Blocage des nouvelles par Meta : il ne faut surtout pas craindre de réglementer les géants du Web

L’idée que les GAMMA sont au-dessus des lois est ridicule et doit être combattue, selon Parix Marx.

Les critiques des questions technologiques et des GAMMA (Google, Apple, Amazon, Microsoft et Apple) venant de la gauche ont peu d’écho dans les médias. C’est pour cette raison que Pivot s’est entretenu avec Paris Marx*. Il anime le balado Tech won’t save us (La tech ne nous sauvera pas) et publie une infolettre critique des questions technologiques. 

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Pivot : Que pensez-vous du discours ambiant autour du projet de loi C-18 et de la réponse de Meta, qui bloque les sites de nouvelles au Canada pour éviter d’avoir à leur verser des redevances ?

Paris Marx : Je trouve frustrant de voir qu’une grande partie de la critique du projet de loi qui a été présentée dans les médias reprend l’approche classique « techno-libertarienne », qui avance que la simple idée qu’un gouvernement puisse venir essayer de réguler ces services, de leur imposer des règles, de s’attendre à ce qu’ils se plient au cadre légal, cela serait illégitime en soi.

On entend des gens dire que c’est une taxe sur les hyperliens et que ce genre de réglementation va à l’encontre du cadre technique de l’Internet lui-même. « On ne peut surtout pas faire une chose de la sorte et cela montre une fois de plus que les gouvernements ne comprennent rien à la technologie, et bla bla bla. »

Cet argumentaire donne raison aux géants du Web. Même si les gens qui avancent ces idées ne vont pas clairement dire que Facebook et Google ont raison, c’est un discours qui aide ces entreprises.

Je trouve ridicule l’idée que ces entreprises veulent opérer dans notre pays, mais ne veulent pas se plier aux lois mises de l’avant par nos gouvernements ! 

Dans ce débat, il y a d’un bord le gouvernement qui dit que ces entreprises doivent se plier à cette nouvelle règle et qu’elle est nécessaire pour sauver le journalisme au Canada. Parce que le seul problème du journalisme au Canada, c’est que Google et Facebook ne donnent pas assez d’argent…

De l’autre côté, on avance qu’il est complètement illégitime pour le gouvernement de même suggérer que ces entreprises devraient payer quelque chose. On dit que ces plateformes fournissent déjà plein de clics vers les sites des médias, alors comment peuvent-ils s’attendre à recevoir de l’argent en plus ?

Je trouve ridicule l’idée que ces entreprises veulent opérer dans notre pays, mais ne veulent pas se plier aux lois mises de l’avant par nos gouvernements ! 

On peut reconnaître qu’il y a des critiques à faire de ces lois. Ce n’est pas comme cela que j’approcherais le financement du journalisme. Cependant, si c’est la décision qui est prise en notre nom par notre gouvernement, démocratiquement élu, alors l’idée que ces entreprises multinationales basées aux États-Unis peuvent venir et dire qu’elles ne vont pas s’y soumettre devrait être inacceptable.

Même si je ne suis pas en accord avec le gouvernement, je crois que ces entreprises devraient être soumises aux lois en place si elles veulent opérer ici.

Les arguments comme quoi il s’agit d’une taxe sur les hyperliens, que c’est illégitime, qu’on ne devrait pas s’attendre que ces entreprises acceptent cela, me semblent tellement farfelus. Je ne pense pas qu’ils devraient jouir de la légitimité qui leur ont été donnés par les médias canadiens.

Pourquoi les médias font-ils autant de place à ce discours ?

Paris Marx : En partie, c’est parce qu’il n’y a pas vraiment de tradition de critique de la technologie au Canada. Nos médias, ayant encore moins de ressources que ceux des États-Unis, ont simplement suivi la vague et moussé les avancées de la technologie. Tout ça sans réfléchir aux conséquences plus larges.

Maintenant que la critique de la technologie est plus répandue, ils n’ont pas les ressources internes pour développer cet argumentaire et doivent se tourner vers quelques voix reconnaissables au sein de la société civile canadienne qui ont cette expertise.

Même si ces influenceurs disent être en faveur d’une réglementation, à chaque fois que l’État propose quelque chose, la règle est inacceptable, il y a toujours un problème. C’est assez révélateur.

Les arguments qui viennent de ces personnes sont inspirés par une vision de ces entreprises et de leur rôle dans la société qui a été modelée par le récit libertarien américain autour de la technologie, popularisé lors des premières années de l’introduction de l’Internet. Ces idées ont évolué, mais il persiste au cœur de celles-ci la croyance que la technologie devrait être au-delà de la réglementation et devrait certainement être au-delà du contrôle de l’État.

Même si ces influenceurs disent être en faveur d’une réglementation, à chaque fois que l’État propose quelque chose, la règle est inacceptable, il y a toujours un problème. C’est assez révélateur.

Quelle serait la réponse à ce projet de loi dans une perspective de gauche ?

Paris Marx : L’approche du gouvernement est intrinsèquement erronée. Mais ce n’est pas parce que c’est une « taxe sur les hyperliens » ou qu’il s’agit d’un affront au fondement de l’Internet.

C’est simplement parce que l’idée qu’on va mettre sur pied un mécanisme de financement qui va lier les médias canadiens en difficulté financière à ces entreprises technologiques multinationales, que l’on reconnaît être des forces négatives pour nos sociétés, ce n’est pas une façon de créer un écosystème médiatique meilleur ou plus résilient.

Cela va peut-être, à court terme, permettre à ces médias de recevoir un peu d’argent supplémentaire, mais cela ne règle aucun des problèmes fondamentaux des médias canadiens. On écarte la discussion plus sérieuse des raisons qui font que les médias sont en crise.

L’idée que la démocratie est en danger si l’on n’a pas des médias vibrants, capables de faire des enquêtes et du journalisme local, est une préoccupation valable. Les médias sont essentiels pour la compréhension de ce qui se passe dans nos communautés et pour demander des comptes à nos élu·es.

Si on est inquiet pour la situation de la presse au Canada, et qu’on veut s’assurer qu’elle a les ressources nécessaires pour faire son travail, il va falloir qu’on discute sérieusement de ce à quoi cet écosystème devrait ressembler.

Comment est-ce que cela devrait être financé ? Quel est le rôle du financement public ? Avec la disparition du modèle d’affaires basé sur la publicité, le financement public aura certainement un rôle à jouer. Est-ce qu’on taxe les revenus de la publicité numérique ? Est-ce qu’on taxe les entreprises technologiques ? Est-ce qu’on augmente l’impôt des entreprises et on met cet argent de côté pour payer pour l’actualité ? Il y a plusieurs façons de le faire. 

Comment ces géants du Web ont-ils réussi à s’imposer et accaparer tout ce pouvoir ? Comment les médias en sont-ils devenus dépendants ?

Paris Marx : C’est souvent présenté comme étant inévitable. Une nouvelle plateforme arrive et ensuite, on y est tous et toutes.

Il faut se rappeler que durant les années 1990, 2000 et même 2010, il y avait beaucoup d’enthousiasme à propos de ce que l’Internet allait être. Ce qu’on nous présentait, c’était que l’Internet était un endroit fabuleux, qui nous permettrait de connecter plus facilement avec les gens, d’être nous-mêmes, d’obtenir toute cette information, ce n’était que positif !

On commence à réaliser les conséquences de ne pas avoir trop réfléchi à ce que nous bâtissions en laissant ces entreprises faire ce qu’elles voulaient et en acceptant cela comme quelque chose de foncièrement positif.

Pour une bonne partie de cette période, il y a eu très peu de critique, d’introspection ou même de réflexion, sur ce que nous étions en train de bâtir en allant en ligne et en devenant dépendant·es de ces compagnies. Il n’y avait aucune considération pour le potentiel négatif. Je pense qu’en partie c’est parce que cela servait les intérêts financiers et géopolitiques américains de voir ces entreprises devenir une composante dominante de la façon dont on communique, la façon dont on apprend ce qui se passe dans le monde.

Je pense qu’en raison de cet enthousiasme énorme pour ce que l’Internet pouvait être, les questions plus profondes, les questions sur l’économie politique du Web ont été mises de côté. Elles le sont encore aujourd’hui, mais on commence à réaliser les conséquences de ne pas avoir trop réfléchi à ce que nous bâtissions en laissant ces entreprises faire ce qu’elles voulaient et en acceptant cela comme quelque chose de foncièrement positif.

Alors que ces sites Web se sont imposés, ils ont œuvré à être vus comme des plateformes qui peuvent tout faire.

Prenons Google, qui a débuté comme un simple moteur de recherche. Ensuite, on a ajouté la recherche d’images, un portail de nouvelles, le courriel. Si on pense à l’intérêt financier de ces plateformes, le plus de temps on passe à interagir avec leurs services, le plus d’argent qu’elles font.

Pour Meta, c’est la même chose. Le plus de temps on passe sur la plateforme, le plus d’argent l’entreprise peut faire en récoltant nos données et en nous proposant de la publicité.

Ces plateformes veulent qu’on les utilise et elles ont mis en place des programmes et des incitatifs pour que les médias les investissent.

En plus, il y a l’effet de réseau. Parce que beaucoup de personnes utilisent la plateforme, c’était naturel pour les médias de se dire qu’ils devaient y être, s’assurer d’avoir des pages Facebook, s’assurer de publier sur celles-ci et de payer pour que les gens voient ce qu’ils publient.

Et on ne s’est pas posé la question : est-ce que ça a de l’allure ? Est-ce qu’on devrait être dépendant·es de ces plateformes ? C’était vu comme simplement l’infrastructure de l’Internet, c’est comme ça que ça marche et on n’a jamais considéré que si jamais ces plateformes ne veulent plus de nous, on va être dans la merde. C’est la position dans laquelle on se retrouve aujourd’hui.

Est-ce qu’il y a quelque chose qui peut être fait pour réglementer ces entreprises ?

Paris Marx : La discussion autour des questions anti-monopole et du démantèlement de ces entreprises vient de prendre le bord parce qu’elle a été remplacée par « oh mon Dieu, la grosse Chine épeurante et ses entreprises technologiques menacent les entreprises américaines ! ». De ce point de vue, les compagnies américaines doivent donc être protégées à tout prix, elles doivent demeurer grosses pour compétitionner avec la Chine.

Je pense qu’en ce moment, l’idée qu’on va démanteler ces entreprises est fantaisiste. Nous leur avons permis de bâtir ce pouvoir au cours des dernières décennies et cela va être très difficile de le contester.

Nos gouvernements ont du pouvoir sur un lieu géographique spécifique, alors que ces entreprises, basées aux États-Unis, exercent une influence globale. Imposer une réglementation dans un seul pays, ce ne sera pas facile. Surtout pour un pays comme le Canada, qui n’a pas la taille des États-Unis ou de l’Union européenne. Les GAMMA sont plus susceptibles de jouer dur et de menacer de se retirer. Ils font certainement beaucoup d’argent ici, mais cela ne menacerait pas leur profitabilité.

Mais il ne faut pas avoir peur de leur imposer des réglementations dans notre juridiction. Si elles rechignent et menacent de se retirer, on devrait l’accepter.

On devrait savoir qu’elles pourraient le faire et développer des plans de contingence au cas où elles mettent leur menace à exécution. Si les gens n’obtiennent pas leurs nouvelles par Google ou Facebook, ce n’est pas mal en soi. C’est juste qu’il faut préparer le terrain pour que les gens aient d’autres moyens d’accéder aux informations. 

Lorsque Google a bloqué les liens vers les sites de nouvelles en Espagne, les gens ont trouvé d’autres façons d’accéder aux nouvelles. Même si on réalise que cela va être difficile au début, je pense qu’il y a un bénéfice à se détacher de ces plateformes. Est-ce que la façon dont on accède à l’information, la façon dont on communique, devrait être contrôlée par une poignée de multinationales américaines ?

Ensuite, on voit que l’Australie a imposé une réglementation et que le Canada vient de le faire. On voit que la Californie, l’Union européenne, la Nouvelle-Zélande veulent toutes faire quelque chose de similaire.

À quel moment une coalition de pays décide-t-elle de s’unir pour mettre en place une réglementation qui ne s’applique pas à un pays unique et pour mettre à profit le pouvoir que peuvent exercer des États lorsqu’ils travaillent ensemble ?

* L’entretien a été traduit de l’anglais.

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