Photo: Kentaro Toma
Nouvelle

Loi sur le travail des enfants : un âge minimal… et des exceptions

C’est un pas dans la bonne direction, mais il faudra en faire plus pour protéger la réussite scolaire des jeunes, selon plusieurs.

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Le projet de loi 19, déposé par le ministre du Travail Jean Boulet mardi, instaure pour la première fois un âge minimal pour travailler au Québec, avec quelques exceptions. Le projet, qui a pour but de mieux encadrer le travail des enfants, est somme toute bien accueilli par les syndicats et les représentant·es du milieu de l’éducation. Mais ces dernier·ères préviennent que cela ne suffira pas à assurer la sécurité au travail et la réussite éducative des jeunes.

Le ministre québécois du Travail, Jean Boulet, a déposé mardi le projet de loi 19 pour encadrer le travail des enfants. Il instaure ainsi pour la première fois au Québec un âge limite pour travailler, fixé à 14 ans. Entre 14 et 16 ans, les heures de travail seront limitées à 17 heures par semaine pendant le calendrier scolaire, dont un maximum de 10 heures entre le lundi et le vendredi.

Si le projet de loi est adopté, ces mesures entreront en vigueur dès le mois de septembre.

« C’est un bon équilibre qui indique que la priorité, c’est la réussite scolaire des jeunes », pense Andrée Mayer-Périard, directrice de l’organisme Réseau réussite Montréal, « tout en reconnaissant que travailler peut être bon et que certains jeunes ont besoin de travailler. »

Le problème du travail des enfants

Ce changement légal survient alors que les enfants sont de plus en plus nombreux à intégrer le marché du travail, et ce de manière plus précoce, au tout début du secondaire et parfois même au primaire.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) avait noté une hausse des accidents au travail chez les enfants alors qu’ils sont de plus en plus nombreux sur le marché du travail.  

Le Réseau québécois de la réussite éducative s’inquiétait quant à lui d’une augmentation du taux de décrochage scolaire, qui pourrait atteindre 41 % lorsque les élèves cumulent plus de 21 heures de travail par semaine.

Malgré tout, l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) s’était opposée à l’imposition d’un âge minimal pour travailler, citant le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre.

Actuellement, il n’existe pas d’âge minimum pour travailler au Québec. En deçà de l’âge de 16 ans, les jeunes ne peuvent cependant pas travailler pendant les heures de classe et sont tenu·es d’être à la maison entre 23 h et 6 h le lendemain matin.

Des exemptions prévues

Des exceptions à l’âge minimal sont également prévues par le nouveau projet de loi, pour des activités considérées à vocation sociale ou communautaire et qui comportent peu de risques pour la santé et la sécurité. Ces risques ne sont toutefois pas plus amplement détaillés.

Les exemptions incluent le gardiennage, l’aide aux devoirs ou le monitorat dans des camps de vacances ou des organismes de loisir.

D’autres exceptions sont prévues pour la livraison de journaux ainsi que pour le travail dans une entreprise familiale de moins de dix salariés, si les parents de l’enfant en sont les propriétaires, toujours en tenant compte des risques pour la santé et la sécurité.

Le porte-parole solidaire en matière d’emploi, Alexandre Leduc, a d’ailleurs souligné lors d’un point de presse mardi que d’exempter les petites entreprises familiales ne figurait pas dans les recommandations du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM).

Il a dit craindre que cette exemption serve de passe-droit aux employeurs pour embaucher des enfants de moins de 14 ans illégalement.

« La réflexion autour des risques et de l’analyse des risques doit prendre une dimension plus grande. Même quand on va franchir l’âge de 14 ans […], lorsqu’on a des jeunes à l’emploi, on doit redoubler de vigilance pour les aspects de sécurité. »

Luc Vachon

Dans le passé, le travail des enfants dans des entreprises familiales a mené à des accidents graves. En 2021, une adolescente de 13 ans avait perdu la vie après avoir chuté dans une fosse à purin en travaillant sur une ferme familiale.

Selon Luc Vachon, président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), si ce genre d’entreprise peut brouiller la frontière entre le travail et la famille, cela « ne doit pas dégager les entreprises familiales de se préoccuper des risques ».

« Il y a des choses qu’on ne fait pas faire, même si on est sur l’entreprise familiale, à un enfant de dix, onze, douze ans », rappelle-t-il.

Qu’il s’agisse d’une entreprise familiale ou non, « la réflexion autour des risques et de l’analyse des risques doit prendre une dimension plus grande », soutient-il. « Même quand on va franchir l’âge de 14 ans […], lorsqu’on a des jeunes à l’emploi, on doit redoubler de vigilance pour les aspects de sécurité. »

La loi n’est pas tout

Bien que le projet de loi 19 semble refléter la plupart des recommandations émises par le CCTM, dans le cadre duquel Réseau réussite avait été appelé à fournir son avis, Mme Mayer-Périard prévient que la loi à elle seule ne suffira pas pour assurer la réussite scolaire des jeunes.

« Il va falloir communiquer clairement ces nouvelles dispositions et continuer à expliquer pourquoi c’est important pour la réussite éducative des jeunes »

Andrée Mayer-Périard

Réseau réussite rapporte par exemple que malgré l’interdiction de travailler pendant les heures de classe qui est déjà en vigueur, les écoles signalent de plus en plus d’absences motivées pour cause de remplacement au travail, et ce, dès le secondaire un.

« Il va falloir communiquer clairement ces nouvelles dispositions et continuer à expliquer pourquoi c’est important pour la réussite éducative des jeunes », insiste Mme Mayer-Périard.

Elle souligne aussi qu’un accompagnement sera nécessaire afin que chaque jeune atteigne un équilibre de vie qui lui convient. « Par exemple, un élève qui a des difficultés d’apprentissage aura moins de disponibilités pour travailler », précise-t-elle. Elle estime que cet accompagnement devra également être effectué auprès des parents et des employeurs afin de s’assurer du respect des normes et des bonnes pratiques. 

Il sera par ailleurs essentiel de mettre en place des mécanismes pour traiter les plaintes, pense-t-elle. À l’heure actuelle, ces services sont fournis par la CNESST pour l’ensemble des travailleur·euses. Or, selon Mme Mayer-Périard, de tels mécanismes complexes ne sont pas adaptés pour répondre aux besoins des jeunes qui souhaiteraient porter plainte contre leurs employeurs.

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