
« Sobriété » : il faut réduire et limiter la demande d’énergie, prévient le GIEC
Les expert·es climatiques sont unanimes, il ne suffit plus de compenser les émissions de GES ni même de miser sur les énergies vertes : il faut carrément réduire la demande d’énergie en visant la « sobriété ». Qu’est-ce que ça veut dire?
Dans son tout dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU présente une panoplie de moyens pour « éviter le pire » du réchauffement climatique. Dans ce plan de match, un facteur clé : la réduction de la demande en énergie, qui serait possible grâce à des politiques de « sobriété ».
Pour la toute première fois, dans son nouveau rapport-synthèse adressé aux décideurs politiques déposé lundi, le GIEC fait apparaître le terme « sobriété » (sufficiency, en anglais). Si la sobriété renvoie généralement à une idée de restriction, le terme fait plutôt référence ici à une compréhension lucide des limites planétaires.
La science est claire : au rythme actuel, l’humanité est dans une trajectoire de réchauffement planétaire deux fois plus grande que ce que prévoyait l’Accord de Paris. Signé en 2015, cet accord vise à limiter le réchauffement à 1,5 oC en 2050. S’il n’est pas trop tard pour agir, le message est pourtant catégorique : il faut réduire de moitié les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030. Et cela implique de diminuer la demande en énergie.
« Pour atteindre le 1,5 oC prévu en 2050, on doit globalement utiliser 40 % moins d’énergie », tranche Éric Pineault, professeur au département de sociologie de l’UQAM et membre de la Chaire de recherche UQAM sur la transition écologique, de l’Institut des sciences de l’environnement.
« Il ne s’agit plus seulement de miser sur les technologies vertes ou les compensations carbones, il faut réduire », affirme Éric Pineault. Les promesses technologiques sont d’ailleurs reléguées au second plan : les énergies renouvelables ne suffisent pas à répondre à la demande croissante d’énergie.
La sobriété comme nouveau paradigme social
Il faut réduire, et pour réduire, un changement de paradigme social, économique et politique doit être opéré. « Le statu quo est impossible : il faut faire des changements majeurs, sans quoi on se dirige vers un monde invivable », explique Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada.
Au cœur de ce changement : la sobriété, qui consiste à limiter notre demande énergétique collective à un niveau « suffisant ».
« On doit globalement utiliser 40 % moins d’énergie. »
Éric Pineault
Il s’agit de regarder le monde tel qu’il est, de façon pragmatique et réaliste, et de se demander : quels sont nos besoins essentiels? « C’est de viser un équilibre entre nos besoins et les limites planétaires », explique Josée Provençal, docteure en science politique de l’Université d’Ottawa et chercheure au sein du groupe de recherche indépendant sur la décroissance Polémos.
Le GIEC appelle donc les élu·es à mettre en place des politiques de sobriété, soit « des mesures qui réduisent la consommation d’énergie, de terre et d’eau », peut-on lire dans la synthèse.
Ces politiques devront viser à imposer une limite sur la demande en énergie, afin de freiner la surconsommation : taxes sur les surprofits des multinationales, interdiction des publicités pour les industries fossiles, interdiction des lobbies de viande dans les écoles – les solutions sont nombreuses pour limiter la demande d’énergie à sa source.
« C’est de viser un équilibre entre nos besoins et les limites planétaires. »
Josée Provençal
Mais si les gouvernements sont au cœur de la solution, les individus, eux aussi, doivent prendre part à ce changement de paradigme, selon le GIEC. « Les fameux petits gestes comptent pour beaucoup », assure le professeur Éric Pineault. « Prôner le zéro déchet, prendre le vélo, réduire notre consommation de viande » : quand c’est possible, la sobriété individuelle serait à prioriser.
« Mais elle ne doit pas détourner l’attention de l’importance de politiques et de réglementations », nuance le professeur Pineault. Pour faire pression sur les gouvernements, la mobilisation des populations serait la clé.
Une justice écologique et sociale
Pour Patrick Bonin, la sobriété aurait l’avantage d’être bénéfique pour tou·tes. Un exemple très concret de politiques de sobriété concerne la construction des logements. « En investissant dans des logements mieux isolés, les États permettraient de réduire la demande énergétique, mais aussi d’amoindrir pour les citoyen·nes la facture d’électricité. »
Si la sobriété demandera aux individus et aux gouvernement des renoncements inévitables, elle n’est pas pour autant synonyme d’austérité. Au contraire, elle viserait l’amélioration du bien être pour le plus grand nombre. « Il s’agit de garantir une juste réparatition des richesses, et un accès commun aux ressources planétaires qui sont limitées », affirme Josée Provençal.
À l’heure actuelle, les 10 % les plus riches émettent autant de GES que les 50 % plus pauvres de la planète, selon le rapport mondial sur les inégalités.
La sobriété suppose des mécanismes de justice sociale pour redistribuer, et pour répondre aux besoins essentiels de tou·tes. « On est actuellement dans une logique de surconsommation et d’abondance. Il faut entrer dans une logique qui est davantage dans le partage des ressources, pour le mieux être de tous », résume Josée Provençal.