Une police avant-gardiste?

LETTRE D’OPINION | Voulons-nous convertir les policiers en travailleurs sociaux, ou bien mobiliser des professionnels ayant vraiment la formation nécessaire pour gérer les problèmes sociaux?

Sur ICI Radio-Canada, on peut maintenant écouter une série documentaire sur l’avenir de la police au Québec. La série, qui s’appelle Police avant-gardiste, se penche sur le Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) et son nouveau projet, le Réseau d’entraide sociale et organisationnelle (RESO). Bien qu’il soit novateur à plusieurs égards, le RESO ressemble en réalité beaucoup plus aux modèles de police du passé et ne tient pas compte des nouveaux modèles prometteurs que de nombreuses villes commencent à instaurer.

Comme le montre Police avant-gardiste, le programme RESO vise l’implantation de policiers dans la communauté. Plutôt que de répondre aux appels au 911 ou de mener des enquêtes criminelles, les 17 agent·es du RESO circulent à pied, établissent des relations avec les groupes communautaires et collaborent avec ceux-ci pour s’attaquer à différents problèmes sociaux avant que la police n’ait à intervenir.

Les mérites de cette approche semblent évidents. Selon Fady Dagher, directeur du SPAL, environ 85 % des appels au 911 n’ont rien à voir avec la criminalité. Ces appels sont plutôt effectués pour obtenir des services ou de l’aide. À mesure que les agents du RESO se feront connaître, les citoyen·nes et les groupes communautaires pourront les contacter directement dans de telles situations.

Voulons-nous convertir les policiers en travailleurs sociaux, ou bien mobiliser des professionnels ayant vraiment la formation nécessaire pour gérer les problèmes sociaux?

À l’aube de l’expansion du RESO, le SPAL se dirige tranquillement vers un modèle de police à deux volets, où une brigade gère les problèmes sociaux tandis qu’une autre s’occupe des incidents nécessitant l’intervention des forces de l’ordre.

Une vieille nouvelle idée

La philosophie du RESO n’a rien de nouveau. Le célèbre père de la police métropolitaine de Londres, Robert Peel, soutenait que les policiers devaient être des membres à part entière de leur communauté, tandis que la plupart des services de police nord-américains du 19e siècle assignaient des agents à différents services publics, notamment l’aide alimentaire et l’hébergement pour les plus démuni·es.

Mais que s’est-il passé depuis? Au 20e siècle, la modernisation des gouvernements et l’avènement de l’État-providence ont ouvert la voie à la spécialisation des services publics. La police s’est alors consacrée à la criminalité, et les travailleur·euses sociaux·ales et autres professionnel·les ont pris en charge les problèmes sociaux.

Dans les 40 dernières années, toutefois, ce modèle fondé sur la spécialisation s’est effrité. On fait de plus en plus appel aux policier·ères pour s’occuper des problèmes sociaux, non pas parce qu’ils et elles sont les mieux formé·es pour le faire, mais parce que le financement octroyé aux programmes sociaux a diminué, tandis que le budget de la police n’a cessé d’augmenter.

Pourquoi miser encore sur la police?

Ce déséquilibre doit être corrigé, mais il y a de bonnes et de moins bonnes façons de s’y prendre.

Alors que le SPAL convertit les policier·ères en travailleurs·euses sociaux·ales, de nombreuses villes mettent sur pied des équipes d’intervention civiles. Composées non pas de policier·ères, mais de professionnel·les formé·es pour gérer les problèmes sociaux, ces équipes ont pour mandat de répondre aux appels au 911 ne concernant pas des incidents criminels.

Après avoir analysé des appels au 911, plusieurs villes américaines, dont Seattle, ont déterminé que c’est une brigade civile qui devrait intervenir dans au moins 50 % des cas. Au Canada, la Ville d’Edmonton a établi cette proportion à 33 % et a déjà commencé à transférer une partie du budget de la police à une équipe d’intervention civile.

On fait de plus en plus appel aux policiers pour s’occuper des problèmes sociaux, parce que le financement octroyé aux programmes sociaux a diminué, tandis que le budget de la police n’a cessé d’augmenter.

À Montréal, l’équipe mobile de médiation en intervention sociale (EMMIS) effectue des interventions civiles en lien avec certains enjeux sociaux (surtout l’itinérance) dans l’arrondissement de Ville-Marie. Ce projet, n’ayant pas été développé en concertation avec les groupes travaillant auprès des personnes en situation d’itinérance, a été critiqué par ces derniers. Si l’on donnait suite à ces critiques, et que l’on commençait à assigner des appels au 911 à l’équipe, celle-ci pourrait fournir une réponse appropriée à de nombreux appels.

Ces autres modèles devraient faire réfléchir les téléspectateur·trices de Police avant-gardiste et le grand public. Voulons-nous convertir les policiers en travailleurs sociaux, ou bien mobiliser des professionnels ayant vraiment la formation nécessaire pour gérer les problèmes sociaux? Voulons-nous que les personnes qui interviennent dans de telles situations portent une arme à feu (comme c’est le cas pour les agents du RESO)? Voulons-nous qu’elles travaillent pour une institution qui surveille et arrête des individus – très souvent aux prises avec un problème social – et qui ne se retient pas de communiquer des renseignements personnels?

Bref, les 3,6 millions $ octroyés par le gouvernement provincial au RESO seraient-ils utilisés à meilleur escient s’ils servaient à refinancer les programmes sociaux existants ou à en créer de nouveaux?

C’est encourageant que Fady Dagher et le SPAL reconnaissent qu’il y a des problèmes inhérents au modèle actuel de police. Pour régler ces problèmes, toutefois, il nous faut réfléchir non seulement aux opérations de la police, mais aussi au partage des ressources et des responsabilités entre les services de police et les secteurs publics et communautaires dont on a réduit ou coupé le financement au cours des dernières décennies.

Ted Rutland est professeur à l’Université Concordia. Ses recherches examinent les politiques raciales de la planification urbaine et le maintien de l’ordre dans les villes canadiennes.

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