition écologiste entend perturber la 15e Conférence de l’ONU sur la biodiversité qui se tiendra à Montréal dans les prochains jours.
Après la COP27 sur les changements climatiques ayant eu lieu en Égypte durant le mois de novembre, ce sera au tour de la conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15) d’être accueillie à Montréal du 7 au 19 décembre prochains. Bien que plusieurs groupes écologistes se mobilisent pour faire pression sur les décideurs qui y seront présents, seulement quelques-uns vont jusqu’à faire ouvertement la critique de la conférence.
Contre l’inefficacité des précédentes COP sur la biodiversité et ce qu’elle considère être « de beaux discours au service du capitalisme vert », la Coalition anticapitaliste et écologiste contre la COP15 prévoit une grève étudiante, un contre-sommet ainsi que plusieurs autres actions de contestation qui visent explicitement à « bloquer » la conférence.
Elle réunit « bon nombre de personnes en provenance des milieux syndicaux, étudiants et communautaires » autour d’une remise en question de l’utilité même de la conférence.
Une situation alarmante
Les représentants de 196 pays se réuniront en décembre prochain à un moment particulièrement critique pour l’avenir de la biodiversité mondiale. Effectivement, l’état de 75 % des habitats terrestres et 66 % des écosystèmes marins ont été altérés gravement par l’activité humaine, selon le plus récent rapport de l’IPBES (un panel intergouvernemental similaire au GIEC qui étudie les questions de biodiversité).
Presque un million d’espèces sont menacées d’extinction sur terre, dont beaucoup dans les dix ans.
Plus préoccupant encore, le rapport constate qu’environ les trois quarts de l’agriculture mondiale dépendent d’insectes pollinisateurs qui vivent en ce moment un inquiétant déclin.
On y apprend aussi que depuis 1870, c’est plus ou moins la moitié des récifs de corail mondiaux qui sont morts du réchauffement et de l’acidification des océans. D’autres études révèlent que les rendements de pêches associées à ces coraux ont diminué de 60 % depuis 1950.
Un million d’espèces sont menacées d’extinction sur terre, dont beaucoup dans les dix ans.
Plus encore, comme le mentionne Dominique Gravel, professeur de biologie à l’Université de Sherbrooke et spécialiste de la modélisation de la biodiversité, les changements climatiques s’ajoutent aux menaces qui planent au-dessus de la biodiversité mondiale. Certaines études ont montré que nous nous rapprochons dangereusement du point où la capacité d’adaptation des organismes vivants aux changements climatiques sera dépassée par la rapidité et l’intensité de la crise du climat.
Devant ces constats, les résultats concrets de la Convention sur la diversité biologique de l’ONU et de ses protocoles se font encore en grande partie attendre. Des vingt « objectifs d’Aichi » déterminés lors de la COP10 en 2010, qui avaient pour but de s’attaquer aux causes sous-jacentes du déclin de la biodiversité, aucun n’avait été atteint en 2020 et seulement six pouvaient être considérés comme partiellement atteints.
« Clairement non. Les moyens ne sont pas suffisants », avoue le professeur Gravel, tout en soulignant qu’il y a quand même matière à rester optimiste tant que la conférence ne sera pas terminée.
Pas juste inefficace, dangereux
Mais certaines des propositions de la conférence sont hautement contestables, contribuant à une « mascarade » qui consolide la puissance des intérêts privés sur la nature, nous disent deux membres de la Coalition anticapitaliste et écologiste contre la COP15, qui se sont porté·es volontaires pour parler à Pivot de leurs critiques et revendications*.
Les crédits biodiversité, par exemple, qui permettent à des entreprises ou des gouvernements de « détruire un milieu naturel en investissant dans un autre », sont basés sur une conception de la biodiversité qui permet « une privatisation et une marchandisation du vivant », selon eux.
Cette approche financiarisée de la crise de la biodiversité cherche à régler des « problèmes complexes avec des solutions monolithiques », remarquent les membres de la Coalition. Dans la pensée des décideurs de la COP15, le déclin de la biodiversité serait le résultat d’une mise en valeur inadéquate des « services écosystémiques » qu’elle fournit : il suffirait donc de lui apposer un prix pour que sa valeur transparaisse sur le marché et soit enfin prise en compte par les États et les compagnies.
L’approche financiarisée de la crise de la biodiversité cherche à régler des « problèmes complexes avec des solutions monolithiques », selon les membres de la Coalition.
Or, ce qui a un prix peut toujours être acheté. Et les écosystèmes étant de véritable « réseaux d’interdépendance, 50 espèces pollinisatrices ne sont pas échangeables contre 20 jeunes arbres ni contre deux oiseaux en voie de disparition », explique la Coalition dans son journal.
L’objectif de protéger de 30 % de la surface terrestre d’ici 2030 est également critiqué par la Coalition, qui rappelle que la « protection » d’un milieu naturel est trop souvent synonyme de l’expulsion des populations qui y vivent et qui sont pourtant mieux outillées pour en prendre soin que les grandes ONG qui les exproprient. La conservation de la nature est ainsi une des nombreuses manières par lesquelles se perpétuent le colonialisme et l’impérialisme du Nord sur le Sud.
Un autre monde est possible
Il faut donc « arrêter de croire que les COP peuvent nous sauver », soutiennent les membres de la Coalition interrogé·es.
Malgré leur ton principalement critique, ils reconnaissent aussi la nécessité de penser des alternatives concrètes aux propositions de la COP, pour endiguer sérieusement le déclin bien réel de la biodiversité.
Il faut « faire bouger le paradigme » du capitalisme et du colonialisme, selon la Coalition.
Ces solutions mises de l’avant par la Coalition sont avant tout beaucoup plus localisées et spécifiques que ce que peut professer la COP. Une grande partie d’entre elles sont intrinsèquement liées à l’autodétermination des Autochtones sur leurs territoires.
Elles sont également beaucoup plus profondes dans leurs implications politiques : s’éloigner de l’extraction effrénée des ressources naturelles, du capitalisme et du colonialisme, dans une « réorganisation sociale et économique » vers une réelle « harmonie avec la nature ». Il s’agit de « faire bouger le paradigme » comme l’a mentionné un·e des militant·es interrogé·es.
Quant à leurs liens avec d’autres groupes écologistes moins radicaux, comme le Collectif COP15, les membres rencontré·es estiment n’avoir « pas la même lecture » des enjeux, mais conviennent que « les objectifs [de ces autres groupes] sont louables ». C’est d’ailleurs dans cet esprit que la Coalition a récemment publié un appel à la solidarité et au respect de la diversité des tactiques.
En vue du début prochain de la conférence, un appel à des actions autonomes a été lancé et la Coalition prévoit une présence active à la plupart des manifestations autour de la COP15. Les ateliers d’éducation populaire sur les enjeux de biodiversité qu’elle mène depuis quelques semaines maintenant devraient également se poursuivre.
* Considérant la diversité des tactiques utilisées par la Coalition anticapitaliste et écologiste contre la COP15, les membres interrogé·es ont préféré garder l’anonymat et ont mentionné ne pas parler au nom de la Coalition, mais être « des membres qui se sont portés volontaires pour parler aux médias ». Les deux personnes interrogées sont étudiantes, dont une en écologie.