La loi 19, qui instaure un âge minimal de quatorze ans pour travailler, a été adoptée à l’unanimité jeudi. Si les nouvelles restrictions sont généralement bien reçues, des organismes qui travaillent auprès des jeunes soulignent des angles morts : exemptions à l’âge minimal, ambiguïté du rôle de la CNESST, maigres indemnités en cas d’accidents de travail et risques économiques pour les jeunes moins nantis.
Les enfants de moins de quatorze ans ne pourront désormais plus travailler au Québec. La loi 19 qui instaure pour la première fois dans la province un âge minimal pour travailler a été adoptée à l’unanimité jeudi dernier. Les employeur·es auront un délai de 30 jours pour transmettre un avis de cessation d’emploi aux travailleur·euses de moins de quatorze ans.
Jusqu’à l’âge de seize ans, les heures de travail seront également limitées à 17 heures par semaine pendant le calendrier scolaire, dont un maximum de 10 heures entre le lundi et le vendredi.
L’adoption du projet de loi est généralement bien accueillie par les syndicats. « C’est un premier pas, on avait rien avant », rappelle Caroline Senneville, présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).
Au cours de consultations, de nombreux groupes ont toutefois soulevé des angles morts de la loi, qui n’ont toutefois pas été pris en compte par le ministre du Travail Jean Boulet.
Des exemptions qui inquiètent
Le texte de loi prévoit néanmoins des exceptions à l’âge minimal pour certains emplois qui présenteraient des risques mineurs à la santé et à la sécurité, notamment le gardiennage, la livraison de journaux, le tutorat, la création et l’interprétation artistique.
Les entreprises familiales qui comptent moins de dix employé·es seront également exemptées des restrictions liées à l’âge minimal.
Une exemption additionnelle a été ajoutée au texte de loi depuis son dépôt en mars dernier, permettant aussi aux petites entreprises agricoles d’embaucher des enfants dès l’âge de douze ans.
Cet amendement était réclamé par l’Union des producteurs agricoles (UPA) qui disait craindre que la loi prive ses membres d’une main-d’œuvre importante, particulièrement en été. C’est le seul amendement qui ait été fait au projet de loi par le ministre Boulet.
Cette exemption avait soulevé les craintes de l’organisme Au bas de l’échelle qui défend les travailleur·euses non-syndiqué·es. « C’est un milieu où il y a beaucoup de blessures, avec des risques énormes », signale Vincent Chevarie.
Plus de pouvoir pour la CNESST?
La nouvelle loi permet aussi à la CNESST de distribuer des amendes plus salées aux patrons délinquants et d’effectuer l’analyse des risques pouvant affecter la santé et la sécurité.
« Il faut que la CNESST ait les moyens de ses ambitions », souligne Caroline Senneville. « Il faut de l’inspection et des conséquences. »
Pour l’organisme Au bas de l’échelle, les pouvoirs et le rôle que devra jouer la Commission dans le respect des nouvelles restrictions demeure trop vague. Le texte de loi ne détaille pas les vérifications et le contrôle que la CNESST devra effectuer afin d’assurer la sécurité de manière continue le respect des nouvelles restrictions.
« Il faut de l’inspection et des conséquences. »
Caroline Senneville
« Dans la pratique de l’inspectorat, la CNESST est super hésitante à utiliser ses pouvoirs pénaux, à imposer des amendes », souligne Félix Lapan de l’Union des travailleuses et travailleurs accidentés (UTTAM).
« Ça fait des années qu’on dit qu’il devrait y avoir des inspections surprises, mais ils ne le font pas. » La CNESST pourrait effectuer ce genre de visite, mais selon Félix Lapan, les inspecteur·trices annoncent régulièrement leur venue auprès des employeurs. « Ils appellent systématiquement l’employeur. Il y a plusieurs industries où c’est comme une joke, les travailleurs le savent, il font le ménage parce qu’un inspecteur vient cette semaine », ajoute-t-il.
« C’est très connu ce phénomène là. »
L’organisme Au bas de l’échelle souligne aussi qu’à ce jour, les amendes distribuées par la CNESST se situent régulièrement dans les tranches les plus basses de son arsenal. « En général la CNESST choisit des montants minimaux », explique Vincent Chevarie. « Même si le ministre dit qu’on augmente les amendes, ça ne veut pas nécessairement dire que la CNESST va opter pour des montants plus élevés. »
Silence sur les accidents de travail
Par ailleurs, la loi 19 n’effectue aucune modification à la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles. Or, déplore l’UTTAM, cette loi offre aux enfants accidentés une indemnisation moindre qu’aux adultes. Leurs employeur·euses doivent aussi payer des cotisations moins élevées au régime d’indemnisation des lésions professionnelles, puisque leurs montants varient en fonction des coûts des lésions, dont les indemnités.
« Le projet de loi est venu faire des modifications à la loi sur les normes du travail, à la loi sur la santé et la sécurité du travail », explique Félix Lapan. « Elle n’a pas touché à cette injustice que vivent les enfants victimes de lésions professionnelles. »
« Il n’y a aucune raison de ne pas avoir en même temps regardé du côté de la loi sur les accidents de travail et des maladies professionnelles. »
Félix Lapan
Il souligne par ailleurs que ces deux dernières lois avaient été amendées lors de la réforme de santé et sécurité menée par le ministre du Travail Jean Boulet lors de son dernier mandat. « Le ministre savait que ces deux lois allaient ensemble », précise-t-il. « Il n’y a aucune raison de ne pas avoir en même temps regardé du côté de la loi sur les accidents de travail et des maladies professionnelles. »
« Si on veut prévenir les lésions dont sont victimes les enfants, on devrait mettre en place tout ce qui peut contribuer à inciter les patrons à réduire les lésions professionnelles », lance Félix Lapan. « C’est ridicule d’avoir raté cette occasion. »
Des risques pour les enfants moins nantis
Plusieurs s’inquiétaient également du sort des enfants de moins de quatorze ans qui travaillaient par nécessité et qui se retrouveront soudainement en précarité financière accrue. Selon Réseau réussite Montréal, ce serait d’ailleurs plus du quart des élèves du secondaire qui travaillent qui le font pour soutenir leurs familles, à Montréal.
Syndicats et organismes communautaires demandaient des mesures de soutien économique pour les familles pauvres ou encore de meilleures bourses d’études.
Rien n’a été fait en ce sens.