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« Transition énergétique » : des changements structurels, au-delà de l’électrification

La « transition énergétique » ne peut être réduite à des changements techniques et technologiques. Que représente-t-elle, alors?

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La transition énergétique est abondamment discutée, alors que le gouvernement Legault mise gros sur l’électrification des transports et parle même de construire de nouveaux barrages et centrales hydro-électriques. Or, à elle seule, l’électrification de l’économie ne permettra pas de parvenir à la carboneutralité, jugent les expert·es. Comment se retrouver là-dedans? Pivot démêle les concepts d’« électrification », de « transition », mais aussi d’« efficacité » et de « sobriété » énergétiques.

La transition énergétique est le processus qui mène à la décarbonation de nos systèmes énergétiques, définit Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Cette transition a donc pour cible la réduction puis l’élimination des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le maintien de notre niveau de vie.

Elle est mise en place à travers un ensemble de mesures d’utilisation d’énergies renouvelables – mais aussi de réduction de la consommation énergétique, poursuit le chercheur.

Plus largement encore, pour Andréanne Brazeau, analyste des politiques climatiques chez Équiterre, la transition énergétique est une révision de nos moyens de production, de consommation, de déplacement et d’alimentation vers des systèmes qui respectent les limites de la Terre tout en couvrant les besoins de la population.

L’électrification, insuffisante

La transition énergétique ne correspond pas uniquement à l’électrification des transports et de l’économie tels qu’ils existent actuellement, soutiennent l’analyste et le professeur : l’économie et ses infrastructures doivent être transformées. « Il serait extrêmement difficile de construire des réseaux électriques assez grands pour des usages énergétiques qui n’auraient pas été réfléchis et réduits », nomme M. Pineau.

« On ne semble pas avoir la maturité sociale au Québec pour accepter les solutions qui fonctionnent. »

Pierre-Olivier Pineau, HEC

La transition énergétique ne doit pas non plus être comprise comme l’ajout d’énergies renouvelables aux énergies déjà produites et consommées.

Or, les énergies renouvelables ne font pas exception à la tendance de l’addition énergétique, rappelle le professeur Pineau : la hausse de leur production ne réduit pas la production d’énergies fossiles, mais s’y cumule simplement. Dans ce contexte, l’ajout d’énergies renouvelables « vient simplement répondre à une demande croissante », soutient Andréanne Brazeau.

« Tant que notre société sera axée sur cette croissance infinie et qu’on n’aura pas effectué de changements systémiques dans notre façon de se déplacer, se nourrir, consommer et produire, on ne pourra pas aspirer à une réduction de la consommation énergétique ».

Le piège de l’efficacité

L’une des stratégies souvent promues pour transformer notre demande d’énergie est l’« efficacité énergétique ». M. Pineau définit celle-ci comme la réduction de la quantité d’énergie nécessaire par unité de service fourni (par exemple : pour une heure de fonctionnement d’un frigo).

L’efficacité énergétique peut donc faciliter la réduction de la production et de la consommation d’énergie.

« L’efficacité se résume par ”consommer mieux” et la sobriété, par ”consommer moins”. Et la transition demande de consommer mieux et moins. »

Andréanne Brazeau, Équiterre

Or, une menace importante l’accompagne. Le plus souvent, l’efficacité énergétique est sujette à l’« effet rebond », c’est-à-dire à la multiplication des services fournis en utilisant l’énergie économisée, remarque M. Pineau. Comme les réfrigérateurs sont plus efficaces énergétiquement, on se permettra alors d’en avoir plus d’un, exemplifie le professeur.

Un autre exemple de l’effet rebond est l’augmentation de la consommation d’essence au Québec, alors que les automobiles sont plus éco-énergétiques, illustre Mme Brazeau. Puisqu’elles sont plus efficaces, on possède davantage de véhicules, eux-mêmes plus gros, et on parcourt de plus grandes distances.

La voie de la sobriété

Ainsi, l’électrification et l’augmentation de l’efficacité énergétique doivent aller de pair avec la « sobriété énergétique ».

La sobriété énergétique est définie par M. Pineau comme la réduction de la consommation totale d’énergie afin de n’en utiliser qu’une quantité minimale pour ne satisfaire que les besoins essentiels.

Il s’agit d’une réduction des besoins énergétiques à la source, avec l’objectif de diminuer les impacts environnementaux, ajoute Mme Brazeau. Pour elle, la sobriété est compatible avec la conservation d’un niveau de vie confortable dans le respect des limites de la Terre.

« Tant que notre société sera axée sur la croissance infinie, on ne pourra pas aspirer à une réduction de la consommation énergétique. »

Andréanne Brazeau, Équiterre

La sobriété est tout particulièrement importante dans la transition énergétique pour une société énergivore comme le Québec. L’héritage d’infrastructures très gourmandes en énergie et notre dépendance à un certain style de vie et de consommation expliquent que pour répondre à la demande, le Québec importe davantage d’énergie fossile qu’il ne produit d’hydro-électricité, rappelle le dernier rapport sur l’État de l’énergie au Québec.

La sobriété et l’efficacité énergétiques sont complémentaires : « l’efficacité se résume par “consommer mieux” et la sobriété, par “consommer moins”. Et la transition demande de consommer mieux et moins », illustre Andréanne Brazeau.

Vers la transition énergétique

La réduction de la consommation énergétique et de nos émissions de GES passe donc par des changements structurels, de comportements et de normes, souligne Bernard Saulnier, ingénieur à la retraite et membre du Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec.

Andréanne Brazeau abonde dans le même sens. « Notre approche actuelle est de nous demander quelles nouvelles énergies peuvent résoudre la crise climatique, sans faire écoper l’économie. Il faut renverser notre approche, sortir de l’optique du développement et se demander comment les modèles d’affaires peuvent être compatibles avec les énergies renouvelables et les limites environnementales. »

« Et ça ne veut pas dire de retourner à l’âge de pierre, qu’on soit bien clair », fait valoir Mme Brazeau.

Et concrètement?

Pour arriver à une société moins énergivore, les gouvernements devraient faire en sorte que les choix durables soient les plus faciles et les plus logiques, insiste l’analyste chez Équiterre.

Différents secteurs de l’économie sont concernés. En transport, les transports actifs et collectifs peuvent être facilités, l’autopartage peut être encouragé et les villes, réaménagées. Une fois la demande de transport réduite, on doit offrir des alternatives électriques, exemplifie Mme Brazeau.

« Il est important de souligner que nous parlons de questions de transport, et non d’automobile », spécifie Bernard Saulnier. « Électrifier tout le parc automobile n’est pas une priorité, alors que la majorité des Québécois et Québécoises habitent en ville. Il faut plutôt amplifier massivement l’offre de transport en commun électrifié. »

Du côté de la consommation de biens, Mme Brazeau indique que des mesures doivent imposer l’allongement de la durée de vie de certains biens, lutter contre l’obsolescence programmée et favoriser l’accès à la réparation. « Ultimement, l’idée est d’arriver à moins produire, et par le fait, réduire le transport associé à ces produits, etc. », nomme l’analyste des politiques climatiques.

Pour sortir les carburants fossiles des bâtiments et du transport, cela implique aussi d’avoir des maisons plus petites, mieux isolées, plus compactes et rapprochées, mentionne Pierre-Olivier Pineau.

Des exemples inspirants

« C’est fascinant, parce que des exemples de pays en véritable transition énergétique existent. Le Danemark et l’Allemagne ont réduit leur consommation énergétique de manière absolue, tout en observant une croissance démographique et économique », présente le professeur Pineau.

Les mesures efficaces pour réduire leur consommation d’énergie sont les prix d’énergie élevés, des contraintes réglementaires et des programmes sociaux, estime-t-il.

« Très peu de politiciens ont le courage de mentionner ces pistes, et lorsqu’ils le font, ils sont mal perçus. On ne semble pas avoir la maturité sociale au Québec pour accepter les solutions qui fonctionnent », déplore le chercheur.

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