George Floyd : chronique d’une mort annoncée
George Floyd était mort bien avant le soir du 25 mai 2020, mort d’une mort sociale, d’une mort lente, d’une mort programmée par les politiques étatiques dont il était l’angle mort.
George Floyd est né en 1973, bien après la reconnaissance des droits civils, moment plein d’espoir. Mais l’espoir s’est vite évanoui.
Le racisme étant intimement lié au pouvoir, il a une capacité incommensurable à se redéfinir. C’est là sa force. Aujourd’hui, il s’est insidieusement enraciné dans les systèmes.
Résultat : le racisme normalisé devient invisible. Mais, c’est là où le bât blesse, il est omniprésent pour ceux qui en sont les victimes.
Comme tant d’autres Noir·es, George Floyd a vécu de galère en galère, pour finalement se retrouver exclu de la société. Dès son plus jeune âge, l’ombre de la ségrégation, de la pauvreté et des forces policières a assombri ses jours. Malgré ses efforts pour obtenir une éducation qui lui aurait permis de surmonter certains obstacles, George Floyd a basculé vers le néant.
Pendant des années, libéré de l’esclavage, mais emprisonné par son legs qu’est le racisme, il a cherché sa place dans une société qui n’avait que faire de son existence.
Tant par l’esclavage que par la colonisation, cette histoire est non seulement américaine, mais universelle.
Le récit de la vie de George Floyd est un outil puissant pour analyser l’expérience des Noir·es. Il fait entendre des voix ignorées et documente l’oppression raciale dans les institutions. Entendre les récits des personnes noires, qui sont dans les faits des contre-récits, permet de mettre en évidence l’influence de la race et du racisme dans la vie quotidienne des personnes et des communautés noires.
Dans le but ultime d’envisager de réels changements sociaux.
The miseducation of George Floyd
George Floyd a fréquenté des écoles ségrégées dans l’État du Texas, qui a maintenu la ségrégation malgré les décisions des tribunaux, dont la Cour suprême. Ces écoles sous-financées offraient une éducation de moindre qualité.
Alors qu’enfant, il se classait dans la moyenne, ses études secondaires se sont avérées catastrophiques. Comme la majorité des enfants noir·es, ses résultats académiques étaient alors inférieurs à ceux des enfants blanc·hes.
Ses multiples échecs ont mis à mal l’estime que George Floyd avait de lui-même. Comment pouvait-il comprendre qu’il s’agissait des répercussions du racisme systémique? Il a porté le poids d’échecs qui n’étaient pas que les siens.
Reconnaissant les aptitudes sportives hors du commun de George Floyd, une âme charitable l’a soutenu afin qu’il termine ses études secondaires, condition pour tenter sa chance dans le sport professionnel.
Peine perdue.
Pendant des années, libéré de l’esclavage, mais emprisonné par son legs qu’est le racisme, il a cherché sa place dans une société qui n’avait que faire de son existence.
Après quatre ans d’études et de sport universitaires, il est rentré bredouille dans son quartier : sans contrat sportif professionnel (son piètre dossier académique ayant toujours été un frein) et sans véritable éducation.
Au Canada aussi, faut-il le rappeler, les écoles et les universités ont historiquement été et sont encore des lieux de lutte et d’iniquité pour les étudiant·es noir·es.
Au début du 19e siècle, les gouvernements de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse ont érigé un système d’écoles publiques ségrégées. La dernière école ségrégée en Ontario a fermé ses portes en 1965.
À titre d’exemple, à plusieurs reprises au long du 20e siècle, l’Université McGill a interdit l’admission d’étudiants noirs en médecine. De 1930 à 1947, il était également impossible pour ces étudiants d’obtenir un stage dans les hôpitaux montréalais. On ne peut qu’imaginer l’effet domino et les conséquences systémiques de telles politiques tant sur la santé publique que sur le pouvoir économique des Noir·es.
Pauvreté intergénérationnelle
La pauvreté a marqué de façon intergénérationnelle la vie de George Floyd.
Son arrière-grand-père, fermier cultivant le tabac, a été extorqué par des Blancs sans scrupules.
La pauvreté a eu des conséquences sur la qualité de l’éducation qu’il a reçue, sur le ghetto où il a grandi, ou encore sur la manière dont le système de santé a ignoré sa mère, femme sans le sou.
Il a porté le poids d’échecs qui n’étaient pas que les siens.
Dès les années 1980, le gouvernement Reagan a mis la hache dans les programmes sociaux, ce qui a eu des effets disproportionnés sur les pauvres (disproportionnellement noir·es), et instauré des politiques visant la loi et l’ordre.
Et George Floyd, de retour de l’université sans diplôme ni emploi, a trouvé des petits boulots. L’argent manquant, il a commencé à faire des petits crimes, dont le trafic de stupéfiants à petite échelle.
L’ironie ultime est que George Floyd a été tué après avoir prétendument acheté des cigarettes avec un faux billet de 20 $, lui, arrière-petit-fils d’un fermier producteur de tabac.
Big Brother le regarde
Les forces policières ont été omniprésentes dans la vie de George Floyd, le surveillant, le harcelant, l’arrêtant et le menaçant de son enfance jusqu’à son dernier souffle.
L’âme de George Floyd habitait le corps d’un géant, contrastant avec son tempérament affable et pacifique, ce qui ne lui a pas facilité la vie. Sa seule présence suscitait la peur : la peur du corps noir.
Socialement construite, cette peur se répand comme une trainée de poudre. Les hommes noirs, des brutes, des violeurs (et les femmes noires, des femmes enragées, des angry black women, des Jézabel, des femmes lubriques) : stéréotypes qui prennent leur source dans l’esclavage.
Le sacrifice de cette vie doit être le point de départ d’un changement véritablement systémique.
À une époque où une politique d’incarcération cible de manière disproportionnée les hommes noirs pour des délits mineurs liés à la drogue, George Floyd a passé près du tiers de sa vie derrière les barreaux.
Cette situation de sur-représentation des personnes noires au sein du système carcéral prévaut également au Canada. Le racisme personnel, systémique et idéologique influence tout le système de justice pénale, depuis les interactions policières jusqu’aux procédures judiciaires et aux conditions carcérales.
Certaines décisions judiciaires ont souligné la présence du racisme systémique et à la suite de la mort de George Floyd, le législateur canadien a commencé à prendre des mesures afin d’y remédier.
Défaire le système
Structurellement rythmée par des impératifs plus grands que lui, l’existence de George Floyd a été un terreau fertile pour le racisme. Ainsi, les fondements de cette existence ont été mis en place des siècles avant sa naissance, alors que des générations successives de Noir·es ont lutté contre l’esclavage, la ségrégation légale et la pauvreté devenue intergénérationnelle.
Tant par l’esclavage que par la colonisation, cette histoire est non seulement américaine, mais universelle.
Chez nous comme aux États-Unis, trop peu de progrès ont été faits dans la sécurisation des droits de la personne des Noir·es. Il est impératif d’assurer l’égalité dans une société pluraliste, mais la plupart des individus, des organisations et des institutions canadiennes résistent et ne veulent ni partager le pouvoir ni distribuer les ressources.
Le sacrifice de cette vie doit être le point de départ d’un changement véritablement systémique et non d’actions visant des changements cosmétiques, symboliques, ou encore une représentativité performative.
Comme le soulignait sa fille Gianna, son « papa a changé le monde ». Pour que ces paroles deviennent réalité, il faut que la mort de George Floyd soit enfin source de changements systémiques et émancipateurs.
Nous devons nous rappeler que les derniers mots de George Floyd ont été des mots d’amour, dédiés tant à sa fille qu’à sa mère. Tout au long de sa vie, il a dit à ceux qu’il aimait qu’il les aimait. Et c’est peut-être la principale leçon qu’il nous a donnée : croire en l’amour et en la lumière envers et contre tout.
Rest in power, George Floyd.