Pris dans son ensemble, le projet de loi 31 sur l’habitation déposé la semaine dernière à l’Assemblée nationale viendra fragiliser la position des locataires, préviennent les comités logement. Même les propositions que la ministre présente comme étant favorables aux locataires pourraient ainsi leur nuire, tandis que d’autres auront un impact négligeable.
La ministre responsable de l’Habitation France-Élaine Duranceau a répété sur plusieurs tribunes qu’elle voulait « rétablir l’équilibre dans la relation propriétaires-locataires » avec le projet de loi 31 qu’elle a déposé lors de la dernière journée de la session parlementaire et qui sera vraisemblablement débattu l’automne prochain.
Or, le projet de loi viendra plutôt déséquilibrer le rapport de force entre locataires et propriétaires, qui était déjà fortement à l’avantage de ces derniers, selon Cédric Dussault du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).
« Il y a vraiment deux classes : celle des propriétaires et celle des locataires. Il y a un déséquilibre flagrant entre les deux, car une exploite l’autre », rappelle-t-il.
Le projet de loi a beaucoup fait parler de lui parce qu’il fragiliserait le droit des locataires à se céder leur bail entre eux et elles. Mais d’autres aspects inquiètent les comités logement et les partis d’opposition.
Normalisation des évictions
La ministre, qui n’a pas fait suite à notre demande d’entrevue, a présenté comme un gain pour les locataires la mise en place d’une compensation bonifiée que les propriétaires devront verser aux locataires en cas d’éviction. Le dédommagement sera équivalent à un mois de loyer pour chaque année passée dans le logement, équivalant à un minimum de trois mois jusqu’à un maximum de 24 mois de loyer.
Un « gain » qui doit être remis en contexte, prévient Cédric Dussault. En effet, la loi prévoit déjà l’équivalent de trois mois de loyer en compensation en plus d’un remboursement des frais de déménagement aux locataires en cas d’éviction. Qui plus est, plusieurs propriétaires offrent déjà des sommes importantes aux locataires dans l’espoir de les voir partir, explique-t-il.
« Ce que les gens veulent, c’est rester dans leur appartement, dans leur communauté, pas être compensés. »
Cédric Dussault, RCLALQ
Les sommes d’argent ne suffisent pas non plus à compenser le bouleversement que représente un déménagement forcé, croit le représentant du RCLALQ. « Si l’on perd un logement qui est abordable et qu’on doit déménager dans un appartement qui coûte 1000 $ de plus par mois, le propriétaire avait beau nous donner 30 000 $, à moyen terme, on reste perdant », remarque Cédric Dussault.
« Ce que les gens veulent, c’est rester dans leur appartement, dans leur communauté, pas être compensés. »
Cédric Dussault craint aussi que cette normalisation des compensations par la loi ne vienne justifier les propriétaires qui offrent des compensations pour des évictions qu’ils savent illégales, en leur donnant une apparence de légitimité. « L’éviction doit être un processus exceptionnel. [Le projet de loi] contourne le droit au maintien dans les lieux en encadrant des pratiques frauduleuses. »
Le projet de loi prévoit toutefois que les propriétaires devront désormais prouver qu’une éviction « a été faite de bonne foi », ce qui viendrait renverser le fardeau de la preuve en matière d’éviction, à l’avantage des locataires, selon plusieurs observateurs. Cédric Dussault doute toutefois que cela ait un grand impact sur le terrain, le Tribunal administratif du logement (TAL) exigeant déjà des preuves de leurs intentions aux propriétaires.
Pour les logements neufs, une modification qui aura peu d’impacts
Le projet de loi propose aussi de changer la « clause F » des baux, qui accorde aux propriétaires de logements neufs la possibilité d’augmenter les loyers à leur guise durant les cinq premières années de location. Les propriétaires pourront toujours augmenter les loyers comme ils le désirent, mais devront désormais prévenir les locataires dès la signature du bail des hausses à venir pour les cinq premières années.
« C’est certain que c’était un problème que des locataires se voient imposer des augmentations inattendues, mais dans la situation actuelle, même si on connait d’avance l’augmentation, on n’est pas plus en mesure de la refuser », remarque toutefois Cédric Dussault.
Les comités logements revendiquent plutôt depuis des années l’abolition de la clause F, une résolution également réclamée par Québec solidaire.
« Même si on connait d’avance l’augmentation, on n’est pas plus en mesure de la refuser. »
Cédric Dussault
Une mesure administrative?
Une des mesures introduites dans le projet de loi viendra aider les locataires, reconnait Cédric Dussault. Mais elle pourrait bien avoir été introduite pour des raisons administratives plutôt que par souci du bien-être des locataires, nuance-t-il.
Présentement, les locataires qui reçoivent un avis d’éviction peuvent le refuser auprès du TAL dans les 30 jours suivant sa réception, mais plusieurs ne pouvaient pas le faire en raison de délais administratifs, surtout que la majorité des avis sont envoyés durant le temps des fêtes, explique Cédric Dussault.
Le projet de loi propose donc de considérer les avis non traités après 30 jours comme étant automatiquement refusés. Cela devrait assouplir le fardeau administratif du tribunal tout en assurant que les locataires ne se fassent pas renier leurs droits.
Des solutions bien connues, ignorées
Le projet de loi a aussi été décrié fortement par Québec solidaire et le Parti québécois pour ce qu’il laisse de côté. Les deux partis ont souligné qu’il ne contient aucune mesure visant à contrôler les augmentations de loyer.
Québec solidaire a également décrié que la nouvelle loi n’intervienne pas pour limiter la prolifération des locations de courte durée de type Airbnb ni pour protéger l’accès au logement des personnes âgées et des propriétaires d’animaux.
Le responsable solidaire en matière de logement Andrés Fontecilla a déclaré vendredi que « le projet de loi présenté par la ministre Duranceau est une immense déception : il ne répond pas du tout aux besoins immenses des locataires en pleine crise du logement ».
Pour Cédric Dussault, ce ne sont pas les solutions efficaces en matière d’accessibilité au logement qui manquent, mais plutôt la volonté de les appliquer de la part du gouvernement. À son avis, le projet de loi 31 témoigne ainsi d’un « mépris et une incompréhension du droit des locataires au Québec ».
Prendre le côté des propriétaires
Cédric Dussault se dit particulièrement déçu que la ministre ait refusé d’entendre les comités logement depuis qu’elle est entrée en poste en automne dernier. « On a demandé à la rencontrer plusieurs fois et on n’a jamais eu autre chose qu’un accusé de réception. On dirait qu’elle ne veut pas entendre la voix des locataires au Québec », remarque le porte-parole du RCLALQ.
France-Élaine Duranceau a tout de même rencontré certain·es représentant·es du milieu communautaire, comme ceux du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et de Centraide, à une reprise chacun, selon l’agenda de la ministre.
En contrepartie, les propriétaires ont été très actifs dans leurs activités de lobbying auprès de la ministre et de son ministère.
« Il y a vraiment deux classes : celle des propriétaires et celle des locataires. »
Cédric Dussault
Par exemple, Martin Messier, président de l’Association des propriétaires du Québec (APQ), a enregistré une dizaine de mandats de sollicitation auprès de la ministre de l’Habitation, selon les informations disponibles sur le Carrefour lobby Québec.
L’un d’entre eux visait à « permettre au propriétaire, sur avis du locataire voulant quitter le logement, de résilier le bail et de le reprendre plutôt que le locataire le cède à un tiers », ce qui s’apparente à la limite imposée aux cessions de bail par le projet de loi.
La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) a aussi rencontré la ministre de l’Habitation à au moins une reprise.
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