Fady Dagher, futur chef du SPVM | Capture d'écran : Ville de Montréal
Nouvelle

Un nouveau chef ne règlera pas tous les maux du SPVM

La nomination de Fady Dagher à la tête de la police montréalaise ne pourra pas à elle seule changer sa culture institutionnelle, selon des observateur·trices.

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La sélection de Fady Dagher à la direction du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) a été annoncée en grande pompe par la Ville de Montréal. Alors que l’administration Plante se réjouit de la vision « avant-gardiste » du futur chef de police, d’autres émettent des doutes sur la possibilité de changer de l’intérieur la culture institutionnelle du SPVM.

Jeudi dernier, le futur chef de police Fady Dagher a témoigné devant la Commission de la sécurité publique de Montréal pour exposer sa vision pour le service de police montréalais. Rappelant avoir travaillé pendant 25 ans au SPVM, il a insisté sur l’importance « d’avoir un service de police beaucoup plus inclusif » qui témoignera « d’un équilibre entre la prévention et la répression » et qui « tendra la main aux les communautés sur le terrain ».

Ce discours faisait écho à ce qu’il a mis en place depuis 2017 au Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), notamment le programme RESO, qui vise à former des « policiers communautaires » grâce à des stages d’immersion auprès des populations vulnérables. Les agent·es ainsi formé·es sont censé·es pouvoir mieux s’attaquer aux problèmes sociaux qui ne relèvent pas de la criminalité.

Les propos de M. Dagher ont été salués par la mairesse de Montréal Valérie Plante. « Fady Dagher représente l’avenir de la police », a-t-elle déclaré.

Ted Rutland, professeur associé à Concordia et spécialiste des questions policières, doute toutefois du caractère novateur de cette vision.

La police, au service du communautaire?

« C’est ce qu’on appelle la police communautaire ou, comme préfère l’appeler M. Dagher, la police de concertation », explique-t-il. Ces doctrines seraient déjà partiellement intégrées par les services de police d’Amérique du Nord, dont celui de Montréal, depuis les décennies 1980 et 1990, souligne-t-il.

« Est-ce qu’on embauche plus de policiers pour faire du travail communautaire, ou est-ce qu’on embauche plus de personnes qui ont étudié pour ça? »

Ted Rutland

Selon lui, cette vision de la police ne mène pas à une transformation de l’institution policière et de ses façons de faire déjà en place. Elle aurait plutôt tendance à se manifester dans l’embauche de policiers supplémentaires qui auront la mission de tisser des liens avec la communauté, explique-t-il.

« C’est vrai qu’on a besoin de plus de personnes qui travaillent au sein des communautés, mais on a un choix à faire : est-ce qu’on embauche plus de policiers pour faire du travail communautaire, ou est-ce qu’on embauche plus de personnes qui ont étudié pour ça et choisi leur carrière dans le but d’aider leur communauté? », questionne-t-il.

Cette façon de faire aurait aussi tendance à modeler la communauté au service des intérêts policiers, plutôt que de simplement servir la communauté, prévient Ted Rutland. « La police a tendance à légitimer les acteurs communautaires qui jouent un rôle en partenariat avec eux et à marginaliser les autres », remarque-t-il. Ainsi, plusieurs groupes pourraient être contraints de former des partenariats avec les forces policières de peur de voir leur financement disparaitre, illustre-t-il.

La formation n’arrêtera pas le profilage

Lynda Khelil, responsable de la mobilisation à la Ligue des droits et libertés, a également des réserves quant au rapprochement souhaité par M. Dagher entre le service de police et les communautés racisées, marginalisées et autochtones de la métropole.

« Ce n’est pas clair ce que sera l’objectif de ce rapprochement, mais ce qu’on sait, c’est que les actes de “prévention” veulent souvent dire profilage dans le jargon des policiers », rappelle-t-elle.

Linda Khelil voit tout de même d’un bon œil que M. Dagher ait reconnu publiquement avoir lui-même commis du profilage. Une prise de parole rarissime pour une personne dans sa position, d’après elle. « Peut-être qu’il pourra aider les policiers à mieux comprendre ce qu’est exactement le profilage », prédit-elle.

« Les actes de “prévention” veulent souvent dire profilage dans le jargon des policiers. »

Lynda Khelil

Elle a toutefois des réserves quant à la stratégie du chef de police visant à miser principalement sur la formation des policier·es pour régler plusieurs problèmes, comme le profilage, dont les sources ne sont pas individuelles, mais plutôt institutionnelles. Rappelant que M. Dagher supporte la décision du gouvernement de contester la décision Luamba qui a mis fin aux interpellations routières aléatoires, elle s’interroge donc sur sa réelle volonté de s’attaquer à la culture institutionnelle à la source des problèmes du SPVM.

« Pour nous, ce qu’il faut pour mettre fin au profilage, c’est de limiter le pouvoir discrétionnaire des policiers et ce n’est pas ce qui est présenté par sa vision », résume-t-elle.

Pour Ted Rutland, s’attaquer aux problèmes institutionnels du SPVM est tout à fait réalisable, pourvu que l’administration municipale assure un certain leadership en matière de sécurité publique, contrairement à ce qu’elle a fait dans les dernières années. La Ville pourrait par exemple exiger du chef de police qu’il crée une escouade entièrement civile pour gérer les appels du 911 non reliés à la criminalité, plutôt que de le laisser créer une escouade mixte pilotée par des policier·es pour répondre aux mêmes appels, explique-t-il.

« Fady Dagher est très intelligent, il est un bon leader, il veut mettre sa marque sur les institutions qu’il touche, ce qui n’est pas mauvais du tout. Ce qui est important, c’est que nous, les citoyens et les gouvernements, on encadre bien ce qu’il fait », conclut-il.

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