Le cinéma Guzzo Méga-Plex Marché central sera le théâtre d’une conférence intitulée Réchauffement climatique : fraude ou réel danger ? le dimanche 10 septembre prochain. Pour la somme de 91,23 $, vous pourrez assister à ce spectacle présenté par les Productions France Québec, le projet du blogueur complotiste Samuel Grenier, en association avec Géopolitique profonde, un site de conseils financiers à saveur conspirationniste proche des milieux antisémites français.
La fin des mesures sanitaires oblige les influenceurs conspirationnistes à chercher de nouveaux sujets d’inspiration. Pour Samuel Grenier, la suite ne fait pas de doutes : « la “passe” climatique, elle s’en vient […] pour restreindre vos droits et libertés », affirme-t-il dans une vidéo publiée le 27 juillet dernier.
« On sait [que l’information sur le climat] est fausse. On sait qu’il s’agit d’une manipulation. On sait qu’ils sont en train de mettre la table et ils ne veulent pas qu’on traite de ça dans la sphère publique », dit-il à son auditoire.
Ainsi, la vidéo annonçait la tenue d’une grande conférence visant à « débattre » de la réalité de la crise climatique : « Les gens sont brainwashés. […] Ils s’imaginent qu’on est juste une gang de fêlés […] de remettre ça en question. […]. C’est pour ça qu’on a besoin d’avoir des spécialistes, des gens qui vont venir simplement émettre des opinions, émettre des faits, donner des statistiques qui vont pouvoir en mettre plein la gueule à ceux qui vont vouloir écouter, que vous soyez d’un bord ou de l’autre. »
Au moment de la publication de cette vidéo, aucun·e expert·e du climat n’était au programme. « Les gens ne veulent pas venir se mesurer à nos panélistes parce qu’ils mentent délibérément. Ils mentent et ils le savent », clamait Grenier. Depuis, le professeur Philippe Gachon, un expert en hydroclimatologie à l’UQAM, est annoncé sur le site Web de l’événement.
« J’ai décidé de participer à la conférence […] pour combattre l’ignorance, contrer le déni », explique le professeur Gachon en entrevue avec Pivot. « Si nous, les spécialistes du climat, on refuse de participer, on laisse la tribune à ces personnes qui font du déni, qui propagent de l’ignorance ou des faits qui ne sont pas basés sur des faits scientifiques. »
Pour le reste, en effet, la conférence réunit plusieurs figures associées aux mouvements conspirationnistes québécois et français.
Qui est Samuel Grenier ?
Samuel Grenier fait partie des influenceurs s’étant fait connaître par les manifestations anti-mesures sanitaires.
Ce comptable explique, en entrevue à une radio de Mont-Laurier, avoir commencé son « blogue » – des capsules vidéos diffusées sur la plateforme Facebook – au début de la pandémie pour informer les entrepreneurs des diverses mesures d’aide disponible. Sa page Facebook a été créée au mois de mai 2020.
Lui-même propriétaire d’un restaurant à Trois-Rivières, il raconte avoir été poussé à prendre la parole lorsque les restrictions sanitaires ont nui à la rentabilité de son établissement et qu’il a été témoin de situations similaires en tant que comptable auprès d’autres PME. Il a donc publié une vidéo dénonçant les mesures sanitaires.
Par la suite, il s’est fait connaître en diffusant des entrevues avec diverses personnes du mouvement complotiste ou anti-mesures sanitaires.
Il est l’un des organisateurs, en mai 2021, de la manifestation qui a forcé la fermeture du centre de vaccination du Stade olympique, à Montréal, pour une journée. Avant la manifestation, il avait exprimé le désir de voir le stade, qu’il qualifiait « d’abattoir », être encerclé.
« On a besoin de spécialistes […] qui vont en mettre plein la gueule à ceux qui vont écouter, que vous soyez d’un bord ou de l’autre. »
Samuel Grenier, à propos de sa conférence climatosceptique
Samuel Grenier a déclaré être membre du Parti conservateur du Québec et a appuyé la candidature d’Éric Duhaime à la chefferie. Pour l’homme d’affaires, c’est ce parti qui représente le mieux la droite économique qu’il préconise. Il est également proche du Parti populaire du Canada de Maxime Bernier. Ce dernier est un invité régulier à ses vidéos diffusées en direct sur Facebook.
Grenier fait régulièrement la promotion de la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple. La Fondation, dirigée par l’ex-comptable Stéphane Blais et appartenant à la tendance des « citoyens souverains », avait levé des fonds pour mener une action judiciaire contre les mesures sanitaires. Cette action a été invalidée par la cour en juin dernier, mais il est toujours possible d’effectuer un don sur la page Web de la Fondation.
De la ceinture de sécurité au déni climatique
Un des invités de marque de l’événement climatosceptique du 10 septembre prochain est Christian Gérondeau. Décrit comme « essayiste » et « polytechnicien » – terme ronflant voulant dire qu’il est un ingénieur diplômé de l’École Polytechnique de Paris. Gérondeau a été haut fonctionnaire de l’État français et il est à l’origine des limitations de vitesse et de l’obligation du port de la ceinture de sécurité.
Il est aujourd’hui président délégué à la mobilité et à l’environnement de l’Automobile Club Association, un groupe qui défend les droits des automobilistes.
Déjà, en 2007, il publiait un livre intitulé Écologie, la grande arnaque. Son postulat est que les changements climatiques existent, qu’il y en a toujours eu, mais que l’être humain n’y est pour rien.
En entrevue à l’émission du complotiste québécois Alexis Cossette-Trudel, Gérondeau affirme faussement que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU « n’est pas un groupe de scientifiques » et que le discours sur le réchauffement est « un fantasme pour entretenir la peur ».
Durant cette entrevue, il confond la notion de température moyenne mondiale et celle de météo locale en comparant les effets d’un réchauffement global de 2 oC avec les variations de température entre le jour et la nuit.
Des reptiliens à la recherche scientifique indépendante
Un autre panéliste est le « chercheur indépendant sur le climat », Carlos Ramirez – un pseudonyme. Le conseiller financier de profession, s’est d’abord fait connaître en prenant ses propres mesures de radioactivité, chez lui à Saint-Ferréol-les-Neiges, à la suite de la tragédie de la centrale nucléaire de Fukushima.
Il a aussi ses idées bien à lui sur les questions climatiques. Il est très actif sur la plateforme Twitter où il explique, à grand renfort de chiffres et de graphiques, que les variations de température que l’on observe n’ont rien à voir avec les changements climatiques et que l’influence humaine sur le climat est négligeable.
De plus, Carlos Ramirez estime que contrairement à ses recherches à lui, les modèles du GIEC « sont basés sur une science trop simpliste ».
Malgré le fait que le mois de juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur Terre, il est persuadé que nous allons vers une période de refroidissement.
Avant de s’afficher comme scientifique anticonformiste, Carlos Ramirez animait un blogue nomméLe Pouvoir de la connaissance,où il partageait du contenu associé à diverses théories conspirationnistes. Ce blogue n’est plus en ligne, mais Pivot a pu consulter des versions archivées de contenu publié entre 2012 et 2018. On retrouve, par exemple, des vidéos du complotiste britannique David Ike, celui qui a popularisé l’idée que nous serions gouverné·es par une race de reptiliens.
Ou encore, la fusillade du 22 octobre 2014 à Ottawa, qui a fait deux morts, serait un « false flag », une mise en scène, selon une de ses publications de l’époque.
Une autre publication vante un « solide documentaire » du chrétien intégriste américain Trey Smith. Le film en question, c’est Nephilim – Origins of Genetic Evil, qui tente de nous expliquer qu’on retrouve encore aujourd’hui de l’ADN des descendants d’anges déchus. Ceux-ci auraient été tués dans le Déluge – celui de l’Arche de Noé –, mais leur ADN est revenu et ce serait la source du mal.
De journaliste à conspirationniste
Le débat au cinéma Guzzo accueillera également Richard Boutry, un ancien journaliste français converti au complotisme et partisan d’un retour à la monarchie, car « le roi est un arbitre naturel au-dessus des partis ».
Richard Boutry anime maintenant La Minute de Ricardo, une série de capsules vidéos diffusée sur son site Web et à laquelle on peut s’abonner. Dans ces vidéos, on apprend que “ la climatologie est le bras armé de cette secte [qu’est l’écologie] ” et que « nous, les humains, sommes le carbone qu’ils veulent réduire ». « Ils veulent dépeupler la terre. Nous voulons la dépeupler de tous ces imbéciles », clame-t-il.
Qui peuvent bien être ces « ils » dont il parle ? Dans une de ses publications, Boutry nous met en garde, car « la démocratie tout entière, planétaire, a été capturée par quatre entités : par les socialistes, par des minorités, par une élite financière et par des déviants sexuels ».
« Ils veulent dépeupler la terre. Nous voulons la dépeupler de tous ces imbéciles. »
Richard Boutry
Cette mention des « élites financières » rappelle que Boutry flirte également avec certaines théories conspirationnistes à saveur antisémite. Dans une vidéo intitulée « Dystopie en six points », il fustige le « pouvoir khazar » présent selon lui en Ukraine.
Lors des dernières élections présidentielles françaises, il a appelé à voter pour Marine Le Pen contre Emmanuel Macron, mais aussi contre Éric Zemmour, qu’il qualifie de « juif berbère algérien » et dont la candidature serait un cheval de Troie au profit de Macron, le tout étant orchestré par Vincent Bolloré, le riche propriétaire d’un empire médiatique de droite. « Si vous connaissiez les liens entre la grand-mère de Bolloré et les Rothschild [une famille de confession juive œuvrant notamment dans la finance], vous comprendriez beaucoup de choses sur la question. »
Un curieux partenariat
Sur l’annonce de l’événement, on retrouve le logo du site Web conspirationniste Géopolitique profonde. Ce site a été fondé par un dénommé Franck Pengam.
Le contenu de Géopolitique profonde est centré sur des questions d’économie, de placement et de monnaie. Dans son infolettre, Franck Pengam promet de nous donner accès à des « stratégies contre la dictature financière globale ».
Géopolitique profonde ne parle pas que d’argent : on y retrouve les tonalités complotistes et climato-négationnistes chères aux participants de la conférence. « Après nous avoir imposé un pass vaccinal, ils sont confiants », peut-on lire dans une infolettre. « Il est clair qu’au nom de l’écologie, ils peuvent tout se permettre. »
Parmi les invités des vidéos diffusés par Géopolitique profonde et les contributeurs à la revue Lettre confidentielle, on retrouve plusieurs influenceurs de la complosphère et de l’extrême droite françaises : Alain Soral (un antisémite et négationniste notoire), Jean-Yves Le Gallou (un ancien du think tank GRECE aujourd’hui actif dans l’extrême droite radicale), Xavier Moreau (un propagandiste de droite pro-Poutine), Laurent Ozon (un ancien du Front National « localiste » qui faisait la promotion de la « remigration »), Lucien Cerise, Youssef Hindi et Pierre-Antoine Plaquevent (trois individus dans l’orbite d’Alain Soral et de son organisation Égalite et Réconciliation).
Nous n’avons pas pu savoir si Géopolitique profonde est commanditaire ou participe à l’organisation de l’événement. À notre question sur le rôle de Géopolitique profonde dans l’organisation de l’événement, les Productions France Québec ont simplement répondu : “ Pardonnez-moi mais en quoi cela vous importe […] ? Je vous avoue être assez surpris par cette question et surtout la raison. Les conférences sont produites par les Productions France Québec. ”
Guzzo comme rempart contre les antifascistes ?
Le choix de Samuel Grenier de tenir sa conférence au cinéma Guzzo n’est pas anodin : il espère trouver chez le millionnaire Vincent Guzzo une sécurité contre d’éventuelles protestations.
« On est chez les Guzzo parce qu’on savait qu’avec le [sujet du] climat, c’était pour “ titiller ”, pis les Guzzo, on sait qu’ils sont inébranlables », explique Grenier dans la vidéo de promotion de l’événement.
Le blogueur explique que lors d’une conférence, en juin dernier, au Collège Ahuntsic, des membres du collectif Montréal antifasciste ont sommé l’administration du collège d’annuler l’événement.
« On est chez les Guzzo parce qu’on […] sait qu’ils sont inébranlables. »
Samuel Grenier
Cette première conférence, intitulée Identité et monnaie numériques, comptait parmi ses panélistes deux invité·es issu·es de l’extrême droite française. La première, Virginie Joron est une élue du Rassemblement national (RN), le parti de Marine Le Pen, au parlement européen. Elle a été liée à une campagne de désinformation au profit du parti d’extrême droite de Narendra Modi, en Inde.
L’autre invité discutable, Hervé Juvin, est un élu français qui a été exclu du RN après sa condamnation pour violence conjugale. Il siège maintenant comme indépendant. Il est un partisan de l’« écologie intégrale » et du « localisme », une vision conservatrice de l’écologie qui prône le rejet de l’immigration. Il est proche des mouvements d’extrême droite, ayant participé à un colloque du Bloc identitaire ou encore à la revue Éléments pilotée par Alain de Benoist.
Qualifiant les antifascistes de « petite clique de pas bons, de puants, de coquerelles », Samuel Grenier assure que, cette fois, « personne ne va oser menacer les Guzzo ».