Une reproduction de chambre à coucher, réalisée par un groupe d'étudiants à l'école secondaire Eulalie Durocher. | Photo : Léa Beaulieu-Kratchanov
Reportage

L’art comme médium pour l’éducation à la sexualité

Au cours des derniers mois, des étudiant·es de l’école secondaire Eulalie-Durocher à Hochelaga ont suivi un cours d’art plastique pas comme les autres. 

·

En novembre dernier, entre les murs de l’école secondaire Eulalie-Durocher à Hochelaga, les étudiant·es se sont lancé·es dans un processus de création ambitieux. Sous la supervision de leur professeure d’art, Nadine Guesdon et de son acolyte, l’artiste calligraphe Monsieur Boz, ils ont créé des installations qui abordent avec brio la sexualité et l’identité de genre.

À l’école secondaire Eulalie-Durocher, dans la classe d’arts plastiques de Madame Nadine, une soixantaine d’étudiant·es ont pensé, développé et réalisé des installations artistiques avec l’aide de Monsieur Boz, un artiste de calligraphie qui fait du « garbage beauty », une approche créative basée sur la récupération des déchets.

En mariant la réutilisation d’objets, la sculpture et la calligraphie, ils et elles ont créé des mises en scène évocatrices qui, depuis peu, occupent les recoins de l’école. Dans la cafétéria, on retrouve une réplique de chambre à coucher et une collection de vêtements, tandis qu’à l’étage, un mannequin est juché sur un banc, parapluie en main côtoyant son voisin, assis avec une boule au ventre.  

Ici, les créations sont un prétexte afin d’aborder l’éducation à la sexualité – sujet épineux qui demeure négligé dans les écoles au Québec, faute de spécialistes pour l’enseigner.

Située dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, l’école secondaire Eulalie-Durocher est fréquentée par des étudiant·es âgé·es entre 16 et 21 ans, dont certain·es effectuent un retour aux études. « Si on ne leur parle pas d’éducation à la sexualité maintenant, qui va leur en parler? », questionne Nadine.

« C’est vraiment important », intervient une étudiante. « Il y a beaucoup de jeunes qui sont mal informés. » C’est pour remédier à cette lacune que Nadine a demandé à Estelle Cazelais, sexologue et directrice du volet éducation de l’organisme Les 3 sex*, de venir en classe afin d’aborder le sujet avec ses étudiant·es.

« Si on ne leur parle pas d’éducation à la sexualité maintenant, qui va leur en parler? »

Nadine Guesdon

« Ça s’est passé super bien dans les classes », relate Nadine. Après les interventions d’Estelle, le temps est venu pour les étudiant·es de se réapproprier les savoirs. À la surprise des enseignant·es, les idées ont vite commencé à fuser de toute part.

Parmi les concepts réalisés, on retrouve notamment la reconstitution d’une chambre à coucher monochrome tapissée de mots doux, un parapluie à insultes et des vêtements astucieusement assemblés pour illustrer le consentement. 

Toutes les installations arborent des jeux de mots habiles. Sur une table de chevet, à côté d’une lampe on peut lire « Tu m’allumes ». L’inscription « Si c’est pas clair, c’est non », est dissimulée derrière un chandail translucide. « Est-ce que t’aimes ça? » surplombe un matelas. 

Un processus de création collectif

Monsieur Boz a l’habitude de travailler dans des écoles afin de participer au développement artistique des jeunes, mais pour lui, ce projet se démarque par sa nature collaborative.

« C’est pour ça que ça a été aussi long, on ne leur a rien imposé. On a juste brainstormé avec eux en disant “OK, qu’est-ce qu’on fait?” » C’est à partir de là que tou·tes et chacun·e ont pu explorer leurs compétences et leurs intérêts, dans un processus d’autodétermination et de travail d’équipe.

« Pour moi, c’est de la chillosophie. On philosophe, mais on ne le prend pas trop au sérieux, on parle entre nous. »

Monsieur Boz

« Ils ont vécu tout le vrai processus de création, avec ses hauts et ses bas », précise Nadine en expliquant que cela a impliqué de se heurter aux limites de la faisabilité et d’entrevoir des solutions.

C’est d’ailleurs comme ça que, faute de pouvoir se procurer des mannequins, les étudiant·es en ont fait maison, en utilisant de la pellicule de plastique, leurs propres corps comme modèles et une bonne dose d’ingéniosité.

Décloisonner les apprentissages

« C’est ça qui était génial en fait : on nous demande de ne pas cloisonner nos matières », explique Nadine. En plus de l’art et de l’éducation, l’expérience a aussi permis d’injecter des notions de français et de philosophie.

« Pour moi, c’est de la chillosophie », ajoute Monsieur Boz. « On philosophe, mais on ne le prend pas trop au sérieux, on parle entre nous. » Pour l’artiste, il s’agit là d’une étape fondamentale, qui permet d’exprimer et de développer les idées créatives.

Si le résultat est là, bien tangible, pour lui, le vrai succès de cette initiative est immatériel : il se trouve dans le cheminement personnel des étudiant·es.

Susciter la discussion

Signe plus révélateur encore : les installations qui occupent la cafétéria de l’école auraient déjà suscité des conversations animées parmi les autres étudiant·es. « Il y avait beaucoup d’émotions », explique une étudiante qui était présente lors de l’installation d’une œuvre dans la cafétéria.

« Il y en avait qui étaient confus, d’autres étaient émus », rapporte-t-elle en précisant que la plupart s’arrêtaient pour bien lire les phrases inscrites. « Moi, quand j’ai vu ça, j’ai dit “Ah! Madame Nadine, elle [me rend] fière!”»

Vous aimez notre contenu? Abonnez-vous à Pivot pour soutenir un média indépendant qui bouleverse le statu quo, suscite le débat et permet à de nouvelles voix de se faire entendre.

Pas prêt·e à vous abonner à Pivot? Inscrivez-vous à notre infolettre pour recevoir les actualités des luttes et des alternatives.