Le Sénat canadien se penche depuis le début du mois sur le racisme qui sévit au sein même de la Commission canadienne des droits de la personne. Si ce grave problème a fait jaser au cours des dernières années, il semble retombé dans l’oubli, alors que justice est loin d’être rendue.
Revenons d’abord sur cette histoire désolante.
La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) se décrit essentiellement comme le « chien de garde » des droits humains au Canada. Elle reçoit et examine les plaintes émanant des ministères et organismes fédéraux, des sociétés d’État et de nombreuses organisations du secteur privé comme les banques, les compagnies aériennes et les sociétés de télécommunications. La commission filtre, enquête et décide quelles plaintes sont portées devant le Tribunal canadien des droits de la personne.
En mars dernier, le gouvernement fédéral a déclaré que la CCDP avait fait preuve de discrimination à l’égard de ses employé·es noir·es et racisé·es. En effet, le service des ressources humaines du gouvernement, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCTC), est parvenu à cette conclusion après qu’en octobre 2020, neuf employé·es ont déposé un grief de principe par l’intermédiaire de leurs syndicats.
Leur grief alléguait que les carrières des employé·es noir·es et racisé·es stagnaient alors que leurs collègues blanc·hes progressaient, et que les rangs des cadres supérieurs restent toujours majoritairement blancs.
Ces employé·es avaient alors également souligné le taux élevé de rejet des plaintes fondées sur la race, ce que les propres données de la Commission ont depuis confirmé. Ils et elles déploraient que des équipes entièrement composées de personnes blanches étaient généralement chargées d’enquêter sur les plaintes de racisme.
De plus, des employés actuel·les et ancien·nes de la Commission avaient à l’époque aussi rapporté que leur santé avait souffert de la discrimination dans leur milieu de travail.
Le « chien de garde » des droits de la personne des Canadien·nes a donc lui-même été trouvé coupable de discrimination envers ses propres employé·es.
Ces préoccupations faisaient aussi écho aux plaintes soulevées par l’Association canadienne des avocats du mouvement syndical, l’Association canadienne des avocats noirs et l’Association du Barreau canadien. Il n’y avait donc pas de fumée sans feu!
Imaginez-vous donc que le « chien de garde » des droits de la personne des Canadien·nes a donc lui-même été trouvé coupable de discrimination envers ses propres employé·es, en plus d’avoir toléré un environnement de travail où les plaintes de racisme étaient régulièrement tournées en ridicule et rejetées de façon disproportionnée!
Pour moi, cette affaire est décourageante. Comment cela a-t-il pu se produire au sein de notre « chien de garde » national?
Réfléchissez-y un peu : pendant que la Commission jugeait d’autres organisations, elle se livrait elle-même à la même conduite discriminatoire que celle qu’elle a juré de combattre! C’est aberrant!
Si l’organisme qui est chargé de lutter contre la discrimination est lui-même complice, où est la justice? Comment ne pas penser que les nombreuses décisions prises par la Commission ne sont pas empreintes de son propre racisme?
Ajouter l’insulte à l’injure
Même si cette affaire est sidérante, ce n’est pas nécessairement surprenant. Ce qui est aberrant, cependant, est le fait que cette affaire soit survenue au même moment où le gouvernement fédéral demandait à un juge de rejeter une action collective intentée par des fonctionnaires noir·es en 2020, arguant qu’il était préférable de porter l’affaire devant une autre instance, en tant que grief de travail… ou devant la fameuse Commission des droits de la personne.
On doit se rappeler que le recours collectif déposé devant la Cour fédérale en 2020 allègue qu’environ 30 000 fonctionnaires noir·es ont été privé·es « d’opportunités et d’avantages accordés à d’autres en raison de leur race » depuis les années 1970.
Donc l’argument du gouvernement canadien est que pour obtenir de l’aide, les victimes de racisme anti-noir dans la fonction fédérale devraient plutôt se tourner vers une institution ayant été accusée, puis trouvée coupable de sévices semblables à ceux que les victimes rapportent!
De mes yeux
Par devoir de franchise, je dois vous divulguer que je suis un des demandeurs principaux de cette action collective.
Et ayant moi-même fait affaire avec la Commission canadienne à quelques reprises comme plaignant ainsi que comme accompagnateur d’autres plaignant·es, je peux effectivement témoigner que l’organisme a du mal à gérer les plaintes sur le racisme systémique.
Un « chien de garde » édenté, quoi!
Et maintenant?
Au début du mois de mai, le Sénat canadien a à son tour lancé des audiences sur le racisme à la Commission canadienne des droits de la personne. Ce n’est pas peu dire.
La sénatrice Wanda Thomas Bernard, une travailleuse sociale de Nouvelle-Écosse, a déclaré qu’elle avait depuis longtemps entendu des rumeurs et inquiétudes au sujet de la façon dont la Commission traitait les plaintes de racisme et de discrimination.
Bernadeth Betchi est une des employées qui a fait part publiquement au Sénat canadien de son expérience au sein de la Commission. Bernadeth, qui est elle aussi une des demanderesses du recours collectif noir, était conseillère politique à la Commission. Lors d’une entrevue donnée à CBC, elle s’exclame : « Enfin, quelqu’un a entendu notre appel à la justice. J’espère que la Commission devra répondre de ses actions discriminatoires à l’encontre de ses propres employés. »
Espérons-le.
Si l’organisme qui est chargé de lutter contre la discrimination est lui-même complice, où est la justice?
Le Secrétariat du recours collectif noir demande qu’une enquête publique, menée par une personne réputée ayant une expertise en matière de racisme anti-noir, soit ordonnée par le gouvernement fédéral, afin d’examiner les pratiques de la Commission en matière d’embauche, de promotion et de maintien en poste des employé·es noir·es et afro-descendant·es.
Le secrétariat demande également au Gouvernement fédéral d’éliminer le rôle de « chien de garde » de la Commission en permettant aux Canadien·nes de déposer des plaintes directement auprès du Tribunal canadien des droits de la personne, comme il se fait en Ontario et en Colombie-Britannique.
Un fait à souligner est que le modèle de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec est identique à celui de la commission canadienne. Aurions-nous nous aussi au Québec un « chien de garde » édenté? Restez branché·es, chers lecteur·trices, on regardera ça une autre fois!