Selon une croyance populaire, les résident·es d’une municipalité bénéficieraient de la construction de nouvelles résidences parce qu’ainsi, la charge fiscale serait répartie entre un plus grand nombre de contribuables. Dit autrement : l’arrivée de nouveaux·elles résident·es ferait baisser le compte de taxes des résident·es déjà en place. Mais est-ce vrai?
Chose sûre, à Lévis, la forte croissance démographique est loin d’avoir fait baisser les taxes. De 2016 à 2021, la population de cette ville de banlieue est passée de 144 147 à environ 150 000 habitant·es, une hausse de 4,4 %. Pendant la même période, la charge fiscale moyenne des logements a augmenté de 13 % (voir ici et ici), une hausse plus forte que l’inflation.
Deuxième article d’une série de trois sur le 3e lien, l’étalement urbain et le développement frénétique de Lévis.
« 3e lien : des milliards $ pour les constructeurs et des promoteurs »
À venir : « “L’étalement urbain est le plus grand fléau environnemental” »
« Plus de croissance ne signifie pas seulement plus de revenus, c’est aussi plus de dépenses », note Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, un organisme qui dénonce depuis des années l’étalement urbain et le mythe selon lequel le développement n’apporterait que des bienfaits.
Selon ce mythe, une municipalité qui ne se développe pas plongerait dans le marasme financier. Ce n’est pourtant pas ce qui se produit à Baie-Comeau, la municipalité du Québec de plus de 20 000 habitants qui a connu la plus forte décroissance de 2016 à 2021 (-3,9 %). L’année dernière, cette ville de la Côte-Nord a enregistré un surplus budgétaire. Son niveau d’endettement est à son plus bas en quinze ans.
Même phénomène à Kirkland, une ville de l’ouest de l’île de Montréal, relativement aisée et en pleine décroissance.
« Plus de croissance ne signifie pas seulement plus de revenus, c’est aussi plus de dépenses. »
Christian Savard, Vivre en Ville
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Ah ouin?
Le nouveau député de Lévis, Bernard Drainville, fait valoir que les résident·es de Lévis et des autres municipalités de la Rive-Sud sont pris quotidiennement dans l’enfer des bouchons de circulation. « Les gens sont de plus en plus tannés de se faire dire : “vous en avez pas besoin!” », s’est-il exclamé pendant la campagne électorale. « Ah ouin! Viens donc dans notre région, te placer en ligne le matin ou le soir… Tu me le diras après ça, que j’en ai pas besoin, de 3e lien! »
Mais la construction de ce 3e lien sera-t-elle vraiment utile pour la majorité de la population de Lévis? Près des deux tiers des habitant·es habitent dans le secteur ouest de la municipalité, de part et d’autre de la rivière de la Chaudière, qui se jette juste à côté des deux ponts actuels.
De surcroît, la majorité des citoyen·nes de Lévis qui traversent le fleuve se rendent dans l’ouest de Québec, vers Sainte-Foy, Sillery ou Cap-Rouge, et non pas au centre-ville de la vieille capitale, selon la dernière Enquête origine-destination du ministère des Transports.
On ne voit donc pas trop pourquoi les citoyen·nes des arrondissements des Chutes-de-la-Chaudière rouleraient une vingtaine de kilomètres vers l’est pour prendre le tunnel, puis rouleraient encore une vingtaine de kilomètres vers l’ouest pour atteindre une destination joignable en moins de dix kilomètres par un des deux ponts actuels.
Les récentes prévisions démographiques de l’Institut de la statistique du Québec ont par ailleurs montré que les habitant·es de Lévis auront de moins en moins besoin de traverser le fleuve. La proportion de Lévisien·nes âgé·es de 20 à 64 ans va diminuer jusqu’à l’éventuelle mise en service du tunnel. Cette tranche d’âge, qui est active sur le marché du travail, perdra 600 individus. En revanche, les rangs des 65 et ans et plus vont se gonfler de 20 200 personnes d’ici à 2041. Celles-là ne traverseront plus le fleuve tous les matins pour se rendre au travail.
Quant aux résident·es de la ville de Québec, ils et elles sont déjà très peu nombreux·ses (3 %) à travailler à Lévis et à devoir traverser le fleuve.
Contradiction flagrante
Comme nous l’avons vu hier, l’impact le plus tangible de la construction d’un 3e lien risque d’être une migration de résident·es de Québec et de la Rive-Nord du fleuve vers Lévis et les municipalités de la Rive-Sud.
Or, ce projet d’étalement urbain entre en totale contradiction avec la toute nouvelle Politique nationale sur l’aménagement du territoire… qui vise à contrer l’étalement urbain. « L’étalement urbain est coûteux pour le Québec », signale la politique, présentée en juin par Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation.
« Il entraîne des investissements massifs en fonds publics pour l’ajout et le maintien à long terme de nouvelles infrastructures : routes, aqueducs, égouts, casernes, bibliothèques, écoles ou cliniques. Ce type de croissance urbaine, où les infrastructures sont soutenues par un plus petit nombre de personnes, hypothèque les ressources des citoyennes et citoyens ainsi que les finances du Québec. »
« L’étalement urbain est coûteux pour le Québec. »
« Étendre de manière diffuse et éparpillée notre empreinte sur le territoire entraîne également des coûts importants : perte de terres agricoles, dégradation des milieux et des paysages naturels les plus accessibles à la population et perte de biodiversité. »
La politique officielle du gouvernement caquiste renoue avec l’option préférentielle d’aménagement lancée par le gouvernement de René Lévesque à la fin des années 1970, et qui visait la densification du tissu urbain montréalais. On oublie d’ailleurs que René Lévesque avait imposé un moratoire de dix ans sur la construction d’autoroutes.
Cependant, l’ex-ministre des Transports, François Bonnardel, ne voit dans la politique de densification qu’un effet de « mode ».