La communauté japonaise montréalaise a dénoncé le festival Japania pour une exploitation irrespectueuse de sa culture. Ce n’est pas la première fois qu’elle juge que l’utilisation de la culture japonaise ne se fait pas dans le respect. Comment apprécier les richesses de cet héritage millénaire sans en faire de l’appropriation culturelle?
« Un festival “japonais” a lieu ce weekend dans le Vieux-Montréal. Je ne le nommerai pas, car je ne veux surtout pas en faire la promotion » ainsi commence une publication Facebook signée Marilou Yoshimura-Gagnon, publiée le 14 octobre et qui sera partagée plus de 200 fois. « Sachez que ce nouveau festival est organisé par des non-Japonais qui n’ont jamais visité le Japon. En plus de n’avoir aucun organisateur ou consultant d’origine japonaise, ils ont ignoré des discussions avec certains membres de la communauté japonaise et ont montré peu de respect envers d’autres. »
Mme Yoshimura-Gagnon ajoute que les commerçant·es japonais·es ont boycotté l’événement. Elle conclut en appelant le public à ne pas s’approprier sa culture.
Le festival japonais Yatai MTL a plus tard confirmé que c’était le festival Japania, qui s’est tenu les 15 et 16 octobre derniers, qui était visé par ces critiques.
« Sachez que ce nouveau festival est organisé par des non-Japonais qui n’ont jamais visité le Japon. »
Les organisateur·trices du festival Japania, Stéphanie Chau et Aniss Birouk, nous ont affirmé par courriel qu’une personne japonaise était impliquée lors des débuts du processus d’organisation de l’événement, mais que cette personne s’est désistée plus tard pour se consacrer à d’autres projets professionnels. Elle et il ont aussi affirmé que « diverses études et recherches » ont été entreprises durant l’organisation du festival, citant que la « vérification des sources a été primordiale » pour eux.
Il et elle expliquent le manque de commerçant·es japonais·es au festival par le fait que ceux et celles qui ont été contacté·es ne leur ont pas donné un « retour positif », mais soutiennent que leurs discussions avec les personnes japonaises se sont passées « sans encombre ».
Chau et Birouk nient avoir fait de l’appropriation culturelle ou avoir insulté la culture japonaise, ayant « vérifié les sources de chaque élément ».
Un problème qui se répète
Ce n’est pas la première fois qu’il y a un tollé à Montréal contre l’appropriation culturelle japonaise. En décembre dernier, la communauté japonaise avait exprimé son mécontentement envers le restaurant Yoko Luna – nommé Geisha Montreal à l’époque – parce que les propriétaires utilisaient des femmes asiatiques hypersexualisées qu’ils qualifiaient de « geisha » dans leur matériel de promotion. Depuis son ouverture, le restaurant a continué de s’attirer des critiques.
Pour beaucoup de Japonaises et de personnes de la communauté est-asiatique, les femmes asiatiques hypersexualisées sont un stéréotype offensant qui découle de l’occupation militaire de plusieurs pays d’Asie au 20e siècle. Les femmes asiatiques sont alors réduites à servir le divertissement sexuel des hommes blancs.
En août dernier, l’ostéopathe Norio Tomita avait aussi critiqué le kiosque de pâtisseries japonaises Chef Jiggly, à Laval, pour l’utilisation d’images stéréotypées de lutteurs de sumo et de geisha dans son matériel de promotion. Depuis, ces images ont été retirées des réseaux sociaux du commerce.
Alex Caron, superviseur chez Chef Jiggly, explique que l’équipe derrière le commerce a été inspirée par les vidéos TikTok des gâteaux au fromage japonais en janvier dernier. Il affirme qu’un chef non japonais a par la suite voyagé au Japon pour recueillir la recette des gâteaux, que le commerce a par la suite modifiée.
« On n’est pas ici pour provoquer quelqu’un, on veut juste essayer de nouvelles choses. On s’est rendu compte que les images n’étaient pas une bonne idée. Donc on a appris de ça et modifié les choses en conséquence », dit-il, ajoutant qu’il est ouvert à tout retour de la communauté japonaise.
Malgré le changement d’iconographie, les recettes demeurent, M. Caron mentionnant qu’il est « parfaitement à l’aise » avec cela.
Comment apprécier la culture japonaise sans appropriation
Depuis quelques années, la culture japonaise devient de plus en plus en vogue à Montréal. On peut maintenant trouver bien plus que les sushis : les izakayas, les festivals de culture japonaise, et les pâtisseries japonaises sont maintenant une partie intégrante de l’offre culturelle de la métropole.
Norio Tomita n’est pas contre l’idée qu’une personne non japonaise puisse détenir un commerce vendant des produits japonais, citant en exemple des restaurants japonais ouverts par des Chinois·es et des Coréen·nes. Il est très ouvert à l’idée d’aider les autres à promouvoir sa culture et ne veut pas s’immiscer dans les commerces des gens d’autres communautés.
« Mais dans le cas des images de sumo qui avaient été utilisées par Chef Jiggly – nous sommes reconnaissants qu’ils les aient retirées – et de celles de geishas par Yoko Luna, c’était de l’appropriation culturelle de basse qualité. Ils disent que c’est inspiré de la culture japonaise et fusion, mais ça en est très loin. Il semble qu’il n’y a aussi aucun Japonais qui soit impliqué ou qui a été consulté. »
M. Tomita souhaite que les personnes désirant ouvrir un commerce japonais ou organiser un festival culturel consultent la communauté. « On est 1400 à Montréal, ce n’est pas difficile de nous trouver », affirme-t-il.