
La tentation écofasciste : l’extrême droite et la crise écologique
À quoi pourrait ressembler un mouvement environnemental autoritaire ?
Le désastre écologique auquel nous assistons, associé à la montée de l’autoritarisme un peu partout dans le monde, fait craindre la montée d’un mouvement « écofasciste ». Au cours des dernières années, des tueurs se revendiquant de cette idéologie ont commis des massacres, comme à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Mais que veut vraiment dire ce terme ? Comment a-t-il été utilisé dans le passé ? À quoi pourrait ressembler un mouvement qui allie le « vert » et le « brun », s’il sortait de la marginalité ?
C’est à ces questions que tente de répondre Pierre Madelin dans son livre La tentation écofasciste, qui vient de paraître chez Écosociété.
Pouvez-vous nous dire ce qu’est l’écofascisme ?
Pierre Madelin : Moi, tel que je définis, l’écofascisme, ça serait une idéologie ou un régime politique qui associerait réellement des pratiques et des politiques identitaires avec une défense effective de la nature.
Mon livre ne prétend pas qu’il y a un danger écofasciste, imminent, massif, qu’il faudrait affronter toutes affaires cessantes. J’essaie de prendre au sérieux ces idéologies, de les interroger, de voir la place qu’elles peuvent occuper dans l’écologie politique, de voir les questions qu’elles peuvent poser aux écologies politiques attachées à l’émancipation.
L’écofascisme, ça serait une idéologie ou un régime politique qui associerait réellement des pratiques et des politiques identitaires avec une défense effective de la nature.
Pierre Madelin
Mais il ne s’agit pas d’être un marchand de panique. Je ne prétends pas dans ce livre avoir débusqué la nouvelle grande menace mondiale ! Oui, il y a une relative marginalité de ces idées. L’avenir nous dira si cette marginalité perdurera ou si ces idées gagneront davantage du terrain.
Vous débutez votre livre en revenant sur les divers usages du terme « écofascisme ». Pourquoi trouvez-vous important de bien le définir ?
Pierre Madelin : Je pense que c’est important de définir le terme, notamment, parce qu’il a souvent été utilisé à des fins polémiques et diffamatoires dans l’histoire récente. Il a été utilisé par des idéologues qui défendent le statu quo capitaliste, productiviste, pour disqualifier toute la pensée écologiste ou toute l’écologie politique, sous prétexte qu’elle serait intrinsèquement réactionnaire ou même fascisante.
C’était l’une des raisons pour laquelle il était très important de définir ce terme et d’avoir une approche rigoureuse. Le terme écofascisme, si on ne le définit pas au préalable, ne veut pas dire grand-chose. C’est une espèce de moulin dans lequel n’importe qui peut entrer et en faire usage comme bon lui semble.
Quelques usages historiques du terme « écofascisme »
La définition de l’écofascisme par Pierre Madelin, soit une perpétuation des hiérarchies sociales en préservant au minimum la nature et en éliminant les populations jugées surnuméraires, n’est pas la seule qui ait été proposée. Le livre nous en présente d’autres.
La première est celle utilisée par les modernistes pour décrire et discréditer toute écologie critique de la société industrielle.
La deuxième est celle utilisée par les penseurs de l’écologie politique dans les années 1960 et 1970 pour faire référence aux États qui, sous la pression de la nécessité, apportent des solutions autoritaires à la crise écologique. Cette définition n’implique pas nécessairement la préservation de la nature.
La troisième fait référence à des débats ayant eu lieu aux États-Unis dans les années 1970 et 1980 autour de l’idée que la nature a une valeur en elle-même, ce qu’on a appelé l’écocentrisme. On craignait que de mettre la nature au centre pourrait entraîner des dérives pour justifier le sacrifice d’individus et de populations pour le bien des écosystèmes.
Vous dites que l’écofascisme, vu comme une gestion autoritaire de la crise, va appliquer une forme de « politique des limites ». En quoi est-elle différente de la décroissance, qui vise à « produire moins, partager plus et décider ensemble » pour respecter les limites terrestres ?
Pierre Madelin : L’écofascisme, dans le sens d’une gestion autoritaire, coercitive, de la pénurie, va adhérer à une politique des limites, mais imposées de façon autoritaire par des États ou par des autorités en situation de monopole de la violence. Cela, pour gérer la situation de pénurie, de rareté, de dégradation des conditions d’habitabilité de la terre.
Une décroissance au sens fort du terme serait une anticipation démocratique des effets de plus en plus néfastes et dévastateurs de l’accumulation du capital. Cette anticipation permettrait d’y mettre un frein, voire même d’y mettre un terme, et d’organiser non pas la rareté et la pénurie sous contrainte climatique ou écologique majeure, mais [d’organiser la production et la consommation] dans le cadre de choix, d’autodétermination par la société elle-même.
En France, le parti du Rassemblement national (RN, ancien Front national) de Marine Le Pen utilise aujourd’hui une rhétorique écologiste. L’extrême droite est-elle sincère lorsqu’elle parle d’écologie ?
Pierre Madelin : Je pense qu’il y a des gens d’extrême droite qui sont sincèrement écologistes. Je pense aux gens de la Nouvelle Droite, à Alain de Benoist, qui ont une inquiétude réelle pour les enjeux écologiques. Ils souhaiteraient réellement articuler des politiques identitaires à des politiques écologistes.
La nouvelle droite est plutôt marginale, même si c’est un courant qui s’est voulu adepte d’une stratégie qu’il a lui-même nommée métapolitique qui consiste non pas à prendre le pouvoir ou faire du lobbying directement sur des groupes de pouvoir, mais à infuser idéologiquement les milieux de droite ou d’extrême droite de façon à engager des transformations idéologiques.
Dans le cas du RN, c’est différent. Je pense qu’on est surtout sur une stratégie de communication politique opportuniste, destinée à capter d’éventuelles franges de l’électorat qui pourraient être sensibles à l’articulation des thématiques nationalistes et des thématiques écologistes.
Les gens de l’extrême droite en France ont bien compris qu’on avait des mutations sociales importantes. Les questions féministes sont de plus en plus diffusées dans la société et les questions écologistes aussi. S’ils s’arqueboutent sur une communication politique purement patriarcale ou purement anti-écologiste, ils risquent de finir par être en décalage avec les inquiétudes et les aspirations de la société. Donc ils ont adopté une communication adaptée.
J’en parle dans le livre. Il y a eu une enquête du journal Le Monde sur le vote des député·es RN, que ce soit à l’Assemblée nationale en France ou au Parlement européen, et le parti est quasiment systématiquement hostile à l’écologie et aux mesures écologiques.
S’il y a une communication éco-souverainiste ou éco-nationaliste au RN aujourd’hui, dans les faits, ça ne se traduit pas du tout par des choix politiques ou électoraux.
Dans votre livre vous évoquez une tension entre l’écofascisme et le « carbofascisme », cette fuite en avant autoritaire et anti-écologique propulsée par un appui inconditionnel aux énergies fossiles, qui a actuellement le vent dans les voiles. Que voulez-vous dire par cela ?
Pierre Madelin : Historiquement, notamment dans la tradition de l’écologie politique française, d’André Gorz ou de Bernard Charbonneau, l’écofascisme a pu définir tout simplement une gestion de crise : une gestion autoritaire que font les États capitalistes d’une planète abîmée et détériorée dans ses dynamiques écologiques par l’accumulation du capital.
En fait, de ce point de vue là, l’écofascisme peut être tout à fait compatible avec des formes de carbofascisme. Dans cette perspective là, on pourrait tout à fait qualifier d’écofasciste un Bolsonaro par exemple. Pas au sens où il prendrait soin de la nature ou de l’Amazonie, pas du tout, mais au sens où il est dans une gestion autoritaire, coercitive et raciste du désastre écologique.
On peut imaginer que de plus en plus — c’est en partie déjà le cas aujourd’hui — les États européens laissent mourir les migrant·es en mer sans avoir à intervenir directement, sans avoir à les tuer directement.
Pierre Madelin
Dans les scénarios que vous évoquez à la fin de votre livre, vous expliquez que l’écofascisme sous-entend une réduction drastique de population qui peut prendre la forme d’un laisser-faire ultralibéral ou libertarien, un laisser-mourir. Cela fait penser aux suggestions durant la pandémie de COVID-19 de laisser courir le virus pour sauver l’économie.
Pierre Madelin : Mon livre s’ouvre en évoquant des massacres qui ont été perpétrés à Christchurch en Nouvelle-Zélande et à El Paso au Texas par des suprémacistes blancs qui se revendiquaient de l’écofascisme. Donc, j’envisage dans un premier temps, comme scénario dystopique, un régime écofasciste, bien qu’assez improbable aujourd’hui, qui serait un gouvernement par le massacre.
Mais l’autre hypothèse, qui est inspirée effectivement de l’expérience de la gestion de la COVID, pourrait être un gouvernement dont l’administration de la mort [en temps de crise écologique] ne se ferait pas tant de façon directe, par le massacre, mais de façon indirecte, par omission, en laissant mourir.
On a beaucoup mis l’accent, en France, sur la dimension autoritaire et contraignante de la façon dont la pandémie a été gérée, mais c’est vrai qu’il y a eu des pays, par exemple le Brésil de Bolsonaro, ou un gouvernement d’extrême droite extrêmement virulent a décidé, non pas de contraindre sa population face à la COVID, mais de laisser faire, faisant en sorte que le COVID a tué beaucoup plus par omission que par action.
On peut imaginer que de plus en plus — c’est en partie déjà le cas aujourd’hui — les États européens laissent mourir les migrant·es en mer sans avoir à intervenir directement, sans avoir à les tuer directement. On peut aussi imaginer qu’en cas de catastrophes graves, de famines, de cyclones, les interventions humanitaires se fassent de plus en plus rares.
On peut imaginer des gestions de crise qui ne soient pas un gouvernement par le massacre, mais un gouvernement par le laisser-mourir.
La tentation écofasciste : écologie et extrême droite
Pierre Madelin, Écosociété, 2023, 272 pages
