
Article de l'Initiative de journalisme local
Comment désamorcer la violence entre les jeunes à Montréal
Selon des intervenants, la violence entre les groupes de jeunes augmentera cet été si des mesures ne sont pas prises pour enrayer durablement ses causes profondes.
Alors que la violence armée cause un sentiment d’insécurité généralisé chez les jeunes dans certains quartiers de la métropole, des intervenants signalent qu’il est impératif de miser sur la prévention afin de désescalader les tensions entre les groupes. Cela veut dire voir cet enjeu comme un problème de santé publique, plutôt que de sécurité.
La récurrence de la violence armée entre des groupes à Montréal inquiète les jeunes. Au Salon de la jeunesse noire, tenu la semaine dernière, certain·es ont pu s’exprimer sur cet enjeu qui enclenche un cercle vicieux d’insécurité et une ségrégation entre les quartiers.
Ils et elles ont également pu interroger le directeur du SPVM, Fady Dagher, qui participait à un atelier sur le racisme systémique.
« Depuis la pandémie, il y a une violence sans fin à Montréal. Montréal, c’est terrible actuellement, c’est chaud », a lancé une jeune participante en le questionnant sur ce qu’il pouvait faire pour désamorcer le cycle de violence. « Moi j’ai vécu, j’ai grandi toute ma vie à Montréal, j’ai pas envie d’avoir tout le temps peur. »
La question est particulièrement importante à l’heure où des intervenants qui travaillent auprès des jeunes en difficulté prévoient que la violence continuera de prendre de l’ampleur au courant de l’été.
Dans sa réponse, M. Dagher a signalé qu’il annoncera, le 4 mai prochain, un projet de formation pour les nouveaux policiers, à l’image de celui qu’il avait mis sur pied à Longueuil lorsqu’il était à la tête du service de police local. L’initiative viserait à ce que les nouveaux·elles agent·es du SPVM vivent temporairement parmi la communauté dans neuf arrondissements de la ville, et ce dès l’automne prochain.
« Ce que je veux, c’est que les policier·ères qui vont rentrer au SPVM saisissent ce qui a amené les particularités des communautés, de certaines familles, des personnes, de certaines problématiques de santé mentale », a-t-il plus tard expliqué en entrevue exclusive avec Pivot.
Dans l’auditoire, les jeunes sont demeuré·es sceptiques. « Le programme que vous avez lancé à Longueuil, il est magnifique. Par contre, il n’est pas adapté à Montréal », a avancé une participante.
« Même moi, c’est difficile. Je suis d’origine congolaise. Si on dit à mes parents “accepte un policier [à la maison]”, ce ne sera pas facile, parce qu’il y a cette relation de peur », a-t-elle expliqué en soulignant le manque de confiance de la population vis-à-vis de la police.
Miser sur la prévention
Parallèlement à cette initiative, le SPVM prévoit aussi augmenter ses opérations de répression, explique M. Dagher en entrevue.
Si, pour les autorités, cette intervention semble essentielle, des intervenants préviennent cependant qu’il ne s’agit pas d’une solution efficace pour enrayer complètement les tensions entre les jeunes sur le long terme.
« Il faut changer de paradigme », lance René-André Brisebois, intervenant et chercheur à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté du CIUSSS Centre-Sud-de l’Île-de-Montréal. « Il faut passer d’une vision de sécurité publique à une vision de santé publique. »
Pour le chercheur, une approche de sécurité publique préconise des interventions comme des arrestations en réponse à des délits commis. « C’est un peu tardif comme intervention et ce n’est pas nécessairement axé sur l’intégration sociale [des personnes délinquantes]. »
D’un autre côté, une stratégie de santé publique permet de travailler en amont pour prévenir les crimes avant qu’ils ne soient commis. C’est aussi ainsi qu’on « assure une efficacité à plus long terme », soutient M. Brisebois. Cela comprend des interventions de prévention pour l’ensemble de la population, comme de la sensibilisation dans les écoles, ainsi qu’un accompagnement plus ciblé et une écoute auprès des jeunes à risque ou délinquant·es.
« Il faut changer de paradigme. Il faut passer d’une vision de sécurité publique à une vision de santé publique. »
René-André Brisebois
C’est précisément ce que fait Burt Pierre dans le cadre de son travail d’intervenant avec l’Équipe RDP. L’organisme communautaire œuvre directement auprès des jeunes, notamment ceux et celles qui vivent des difficultés en lien avec la violence à Rivière-des-Prairies, afin de tempérer les tensions entre les groupes.
Lui et ses collègues se rendent également dans les salles de classe des écoles secondaires de l’arrondissement pour sensibiliser les élèves aux dangers de rejoindre certains groupes.
Mais s’il n’en tenait qu’à lui, M. Pierre sensibiliserait les jeunes dès l’école primaire. « C’est eux qu’on va atteindre parce qu’il faut couper le tuyau qui amène les jeunes à la rue », explique-t-il. « Plus on les prend jeunes, plus ils sont conscientisés jeunes, moins ils vont se retrouver à la rue plus tard. »
Pour M. Pierre et M. Brisebois, la prévention doit aussi inévitablement passer par les familles, qui sont parfois elles-mêmes aux prises avec des enjeux financiers ou d’inclusion sociale.
« On a des familles qui vivent beaucoup de difficultés, qui ont peur, qui ne connaissent pas les services qui existent et qui ont peur de demander de l’aide à cause des conséquences que ça peut avoir, tant pour eux que pour leurs enfants », estime M. Brisebois. Il explique par exemple que certains parents peuvent éviter de signaler un problème par crainte de se faire enlever leurs enfants par la DPJ.
« Il faut comprendre les contextes de vie qui affligent [les familles] et qui amènent des vulnérabilités », rappelle-t-il. Selon le chercheur, il est impératif de « répondre aux besoins des familles en amont, et non pas attendre que les problématiques surviennent et finalement offrir une intervention légale ou tardive aux jeunes ».
Des interventions trop tardives
M. Brisebois estime par ailleurs que les interventions, voire la judiciarisation, surviennent trop tardivement pour certain·es jeunes, alors qu’ils et elles sont à l’aube de leurs 18 ans. Or, c’est à ce moment qu’ils et elles deviennent susceptibles d’obtenir un dossier criminel.
« On sait qu’il y a des jeunes qui passent à travers les mailles de nos systèmes, malheureusement, et qui par exemple arrivent très tardivement dans le système de justice au niveau juvénile, avec un délit très grave », explique-t-il. « Ce n’est pas normal. »
« Maintenant, [les groupes] mandatent des jeunes de douze ans, de quatorze ans pour faire des crimes dans la rue, c’est ça qui est en train de se passer. »
Burt Pierre
Les intervenant·es responsables de la réinsertion sociale des jeunes délinquant·es ont donc trop peu de temps pour agir et éviter qu’une récidive survienne à l’âge adulte.
« Maintenant, [les groupes] mandatent des jeunes de douze ans, de quatorze ans pour faire des crimes dans la rue, c’est ça qui est en train de se passer », s’inquiète M. Pierre. « Si un jeune commence à commettre des crimes à ce moment-là, entre douze et 21 ans, il a une carrière de faite. »
Cette voie devient attrayante pour des jeunes qui ne sentent pas qu’ils et elles peuvent subvenir à leurs besoins en travaillant, notamment en raison de la discrimination et du racisme systémique qu’ils et elles peuvent vivre en cherchant un emploi.
Ressources communautaires
« C’est une question complexe », pense le chef du SPVM Fady Dagher. « Il faut mobiliser un village pour s’occuper des jeunes. » Et dans ce village, le réseau communautaire reçoit trop peu de soutien financier, admet-il.
Le secteur communautaire à Montréal a reçu des enveloppes de 23 millions $ du gouvernement fédéral, 7 millions $ du municipal et 375 000 $ en provenance du provincial afin de lutter contre la violence auprès des jeunes. Le SPVM, quant à lui, a obtenu 787 millions $ en 2023, soit le budget le plus élevé de son histoire.
« Le milieu communautaire a besoin d’encore plus d’argent, surtout de la pérennisation du budget », reconnaît le directeur du SPVM. « On devrait tous être à l’écoute. Qu’est-ce que le milieu communautaire a besoin et comment on peut pérenniser les enveloppes budgétaires? Comment faire en sorte qu’ils n’aient pas à se défendre chaque année pour avoir une part de la tarte? »
Cette question n’est pas nouvelle dans le milieu communautaire, qui demande depuis plusieurs années un meilleur financement à long terme, afin de mobiliser plus d’intervenant·es dont les postes seraient garantis pendant plusieurs années.
« Le milieu communautaire a besoin d’encore plus d’argent, surtout de la pérennisation du budget. »
Fady Dagher
M. Pierre signale également un manque d’espaces sécuritaires et accessibles aux jeunes en difficulté. Ces lieux doivent se multiplier pour rejoindre les jeunes qui hésitent à se déplacer dans différents quartiers, par peur de représailles de la part de groupes ennemis. Pour accéder aux jeunes, l’intervenant doit souvent travailler directement dans la rue, malgré le danger auquel il s’expose.
Pour répondre à cet enjeu, l’Équipe RDP tente actuellement d’installer des locaux, pour lesquels les permis nécessaires ont mis plus d’un an à être délivrés par la Ville.
« Pendant ce temps-là, moi j’ai des jeunes qui meurent dehors. Pendant ce temps-là, je n’ai pas de place sécuritaire pour faire mes interventions. »