Du logement « abordable » pour autant qu’on travaille 68 heures par semaine

Il est de plus en plus difficile de se loger convenablement en travaillant au salaire minimum au Québec et au Canada, selon une nouvelle compilation.

Presque partout au pays, une personne qui travaille à temps plein au salaire minimum doit consacrer bien plus que 30 % de son revenu pour se loger, selon une récente analyse du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Une tendance qui s’accélère, particulièrement au Québec, qui avait pourtant été partiellement épargné par le phénomène.

Le logement est de moins en moins abordable au pays : en 2022, pour pouvoir consacrer seulement 30 % de son revenu au loyer d’un logement moyen de deux chambres, une personne seule qui travaille 40 heures par semaine devait gagner entre 13,69 $ (Saguenay) et 42,60 $ (Vancouver) l’heure, selon l’analyse du CCPA.

 « Un logement à 30 % du revenu est généralement accepté comme abordable, mais de qui parle-t-on? » demande Ricardo Tranjan, co-auteur de l’étude. Quand il faut gagner près de 90 000 $ par année pour qu’un logement soit abordable, comme c’est le cas à Vancouver, cela laisse de côté beaucoup de locataires, souligne-t-il.

Difficile de se loger au salaire minimum

Pour mieux cerner l’abordabilité du logement au Canada, les chercheurs ont donc étudié l’écart entre le salaire minimum et le salaire nécessaire pour que le logement soit abordable dans une quarantaine de régions métropolitaines du pays.

Résultat : dans toutes les villes sauf deux (Trois-Rivières et Saguenay), un quatre et demi moyen est inabordable si l’on travaille à temps plein au salaire minimum.

En fait, en moyenne au Québec, il faudrait travailler 68 heures par semaine au salaire minimum pour que ce loyer soit considéré comme abordable, c’est-à-dire équivalent au tiers du revenu. Ou bien il faut gagner 18,71 $ l’heure.

À Vancouver, pire ville au pays peu importe la mesure utilisée, il faudrait qu’une personne travaille 142 heures par semaine pour y arriver, souligne Ricardo Tranjan.

Les données sont recoupées par province, par ville et même par quartier.

« Ce sont des résultats inquiétants », commente Véronique Laflamme, du Front populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

« Et en plus, l’étude utilise les loyers moyens dans ses calculs, mais les loyers disponibles pour ceux et celles qui cherchent présentement sont bien plus chers que ça », remarque-t-elle. En fait, les loyers disponibles pour location seraient de 40 à 60 % plus élevés en moyenne que les loyers moyens, selon une recherche récente menée par le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).

« Dans ces conditions, consacrer seulement 30 % de son revenu à son loyer est totalement impossible pour beaucoup de monde », remarque Véronique Laflamme.

D’ailleurs, selon les calculs du FRAPRU, ce sont 33 840 ménages québécois qui consacreraient 100 % de leurs revenus à leur loyer. « C’est insoutenable, et scandaleux et ça montre bien la défaillance de notre filet social », dénonce la porte-parole.

Vers la fin de l’exception québécoise

En comparant les résultats obtenus avec ceux d’une étude antérieure du CCPA utilisant des données de 2018, les chercheurs ont aussi pu constater que la situation se dégrade partout au pays, mais particulièrement au Québec.

Dans la province, s’il faut désormais 68 heures de travail au salaire minimum pour dire qu’un logement moyen de deux chambres est abordable, cette mesure n’était « que » de 52 heures il y a cinq ans. Et ce, même si le salaire minimum québécois est passé de 12 $ à 14,25 $ l’heure dans l’intervalle.

« Même dans les villes comme Sherbrooke, où la situation est relativement bonne (57 heures), elle s’est grandement détériorée par rapport à 2018 (41 heures) », remarque Ricardo Tranjan.

Depuis une trentaine d’années, le Québec avait réussi à garder ses loyers plus abordables que le reste du pays, principalement en soutenant davantage le logement social et en mettant en place de meilleurs contrôles des loyers que la plupart des provinces et territoires, explique Ricardo Tranjan.

La situation se dégrade partout au pays, mais particulièrement au Québec.

« Malheureusement, la loi 31 vient défaire un peu de cet avantage, parce que les cessions de bail étaient une partie importante de ce contrôle des hausses de loyer », remarque-t-il. La part du logement social dans le marché locatif a aussi connu un recul au cours des dernières années, sans compter que le gouvernement Legault assure une place croissante au secteur privé dans le développement du logement « abordable » financé avec l’argent public.

« Si l’on refait l’étude dans quatre ans, je ne serais vraiment pas surpris que la situation du Québec ressemble encore plus à celle qui prévaut dans le reste du pays. »

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