Faire le pont entre le communautaire et les communautés
La campagne électorale arrive à sa fin et encore une fois le financement du milieu communautaire a été mis de côté par les politicien·nes au profit de sujets plus populaires. Quelles perspectives pour les personnes LGBTQIA2S+ au-delà de la relation d’aide?
Il y a deux semaines, les militantes du groupe transféministe montréalais TRAPs ont interrompu les allocutions d’ouverture du congrès de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH). L’exécutif de l’organisme et les agents de sécurité sur place ont d’abord tenté de les évincer, mais se sont ravisé·es devant les protestations de la foule. Let them speak, let them speak. Les militantes ont pu énoncer leurs revendications avant d’être escortées vers la sortie sous les applaudissements.
La perturbation a certainement causé une commotion au sein de l’organisation, puisque – fait rarissime pour cet événement qui attire chaque fois les activistes trans locaux – deux jours plus tard, le collectif des TRAPs était invité à une rencontre communautaire impromptue avec les membres du WPATH. J’y étais à titre de militante du collectif.
De toutes les revendications mises à l’avant par notre groupe, l’axe le plus discuté a sans doute été celui de l’inclusion des soins et des savoirs communautaires dans la recherche scientifique et les protocoles médicaux. À ma surprise, une participante québécoise issue du milieu communautaire institutionnel nous a informées que toute la recherche trans au Canada est basée dans la communauté. Il y a toujours des chercheurs cis pour diriger la recherche, c’est sûr, mais c’est pour avoir de la crédibilité auprès des organismes subventionnaires. Je paraphrase à peine.
Ça m’a fait réaliser à quel point nos définitions de ce qu’est la « communauté » peuvent être éloignées.
Des organismes sous-financés
C’est vrai que la recherche sur les réalités LGBTQIA2S+ est généralement faite en partenariat entre des organismes subventionnaires, des chercheur·euses universitaires et des organismes issus de la communauté. N’empêche, on peut se demander quelles sont les priorités de tels organismes et comment cela influence la recherche.
Pour celleux qui ne l’ont pas remarqué, nous subissons depuis un – six? – mois une campagne électorale provinciale au Québec. Parmi les enjeux soulevés, il y a la sempiternelle question du financement du milieu communautaire. C’est une évidence, tout le monde le sait et le répète depuis des lustres : le milieu est sous-financé et précarisé par les formules de financement par projet. On veut du financement à la mission.
Cette préoccupation revient année après année, et pas seulement pour les organismes LGBT, mais aussi dans le secteur de l’itinérance, en toxicomanie, en prévention des ITSS et ailleurs. Le financement, c’est l’enjeu crucial du milieu communautaire depuis une trentaine d’années. Et dans le but de justifier leur mission, les organismes fournissent des données et participent à des recherches sociodémographiques sur leur clientèle.
Il ne faut pas se leurrer, que ce soit par projet ou à la mission, quand l’État offre du financement, c’est parce que les services offerts répondent à ses priorités.
Les organismes communautaires sont en quelque sorte le point de jonction entre les communautés et la santé publique. Pour convaincre l’État de mettre la main dans sa poche, rien de tel qu’une bonne dose de statistiques pour prouver qu’on est utile à la poursuite des objectifs du Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie et la transphobie, par exemple.
C’est donc dire que les organismes communautaires négocient leurs priorités avec l’État.
Des deux côtés de la relation d’aide
Je ne remets pas en question l’existence ou la pertinence du milieu communautaire, mais il faut être honnête sur ce qu’il est : un pourvoyeur de services. Que ce soit pour accéder à du soutien psychologique, des ressources de crise ou du matériel d’injection, la relation qu’on entretient avec ces institutions, c’est une relation d’aide.
Une relation hiérarchique dans laquelle il faut accepter les règles pour bénéficier des services. Et les règles, elles sont fixées en amont par une direction, des intervenant·es et… des bailleurs de fonds.
On est loin d’une communauté au sens primaire du terme. C’est-à-dire un groupe ou les membres entretiennent des relations multilatérales complexes entre elleux, où les ressources sont partagées et les relations de pouvoir sont changeantes et informelles.
Quand les activistes grassroot demandent une meilleure considération des savoirs communautaires, ça veut dire s’inquiéter des données expérientielles sur l’usage de telle ou telle méthode d’injection. Ça veut dire reconnaître les disparités matérielles et pratiques entre les populations racisées, autochtones et blanches. Ça veut dire reconnaître les écarts significatifs qui existent entre les personnes transmasculines et transféminines dans l’accès à l’emploi, aux études supérieures, la prévalence du travail du sexe et de la violence transmisogyne – la plus grande enquête sur les populations trans au Canada ne recense pas le sexe assigné à la naissance (!).
Ça veut dire considérer des données imparfaites, mais fondamentales pour comprendre les pratiques et les besoins réels des personnes dans ces communautés. Valoriser les savoirs communautaires, c’est donner du pouvoir à des populations marginalisées.
L’an dernier je parlais avec une amie – cis – de recherche universitaire et elle m’informait que la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité de genre de l’UQAM allait bientôt amorcer des programmes pour valoriser les savoirs communautaires. Intéressée, je lui demande si cette initiative est dirigée par des personnes trans.
Elle m’avoue ne pas savoir, mais en même temps insiste que ce n’est pas nécessaire, parce que le but c’est vraiment de valoriser les savoirs des communautés et que des chercheur·euses trans sont trop influencé·es par la théorie de toute manière. Formée comme intervenante en sexologie, elle voit la communauté à l’autre bout de la relation d’aide; les professionnel·les trans sont de son bord, celui du communautaire.