
Des pays pro-pétrole ont voulu adoucir un rapport du GIEC
Le lobbying favorable à l’industrie fossile, que certains gouvernements mènent à l’abri des regards, tranche avec les discours officiels.
Plusieurs pays ayant des intérêts économiques dans l’industrie fossile ont fait pression sur le GIEC pour modifier les conclusions d’un rapport scientifique sur les meilleurs moyens de répondre à l’urgence climatique. C’est ce que révèle une fuite de documents exposée par Unearthed, le bureau d’enquête de Greenpeace, à quelques jours de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP26).
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), rattaché à l’ONU, doit publier l’an prochain un nouveau rapport sur les stratégies de lutte aux changements climatiques. On sait déjà que ce rapport, qui se base sur le consensus scientifique, contiendra des recommandations plus draconiennes que jamais auparavant. Le GIEC insiste par exemple sur la nécessité de réduire radicalement le recours aux énergies fossiles et de fermer les centrales au gaz et au charbon d’ici une dizaine d’années pour éviter que le réchauffement dépasse 1,5°C.
Mais des pays comme l’Arabie Saoudite et l’Australie, qui tirent de grands profits de l’exploitation du pétrole et du charbon, ont insisté auprès du GIEC pour que ces recommandations défavorables à l’industrie fossile soient amoindries ou retirées du rapport.
L’Australie et l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ont aussi voulu faire effacer des remarques soulignant la grande influence des lobbys pétroliers auprès des gouvernements. Ces lobbys puissants parviennent à affaiblir les plans de lutte aux changements climatiques, comme l’ont montré plusieurs études citées dans le rapport du GIEC.
Pendant ce temps, l’Arabie saoudite, le Japon, la Norvège et d’autres nations ont cherché à défendre les technologies de capture du carbone plutôt qu’une véritable réduction des activités polluantes. Ces technologies sont supposées permettre de récupérer et de stocker le CO2 produit par les industries. Elles sont cependant jugées trop incertaines par les scientifiques pour constituer une véritable solution. Notons que le Canada offre des centaines de millions de dollars en crédit d’impôt aux compagnies qui investissent dans ces technologies.
Les commentaires de la part des États font partie du processus normal d’élaboration des rapports du GIEC. Les scientifiques du Groupe sont supposés trier ces recommandations et ne conserver que celles qui sont appuyées sur des données sérieuses. « Toutefois, la fuite de ces commentaires offre un aperçu unique sur les positions adoptées par certains pays à l’abri des regards du public », écrit Unearthed.
« On voit la disparité entre les discours officiels des gouvernements et leur travail de lobbying » derrière des portes closes, remarque Bertrand Schepper, chercheur en finances publiques et en environnement à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). À ses yeux, la pression que subissent les scientifiques du GIEC a de quoi inquiéter.
« Plusieurs pays, comme le Canada, vont devoir changer radicalement leur économie et ça ne leur plait pas du tout. »
Bertrand Schepper
Pour combattre les changements climatiques, il faudrait « transformer le paysage économique » en réorientant le secteur énergétique vers les ressources renouvelables, indique Bertrand Schepper. Mais les gouvernements ne semblent pas prêts à forcer la fin de l’exploitation pétrolière, de peur de déplaire à l’industrie et à une partie de l’électorat, analyse le chercheur.
« On va entendre beaucoup de belles paroles durant la COP26, mais la confiance envers les politiciens est mise à rude épreuve », conclut Bertrand Schepper.