
Budget Girard : moins d’impôts, moins de dette, moins de services
Que retenir du budget du Québec déposé mardi par le ministre des Finances Éric Girard?
Le budget du gouvernement du Québec coupe dans les revenus avec des baisses d’impôts et des objectifs plus sévères de réduction de la dette. Parallèlement, il ne répond pas aux attentes de la société civile en matière de logement, d’environnement ou de soutien aux étudiant·es.
Le budget déposé mardi par le ministre des Finances Éric Girard privera le gouvernement d’importants revenus pour les prochaines années. En plus des baisses d’impôts promises durant la campagne électorale, qui coûteront 1,7 milliard $ annuellement, le gouvernement reconduit – et élargit – le congé fiscal pour les « grands investissements », réduisant ainsi la contribution fiscale des entreprises de 373 millions $ sur les cinq prochaines années.
De plus, le gouvernement se dote de nouvelles cibles de réduction de la dette, souhaitant ramener celle-ci à 30 % du PIB d’ici 2038. « Ça va avoir un grand coût, alors que pourtant, la dette publique est sous contrôle », dénonce la présidente de la CSN Caroline Senneville.
« La dernière fois qu’on s’est donné des objectifs de réduction de la dette, au moins on avait eu un débat public. Là, on nous annonce ça sans discussion, dans le budget », déplore-t-elle.
« Au mieux, on parle de maintenir le niveau de service, alors que tout le monde s’entend pour dire qu’il faut l’améliorer. »
Caroline Senneville, présidente de la CSN
Un risque pour les services sociaux
Ce budget montre bien l’approche très conservatrice du gouvernement, qui guide la province vers un désengagement des services sociaux en limitant l’argent dont il dispose, selon Guillaume Hébert, économiste à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
Un jugement nié par le ministre Girard, qui garantit qu’il n’y aura « aucune coupure dans les services ».
Une déclaration dénoncée par Christine Labrie, députée de Québec solidaire, qui remarque que le budget témoigne d’un grand optimisme financier sur plusieurs points. Il considère notamment que les syndicats de la fonction publique accepteront la proposition du Conseil du trésor pour le renouvellement de leurs conventions collectives, « même si c’est une offre qui appauvrit considérablement les travailleur·euses ».
Les affirmations du ministre sont aussi accueillies avec scepticisme par la présidente de la CSN, qui doute de la capacité du gouvernement à maintenir les services publics. « Ce qui est certain, c’est que ça n’améliora certainement pas la situation, en tout cas. Au mieux, on parle de maintenir le niveau de service, alors que tout le monde s’entend pour dire qu’il faut l’améliorer », souligne-t-elle.
Un désengagement du logement social
Le ministre s’est aussi félicité d’investir un milliard $ dans le domaine du logement au cours des cinq prochaines années. « Ce qu’on ne peut pas construire, on va le fournir en aide », a-t-il déclaré.
« C’est de la poudre aux yeux! Pour arriver à ce chiffre [d’un milliard $], il calcule plusieurs dépenses […] qui n’empêchent pas la crise du logement d’empirer », dénonce Véronique Laflamme, du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).
Elle déplore que la majorité de ces investissements n’aient rien à voir avec la construction de logements. « Le tiers de ce milliard $ va à des mesures d’aide financière individuelle, comme la bonification du crédit d’impôt pour solidarité, qui ne fera pas une grande différence pour les ménages dont les loyers explosent. »
Elle souligne en particulier que le budget ne réserve aucune somme garantie pour de nouveaux logements sociaux, ce qui confirme que le gouvernement se désengage de ce modèle d’aide à l’habitation.
Le budget prévoit plutôt l’ajout de 1500 logements « abordables », dont 500 financés en partenariat avec le privé, au coût d’environ 300 millions $ d’ici 2028. Mais cette mesure est loin de remplacer le logement social, selon Véronique Laflamme, qui rappelle que les logements dits « abordables » par le gouvernement sont beaucoup trop chers pour plusieurs locataires dans le besoin.
Le budget ne prévoit aucune somme garantie pour la construction de nouveaux logements sociaux.
« Même si quelques unités parmi celles financées deviendront probablement du logement social, ce qui est clair, c’est que le gouvernement tourne le dos à ce modèle et aux milliers de Québécois·es qui n’arrivent pas à se loger », déplore-t-elle.
Québec accordera toutefois 191,5 millions $ pour aider à l’achèvement de 3300 unités de logements sociaux débutés grâce à l’ancien programme AccèsLogis. « C’est déjà ça, mais il y a présentement 9000 logements sociaux qui ne sont pas terminés. Seulement pour l’île de Montréal, on aurait eu besoin de 314 millions $ pour livrer les projets en cours », remarque Mme Laflamme.
Pas de vision en environnement
Un autre domaine où les annonces budgétaires cachent mal le manque d’intérêt du gouvernement est l’environnement, selon Julia Posca, chercheuse à l’IRIS. En effet, même si le ministre Girard s’est félicité de bonifier le Plan pour une économie verte de 1,4 milliard $ d’ici 2030, le budget ne contient finalement pas vraiment de mesures concrètes qui pourraient permettre au Québec de renverser la vapeur dans la lutte aux changements climatiques, explique-t-elle.
« Par exemple, en transport en commun, on propose des mesures dérisoires [244 millions $] et nettement insuffisantes pour réduire notre dépendance à la voiture », illustre Julia Posca.
Rien (ou presque) pour la précarité étudiante
Le ministre Girard a réitéré l’engagement de son gouvernement en éducation, le budget consacrant 2,3 milliards $ à diverses mesures visant à « développer le potentiel des jeunes ».
Notamment, le gouvernement rend permanentes les bonifications qu’il avait apportées au régime des prêts et bourses durant la pandémie. La mesure, qui coûtera 48,3 millions $, permettra aux étudiant·es de conserver entre 96 $ et 205 $ de plus par session.
Ce montant est loin de leur permettre de sortir de la précarité, souligne la présidente de la Fédération étudiante du Québec (FECQ), Maya Labrosse. « Dans le contexte où le gouvernement dit vouloir compter sur les écoles pour combler la pénurie de main-d’œuvre, c’est un non-sens qu’il ne soutienne pas davantage la réussite des étudiant·es », remarque-t-elle.
La FECQ souligne toutefois l’investissement de 5,3 millions $ dans la reconnaissance des acquis qui viendra aider à harmoniser les parcours scolaires atypiques.
Clarification : Les commentaires de Mme Véronique Laflamme sur la répartition des dépenses en logement et sur la construction de nouveaux logements ont été reformulés et précisés. Notamment, les 9000 logements sociaux non terminés sont bien répartis sur le territoire du Québec, et non sur l’île de Montréal. (22-03-2023)