Photo: Clément Falize
Reportage

« Nos jeunes ont vraiment peur » : le cercle vicieux de la violence armée à Montréal

L’insécurité amène certain·es jeunes qui ne font pas partie des groupes armés à se tourner vers eux pour se protéger.

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La hausse des violences entre les groupes dans la métropole est synonyme d’une spirale d’insécurité, dont les jeunes sont les premières victimes. Ce sont eux et elles qui doivent composer avec ses répercussions, parfois même en s’armant dans le but de se protéger.

Le 19 mars dernier, Khaled Mouloudj, un jeune âgé de 18 ans, est tué dans l’arrondissement de Saint-Léonard. Quelques jours plus tard, un autre garçon est ciblé par des tirs d’armes à feu dans le même quartier. Plus récemment, on apprend que deux jeunes avaient été enlevés en février dernier à Anjou et amenés à Toronto, où ils ont été torturés parce qu’ils auraient trahi leur groupe.

Ces drames s’ajoutent à une longue liste d’épisodes de violences armées entre les groupes de jeunes qui semblent connaître une recrudescence à Montréal.  

« Ce sont des problématiques qui étaient là depuis longtemps », rappelle Burt Pierre, intervenant à l’Équipe RDP. « Au début, les gangs de rues étaient des moyens de se protéger et c’était un peu une réponse au racisme que [les jeunes] vivaient. »

Maintenant, « juste d’aller à l’école, ça peut devenir un stress le matin pour certains jeunes, parce qu’ils ont peur de rencontrer des gens qui veulent leur faire du mal en chemin », explique-t-il.

Dans le cadre de ses fonctions, l’intervenant travaille dans l’ombre auprès des jeunes du quartier Rivière-des-Prairies, pour faire désescalader les tensions entre les groupes. 

« Nos jeunes ont vraiment peur », insiste-t-il en soulignant l’urgence d’agir. 

Spirale de la violence

Les jeunes ressentent désormais la menace de la violence qu’ils et elles fassent partie d’un groupe ou non, rapportent les intervenant·es : ce fait nouveau témoigne de l’ampleur qu’a pris l’enjeu au cours des dernières années.

C’est cette insécurité qui explique en partie pourquoi, lorsque des jeunes ont eu accès aux prestations d’urgence durant la pandémie, certain·es ont préféré se procurer des armes plutôt que de beaux vêtements ou des jeux vidéos. Ces achats se feraient facilement à travers les réseaux sociaux, comme Snapchat.

« C’est souvent lié à un enjeu d’insécurité par rapport à un climat perçu et vécu dans le quartier », explique René-André Brisebois, intervenant et chercheur à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

« Malheureusement, c’est là qu’on embarque dans une sorte spirale, puisqu’à chaque fois qu’il y a des ripostes, chaque fois qu’il y a des coups de feu, ça augmente le sentiment d’insécurité et la volonté des jeunes de trouver une façon de se protéger. »

« Juste d’aller à l’école, ça peut devenir un stress le matin pour certains jeunes, parce qu’ils ont peur de rencontrer des gens qui veulent leur faire du mal en chemin. »

Burt Pierre

C’est ainsi que certain·es jeunes qui n’ont a priori pas de lien d’appartenance avec les groupes délinquants, sollicitent parfois la protection de ceux qui sont actifs dans leur quartier. « À la fin, t’habites dans un quartier, les gars habitent dans le même quartier et donc tu les connais, parfois depuis que t’es tout jeune. T’es pas dans un gang de rue, mais si t’as besoin de protection, c’est vers eux que tu vas aller », explique Burt Pierre.

Dans ce contexte, la police n’est pas non plus une option, car elle représente elle aussi un danger pour ces jeunes qui se sentent perçu·es comme des agresseurs par les autorités. L’intervention répressive de la police, loin de rassurer, contribue elle aussi au sentiment d’insécurité des jeunes. 

« Lorsque [les policiers] viennent, ils ne viennent pas pour nous protéger, c’est surtout pour nous arrêter. Donc il n’y a personne dans la communauté qui va leur donner de l’information, personne ne leur fait confiance », explique M. Pierre. « Notre communauté a subi des traumatismes liés à la police […] il n’y a pas de lien de bienveillance. »

Causes profondes

« À l’origine, on voit que la violence se passe dans certains quartiers avec des conditions de vie difficiles, des inégalités sociales, raciales et économiques », rappelle M. Brisebois en soulignant que ce n’est pas anodin. « Ce sont des déterminants sociaux qui expliquent bien souvent la création des groupes délinquants à la base. »

« À cause des conditions de vie difficiles, certains parents qui doivent faire vivre la famille cumulent parfois deux, trois emplois, et donc sont souvent à l’extérieur. » Les jeunes se retrouvent parfois laissé·es à eux-mêmes, dans des quartiers où trop peu de services sont mis à leur disposition et dans des situations de précarité financière. 

« Ce sont des déterminants sociaux qui expliquent bien souvent la création des groupes délinquants à la base. »

René-André Brisebois

« C’est le système D », lance Burt Pierre pour expliquer pourquoi les jeunes usent de leur débrouillardise et se tournent vers la rue pour subvenir à leurs besoins. 

« Par la suite, plus le groupe évolue, plus il développe des contacts, des expertises pour non seulement se défendre, mais aussi agir criminellement », souligne M. Brisebois. D’autres alliances entre jeunes émergent alors d’un besoin de se défendre face à la menace que représentent ces groupes. 

Ségrégation entre quartiers

Selon les intervenants, le phénomène de la violence est intimement lié à un sentiment d’appartenance au quartier. Les jeunes ne le quittent pas fréquemment, par manque de transport en commun, d’une part, mais surtout, et de plus en plus, en raison de l’insécurité que cela représente de mettre les pieds dans les secteurs voisins.

« Maintenant, juste de venir de Rivière-des-Prairies, c’est un problème si tu passes à Saint-Michel, à Pie-IX, à Viau. Si tu rencontres des gars et qu’ils te demandent d’où tu sors, ça peut te mettre en danger », signale M. Pierre.

« Tout ça, le commun des mortels n’en est pas conscient, parce que le commun des mortels ne vit pas ce genre de situation. »

Burt Pierre

Pour certain·es jeunes qui sont particulièrement vulnérables aux violences, se déplacer hors de son quartier implique un effort de planification d’un itinéraire plus long afin d’éviter certains arrondissements.

Selon M. Pierre, c’est d’autant plus alarmant que les parents, et les adultes plus généralement, ne sont pas toujours au courant du danger dans lequel peut être leur enfant s’ils déménagent ou changent d’école.

« Tout ça, le commun des mortels n’en est pas conscient, parce que le commun des mortels ne vit pas ce genre de situation. »

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