Climat : il faut combattre l’ignorance, le déni et l’inaction

Entrevue avec le professeur Philippe Gachon sur l’importance de ne pas abandonner la tribune aux climatosceptiques.

Le 10 septembre prochain aura lieu la conférence Réchauffement climatique : fraude ou réel danger? organisée par le blogueur complotiste Samuel Grenier. Face aux panélistes climatosceptiques, le professeur et spécialiste en hydroclimatologie Philippe Gachon, du département de géographie de l’UQAM, prévoit apporter un argumentaire basé sur la science. Pivot s’est entretenu avec lui.

Pivot : L’organisateur disait avoir de la difficulté à trouver un scientifique du climat qui accepte de participer au débat. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter?

Philippe Gachon : L’inaction, le déni et l’ignorance vont tous contribuer à provoquer de plus en plus de décès et, cette année, on est encore en train de battre des records comme on n’en a jamais vu.

J’ai décidé de participer à la conférence pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour combattre l’ignorance, contrer le déni. Si je peux convaincre au moins une personne, qu’elle soit dans l’assemblée ou parmi les panélistes, que le fait de mieux s’informer, de combattre le déni et de passer à l’action de façon individuelle et collective, ça peut permettre de changer les choses, alors j’aurai au moins eu un succès.

En Europe, il y a de moins en moins de climatosceptiques, même s’ils font beaucoup parler d’eux, parce que les gens ont été tellement affectés par les sécheresses, les canicules, les feux de forêts. Le commun des mortels prend conscience de l’importance de l’effet des activités humaines sur le climat. Un parle d’un taux de 90 % de personnes qui sont convaincues que le climat se réchauffe, et que c’est relié aux activités humaines.

Si nous, les spécialistes du climat, on refuse de participer, on laisse la tribune à ces personnes qui font du déni, qui propagent de l’ignorance ou des faits qui ne sont pas basés sur des faits scientifiques.

Ici, malheureusement, on a encore une bonne proportion, autour de 20 à 40 % selon les endroits, de gens qui n’y croient pas. C’est pourquoi je souhaitais participer à ce débat. Pour susciter l’intérêt des gens d’en savoir plus. Surtout, je me fais un devoir, car c’est ma spécialité, d’apporter des argumentaires basés sur des connaissances scientifiques.

Si nous, les spécialistes du climat, on refuse de participer, on laisse la tribune à ces personnes qui font du déni, qui propagent de l’ignorance ou des faits qui ne sont pas basés sur des faits scientifiques.

Plusieurs des panélistes de cet événement admettent la possibilité d’un changement climatique, mais affirment que ce phénomène a toujours existé et nient l’impact de l’activité humaine. Que leur répondez-vous?

Philippe Gachon : Une chose qu’on sait, qui est indubitable, les données probantes nous montrent que pendant les phases inter-glaciaires [entre deux phases glaciaires], plus chaudes, le taux de CO2 n’a jamais dépassé 300 parties par million en volume (ppmv). Actuellement, nous sommes autour de 420 ppmv, peut-être un peu plus, notamment à cause des feux de forêts qui ont rejeté des quantité énormes de carbone dans l’atmosphère.

On sait qu’au-delà d’une certaine quantité de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, cela va influencer la quantité d’énergie qui est retransmise par la Terre vers l’espace. Et plus on a de GES, plus cette quantité d’énergie [emprisonnée dans l’atmosphère] est importante et plus le climat se réchauffe.

Le climat change à une rapidité exceptionnelle et on va bientôt atteindre des valeurs de réchauffement qu’on n’a jamais observées. Il n’y a pas d’équivalent depuis les dernières périodes interglaciaires.

Dernier élément, qui à mon avis permet de donner un argument qui est irréfutable : non seulement le taux de CO2 n’a jamais dépassé 300 ppmv, mais la rapidité avec laquelle cette augmentation se réalise depuis le début de l’ère industrielle est sans équivalent dans tout ce qu’on a observé depuis les dernières glaciations de l’ère quaternaire. Ce n’est pas un processus naturel. C’est forcément un processus d’origine anthropique [i.e. humaine].

Le climat change à une rapidité exceptionnelle et on va bientôt atteindre des valeurs de réchauffement qu’on n’a jamais observées. Il n’y a pas d’équivalent depuis les dernières périodes interglaciaires.

Cela va faire qu’on va entrer dans l’inconnu, dans un état de climat qu’on a jamais observé. En tout cas, pas depuis que nous les australopithèques, les Homo sapiens de ce monde vivons sur cette planète.

Certains climatosceptiques, comme les panélistes avec qui vous débattrez, utilisent un vocabulaire très scientifique, avec beaucoup de tableaux et de chiffres. Comment une personne qui n’est pas spécialiste peut-elle s’y retrouver?

Philippe Gachon : 97 % des publications faites par des gens qui sont des spécialistes affirment que l’activité humaine à un effet pour augmenter les taux de CO2, les taux de GES dans l’atmosphère, et provoquer le réchauffement des 50 ou 60 dernières années.

On a même atteint des taux de presque 99 % ces dernières années, parce que les données et les connaissances scientifiques s’accumulent.

Les 1 % ou 2 % des publications scientifiques restantes, [faites par] des climatosceptiques, on s’est rendu compte que d’abord, la plupart du temps ce sont des gens qui ne sont pas spécialistes en physique du climat ou en sciences du climat; ensuite, certains sont financés par des compagnies pétrolières ou des lobby pétroliers; enfin, ils ont des jugements de valeurs qui bien souvent ne sont pas basés sur des faits scientifiques.

Revenons à l’essentiel. Les publications scientifiques sont là, le consensus est là, le travail de vulgarisation a été fait et continue à être fait.

Ce n’est pas facile, il y a beaucoup de désinformation, notamment des climatosceptiques qui sont extrêmement actifs sur les réseaux sociaux. Mais il existe des sites officiels, avec une information vulgarisée pour faire la part des choses entre les faits basés sur la science versus ceux qui relèvent d’une façon [systématiquement biaisée] d’interpréter les résultats par des gens qui ne sont pas spécialistes dans le domaine.

L’un des participants de la conférence, Christian Gérondeau, affirme que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU n’est pas un regroupement de scientifiques et que ses rapports sont votés par gens qui représentent les divers pays et qui n’y connaissent rien et contredisent le travail des scientifiques. Qu’en pensez-vous?

Philippe Gachon : Le GIEC, c’est un regroupement de plus de 200 scientifiques à travers le monde. Ceux et celles-ci font une synthèse à chaque quatre ou cinq ans des connaissances scientifiques, basée sur toute la littérature scientifique dans le domaine, pour faire un état des lieux des connaissances.

Au départ, ce n’est pas biaisé du tout. Ce n’est pas influencé par les décisions politiques. Au départ, c’est une synthèse qui se fait sur les connaissances scientifiques.

Par contre, et là il faut faire attention, quand on parle du résumé pour les décideurs [politiques], il y a un consensus qui se fait qui émane de la discussion entre les pays, avec des représentant·es de chacun des pays, qui doivent arriver à un consensus basé sur les connaissances scientifiques. 

Bien entendu, quand on s’adresse aux décideurs, il y a des mots à utiliser. Certains pays, évidemment, veulent édulcorer certaines conclusions. On va donc éviter certains mots, certains vocables, qui pourraient mettre à mal certaines positions politiques d’un pays.

Mais en aucun cas, il n’y a d’interférence entre le contenu politique et le contenu scientifique. C’est simplement dans la façon de synthétiser et de faire comprendre les principaux messages [dans le résumé pour les décideurs].

Les messages percutants qui émanent du dernier rapport, et du précédent, sont sans équivoque et il y a un consensus selon lequel le réchauffement qu’on connaît est lié aux activités humaines.

En conclusion?

Philippe Gachon : Je suis naïf. Je pense que les connaissances scientifiques peuvent contribuer à faire changer les attitudes et modifier les comportements.

Les climatosceptiques sont très présents sur les réseaux sociaux, ils sont très virulents et on ne doit pas leur abandonner les tribunes.

Le complotisme, le déni, a des ramifications très nombreuses dans toutes sortes de sphères de la société, pas juste sur les réseaux sociaux. Maintenant, plus on maintient les gens dans une certaine ignorance, dans le déni, collectivement, plus ça contribue à l’inaction collective.

Auteur·e

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut