Argent et biodiversité : bilan de la COP15

Pendant la Conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15), on a pu entendre une litanie de beaux discours expliquant toute l’importance de la biodiversité et l’urgente nécessité de la protéger. Mais quand il s’agit d’allonger des sous pour y arriver, le ton change. Le système financier s’accorde encore très mal avec la nécessité de protéger l’environnement.

L’un des enjeux les plus discutés, à juste titre, a été le financement nécessaire du nouveau cadre mondial pour protéger la biodiversité, les pays développés étant fortement réticents à trouver les sommes nécessaires pour compenser les dégâts qu’ils ont faits dans les pays du Sud.

On ouvrait ici un nouvel épisode d’une bataille entamée depuis longtemps et qui, dans les COP sur le climat, est liée à la notion des « pertes et préjudices », exigeant des pays du Nord de semblables compensations devant des désastres équivalents.

La réticence des pays développés – notamment l’Union européenne – à donner davantage vient du fait qu’ils manqueraient d’argent et que les sommes demandées seraient trop élevées : on parle d’un montant nécessaire de 700 milliards $.

Pourtant, il est clair qu’il serait possible de recueillir ce montant, alors que les inégalités sociales sont tellement flagrantes. Les idées pour arriver à une meilleure distribution de la richesse ne manquent pas : lutte contre l’évasion et l’évitement fiscaux, taxe sur le capital, taxe sur les transactions financières, écofiscalité, etc.

Des financiers bien présents

Le monde de la finance n’a jamais cessé de faire obstacle à ces projets.

Il était très présent à la COP15. On pouvait compter plus de 1000 représentant·e·s d’entreprises parmi les personnes enregistrées. Bien qu’il n’y avait pas de commanditaires privés comme dans les COP sur le climat, affichant leurs marques bien visiblement, le milieu des affaires a clairement pris sa place. Une journée entière, le mercredi 14 décembre, a été consacrée aux liens entre la finance et la biodiversité.

Plusieurs entreprises avaient intérêt à ce que le cadre mondial de protection de la biodiversité négocié pendant la COP soit le plus réduit possible. Notamment les compagnies de pesticides, représentées par le lobby CropLife, qui n’ont certes pas avantage à ce que d’ambitieuses cibles de réduction soient atteintes.

Mais on peut penser aussi aux compagnies minières qui s’installent là où elles le veulent, sans grandes préoccupations environnementales et souvent en conflit avec les populations autochtones.

Ou à l’agro-industrie et aux compagnies forestières dont l’expansion se fait aux dépens de la biodiversité.

Quand il s’agit d’allonger des sous pour protéger la biodiversité, le ton change.

Pourtant, la stratégie du milieu de la finance n’a surtout pas été celle d’une confrontation parfois agressive, comme on l’a vu dans les COP sur le climat. Les entreprises les plus en évidence se sont montrées favorables à la biodiversité en soutenant clairement la « cible 15 » du projet d’entente, demandant « des exigences obligatoires pour toutes les grandes entreprises et institutions financières d’évaluer et de divulguer leurs impacts et dépendances à l’égard de la nature d’ici 2030 ».Plus de 330 grandes firmes ont appuyé cette demande.

Le terme « obligatoire » peut surprendre, la finance ayant plutôt tendance à défendre les « engagements volontaires sectoriels ».

Mais surtout, cet appui enthousiaste, s’il peut mener à des résultats positifs, ressemble aussi à une opération de diversion et d’écoblanchiment. Un regard sur la liste des entreprises signataires nous faire voir, par exemple, des institutions financières (comme BNP Paribas) qui investissent allègrement dans les énergies fossiles, ou encore des représentantes de l’agro-industrie (comme Nestlé et Unilever) très peu soucieuses de biodiversité dans leurs pratiques quotidiennes.

Des avancées sous les pressions du mouvement social

Ce relatif apaisement du milieu de l’argent a peut-être mené au résultat plutôt satisfaisant de la COP15, un cadre mondial qui répond à plusieurs attentes, notamment en ce qui concerne la protection du territoire, la réduction de l’utilisation des pesticides, la reconnaissance des droits des peuples autochtones, la réduction des subventions dommageables à l’environnement et le financement d’un fonds pour la biodiversité (même si des pays africains se sont montrés mécontents des montants trop bas accordés).

Les pressions du mouvement social et environnemental se sont bien fait sentir, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des lieux de la conférence.

De tels résultats ont été obtenus par un mécanisme de négociation qui a soulevé plusieurs critiques par sa lourdeur, sa lenteur, ses aspects souvent très techniques, les débats étant axés sur de multiples mots entre crochets à conserver ou à rejeter. Mais peut-il en être autrement lorsque tant de pays se retrouvent autour de mêmes tables?

Malgré tout, ces négociations se déroulaient dans une réelle transparence. Toutes les personnes admises dans la zone de COP pouvaient y assister. Les prises de paroles étaient bien partagées, notamment entre les pays du Nord et du Sud.

Les pressions du mouvement social et environnemental se sont bien fait sentir, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des lieux de la conférence. Ce regard constant, appuyé par la puissante nécessité de combattre une catastrophe sans pareille – celle de la disparition d’un nombre plus qu’inquiétant d’espèces –, a été la bonne conscience de la COP, agissant au-delà des intérêts économiques immédiats et démontrant son efficacité.

Certes, ce nouveau cadre ne changera pas tout, même s’il semble pour le moment un pas important dans la bonne direction. Ces bonnes intentions seront-elles suivies par les pays qui l’ont adopté? Ces mesures seront-elles suffisantes pour contrer la grande destruction des espèces? Que découvrirons-nous de cette entente lorsqu’elle sera scrutée à la loupe?

La mobilisation doit donc se poursuivre et en exiger davantage, ne serait-ce que dans les COP sur le climat.

Claude Vaillancourt est président d’ATTAC-Québec. Il a assisté aux activités officielles de la COP15 à Montréal en tant qu’observateur représentant le Front commun pour la transition énergétique.