« L’étalement urbain est le plus grand fléau environnemental »

L’étalement continu des banlieues est aussi inutile que dommageable, estime Christian Savard, de Vivre en ville.

Le développement de villes de banlieue comme Lévis, qui sera sur-stimulé par la construction d’un 3e lien, ne doit pas être considéré comme un droit sacré, affirme Christian Savard, directeur de l’organisme Vivre en Ville. Le développement suburbain est coûteux pour l’environnement, pour la société et pour les finances publiques, et devrait être abandonné au profit du développement à l’intérieur des périmètres déjà urbanisés.

Dernier article d’une série de trois sur le 3e lien, l’étalement urbain et le développement frénétique de Lévis.
« 3e lien : des milliards $ pour les constructeurs et des promoteurs »
« Non, la croissance d’une municipalité ne fait pas automatiquement baisser les taxes foncières »

Tous les indices montrent que la construction d’un 3e lien va stimuler encore plus l’étalement urbain sur la Rive-Sud de Québec, en particulier à Lévis. L’ex-ministre des Transports, François Bonnardel, affirmait que l’étalement n’est pas un problème. Votre avis?

Christian Savard : L’étalement urbain est l’une des plus grandes sources d’inquiétude avec le 3e lien. Quand on observe comment les villes se développent depuis des décennies, on constate que l’étalement urbain est probablement le plus grand fléau environnemental en ce qui concerne notre empreinte écologique.

Le développement suburbain est un mode de développement basé sur l’auto. Il consacre la dépendance à l’auto de manière quasi exclusive. Ce n’est pas pour rien que les transports constituent la principale source de gaz à effet de serre au Québec : c’est à cause de l’étalement urbain. Tant qu’on restera dépendants de la voiture, on ne pourra pas prendre le virage environnemental.

Soutenez un journalisme progressiste et fièrement indépendant en vous abonnant ou en faisant un don.

Mais l’étalement des villes n’est-il pas un phénomène normal? La population s’accroit, les villes grossissent…

Christian Savard : Oui, les villes ont toujours grossi. Mais jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, elles grossissaient sur un mode axé sur la marche et le transport en commun. Après la guerre, on s’est mis à construire des autoroutes, en disant que c’était ça, la modernité. Les autoroutes sont devenues le principal vecteur de l’étalement urbain. Cette infrastructure nous cadenasse dans un mode de vie très dépendant de l’auto, en plus de bouffer des terres agricoles et des milieux naturels.

C’est très coûteux. Collectivement, le mode de développement suburbain est deux fois plus coûteux que le développement urbain. Les coûts vont du simple au double pour les égouts, les réseaux d’aqueduc, les routes… même les écoles sont moins optimisées.

La Politique nationale sur l’aménagement du territoire, déposée en juin par le gouvernement caquiste, vise à contrer l’étalement urbain. N’y a-t-il pas une contradiction à adopter cette politique tout en voulant construire le 3e lien?

Christian Savard : C’est complètement incohérent. En plus, le 3e lien est déjà incohérent avec la stratégie du gouvernement sur les GES. Dans son plan d’économie verte, le gouvernement dit qu’il ne faut plus être dépendant de la voiture. Le projet de 3e lien est un projet politique qui vient en contradiction avec plusieurs autres politiques adoptées par ce même gouvernement. La cohérence n’existe pas.

Alors, à quels intérêts servira le 3e lien?

Christian Savard : Je ne le sais pas. Je crois que c’est juste politique. Et puis, il va y avoir des gens qui vont tenter de développer des terrains…

Le maire de Lévis, comme bien des maires, veut que sa ville continue de se développer. Il compte sur le 3e lien pour y arriver. Le développement des municipalités doit-il être considéré comme un droit inaliénable?

Christian Savard : Il faut remettre en question le sacro-saint droit au développement immobilier. Oui, ce développement rapporte beaucoup d’argent à court terme. Quand on construit des quartiers, ça apporte l’argent des permis de construction, des taxes de bienvenue puis des taxes annuelles, ainsi que les infrastructures publiques construites par les promoteurs [NDLR : quand des promoteurs développent un nouveau quartier, ils construisent les rues à leurs frais]. L’année de la construction d’une maison, c’est très payant pour une ville.

C’est pour ça que les maires sont tous obsédés par l’idée de construire des maisons. Ils font des communiqués de presse pour s’en féliciter, comme « Lévis a émis un record de permis de construction ». C’est un indicateur de performance, mais il pousse à accepter n’importe quoi, n’importe où, pour avoir plus d’argent. Les municipalités manifestent toutes une forte dépendance à la construction.

On se développe pour se développer. On est heureux, là, parce qu’on est plus gros! Je pense que ce n’est pas plus compliqué que ça.

Lévis est un des pires exemples de développement. Il faut y aller pour voir… des morceaux de développement, des bâtiments déposés n’importe comment dans de grands terrains de part et d’autre de l’autoroute 20, sans cohérence urbaine. Il n’y a presque pas de transport en commun… et ce n’est pas particulièrement beau. Oui, il y a une certaine vitalité économique. Il y a des autos qui passent et il y a des commerces. Mais on peut se poser des questions sur la qualité de vie qu’offre ce genre de développement.

À court terme, le développement de nouveaux quartiers, ça rapporte, mais à long terme, il faut les entretenir, et plus ils sont étalés, plus ça coûte cher.

Les villes prétendent que les constructions et l’arrivée de nouveaux résident·es font baisser les comptes de taxes des résident·es déjà établi·es. Mais est-ce vraiment le cas? En tout cas, selon mes recherches, ça n’a pas été le cas jusqu’à maintenant à Lévis…

Christian Savard : On aimerait bien faire une étude pour voir si c’est généralement le cas. J’ai déjà demandé au gouvernement de financer une chaire de recherche sur ce sujet.

Collectivement, le mode de développement suburbain est deux fois plus coûteux que le développement urbain.

L’impact du développement sur les municipalités et la fiscalité municipale sont des angles morts très importants. Les villes ne font pas d’analyse fiscale de leur développement, sur ce que ça leur coûte à court, moyen et long terme. Il n’existe rien.

Les villes sont assez catégoriques quand elles affirment que le développement leur permet de ne pas trop augmenter les taxes. Mais est-ce que ça entraîne une baisse de taxes? Bien sûr que non. Les taxes continuent de monter, car le développement met de la pression pour de nouveaux services.

J’ai cherché les chiffres dans les données du ministère des Affaires municipales. À Lévis, en 2021, la charge fiscale par logement – qui correspond en gros au compte de taxes – était de 2 379 $. À Montréal, cette charge était de 2 076 $. C’est vrai que les deux villes ont des profils démographiques très différents. Malgré tout, le compte de taxes est plus bas à Montréal et les services y sont bien plus nombreux et variés…

Christian Savard : Il a été démontré qu’un développement plus compact, plus dense, est moins coûteux et donc plus rentable qu’un développement suburbain, étalé.

La densification est tout à fait possible. C’est sûr qu’on n’a pas besoin de développer de nouveaux milieux naturels et agricoles.

Il faut aussi souligner que le développement suburbain entraîne l’externalisation des coûts… L’élargissement de l’autoroute 20 à Lévis, réclamé par le maire, n’est pas payé par la municipalité, mais par le ministère des Transports, autrement dit par tous les Québécois.

Je reviens donc avec ma question. Si le 3e lien n’apportera même pas de réels bénéfices aux citoyen·nes actuel·les de Lévis, dont la population active va diminuer, à quoi servira-t-il? S’il ne sert à rien, on nage en pleine absurdité…

Christian Savard : Effectivement, ce 3e lien ne sera pas si utile à la population actuelle de Lévis. Et oui, il y a quelque chose d’absurde. On se développe pour se développer. Ça fait plaisir aux maires et aux développeurs. On veut plus d’argent. On veut de la croissance. C’est une façon de mesurer son succès. On est heureux, là, parce qu’on est plus gros! Je pense que ce n’est pas plus compliqué que ça.

Cela dit, il y a effectivement une croissance démographique. La ville de Québec prévoit qu’il y aura 28 000 ménages supplémentaires en 2036. Il lui faudra construire autant d’unités de logement. Est-il possible de le faire à l’intérieur de son périmètre urbain?

Christian Savard : Oui, c’est tout à fait possible. Si on priorise l’ensemble des terrains vagues, les stationnements de surface et une certaine densification progressive des quartiers, il y a moyen d’accueillir 28 000 ménages de plus dans le périmètre d’urbanisation actuel.

On parle ici d’une densification dispersée partout dans la ville, ce qui serait d’ailleurs une bonne chose. Il y a aura notamment de grandes possibilités autour du tramway. Il y a beaucoup d’endroits à Québec pour faire de la densification, de la consolidation urbaine. C’est sûr qu’on n’a pas besoin de développer de nouveaux milieux naturels et agricoles.

Auteur·e

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut