Plus de 1250 organisations communautaires mèneront une série de grèves, de manifestations et d’autres actions à travers la province, tout au long de la semaine. Elles dénoncent des promesses non tenues par le gouvernement Legault, qui les empêchent de remplir pleinement leur mission.
Bon nombre de ces organismes débrayeront au cours de la semaine, fermant leurs portes ou interrompant certaines de leurs activités. Des manifestations sont aussi prévues dans différentes grandes villes, de même que des actions devant les bureaux des élu·es provinciaux·ales.
La vague d’action se transportera d’une région à l’autre au fil des jours.
Lundi 21 février : Outaouais, Abitibi-Témiscamingue, Montérégie, Côte-Nord et Nord-du-Québec.
Mardi 22 février : Montréal, Laval et Laurentides
Mercredi 23 février : Estrie, Centre-du-Québec, Lanaudière et Montérégie
Jeudi 24 février : Capitale-Nationale, Chaudière-Appalaches, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Bas-Saint-Laurent et Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine
Ce lundi, une manifestation est prévue devant les bureaux du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, de même qu’à Hull. Mardi à Montréal, une manifestation doit partir de la place Émilie-Gamelin pour traverser le centre-ville. Enfin, jeudi, pour clore la semaine, un rassemblement est prévu devant l’Assemblée nationale.
Il s’agirait d’une mobilisation sans précédent pour le milieu, selon le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA), qui coordonne la campagne nationale Engagez-vous pour le communautaire.
« Plus de 1000 organismes qui seront en grève ou en action de solidarité, pendant quatre jours consécutifs : c’est historique, on n’a jamais fait ça », souligne Caroline Toupin, coordonnatrice du RQ-ACA et porte-parole de la campagne.
« Pour qu’un organisme décide de fermer, il faut vraiment qu’il y ait des problèmes sérieux. »
Demandes connues, promesses brisées
Ces mobilisations surviennent à la veille du dernier budget provincial avant les élections. Les organismes demandent au gouvernement Legault d’investir 460 millions $ supplémentaires chaque année dans le financement à la mission de l’action communautaire. Ce montant a été déterminé grâce une consultation du milieu dont les résultats sont connus depuis 2016.
Lors de la campagne électorale de 2018, la CAQ s’était engagée à financer adéquatement le communautaire. Un peu plus de 150 millions $ ont été ajoutés depuis 2019, mais près de la moitié de cet argent provenait des engagements des gouvernements précédents. Le montant actuellement demandé correspond au manque encore à gagner.
Par ailleurs, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, avait promis dès 2019 un plan d’action gouvernemental en action communautaire. Il devait être déposé en 2021, mais a finalement été reporté à 2022. Or, le dernier plan du genre est échu depuis quinze ans, rappelle Caroline Toupin. Un plan d’action global doit être déposé au plus vite pour renforcer le soutien au milieu communautaire et assurer la cohérence de l’action entre les ministères, qui laisse à désirer, affirme la coordonnatrice du RQ-ACA.
La campagne en cours vise aussi à ce que la Politique de reconnaissance de l’action communautaire, adoptée en 2001, soit officiellement enchâssée dans la loi. Cette politique vise notamment à garantir l’autonomie des organismes communautaires, mais n’est pas suffisamment appliquée par les décideurs, explique Caroline Toupin.
Au cours des dernières années, le milieu communautaire a eu amplement l’occasion de « travailler en étroite collaboration avec le gouvernement pour construire des solutions durables », indique la porte-parole. « On a travaillé fort avec le gouvernement, les outils sont prêts, mais ils ne sont pas sortis encore, ils n’ont pas été adoptés », dit-elle. « On ne peut pas passer tout droit. »
« Les besoins sont connus, il faut juste marteler l’urgence de la situation. On a tout ce qu’il faut pour marquer l’histoire. »
Sous-financement, fermetures, épuisement
Selon une récente enquête menée par l’Observatoire de l’action communautaire autonome (OACA), les trois quarts des organismes du réseau auraient besoin de fonds supplémentaires pour réaliser leur mission. En l’absence de cet argent, plusieurs organismes refusent des demandes d’aide ou se retrouvent avec de longues listes d’attentes. D’autres doivent couper des services, voire mettre la clé dans la porte.
« On voit des lignes de prévention du suicide qui doivent fermer. Quand un organisme décide de faire ça, c’est crève-cœur », témoigne Caroline Toupin. « Ou quand un organisme ferme, alors que ça fait 20, 30, 40 ans qu’il existe, ce n’est pas non plus de gaieté de cœur. »
« On était déjà sous-financé avant la pandémie, maintenant c’est devenu juste insoutenable », ajoute-t-elle.
« Avec la crise, on a vu une augmentation des besoins de la population, parce qu’il y a beaucoup de vulnérabilité. Et quand les besoins augmentent, évidemment les demandes de soutien dans les organismes communautaires se multiplient. »
L’un des principales difficultés auxquelles font face les organismes communautaires est la difficulté de recruter des employé·es avec des budgets limités. « On a des problèmes de rétention de personnel et on n’est plus capables d’embaucher, parce qu’on a des conditions qui ne sont plus compétitives », explique Caroline Toupin. « Donc on a moins de gens sur le terrain. Et notre personnel réduit, évidemment, à moment donné, il devient fatigué, épuisé, avec des enjeux de santé mentale. On perd des joueur·euses à cause de ça. »
Toujours selon les données de l’OACA, les trois quarts des organismes peinent à retenir leurs employé·es, tandis que 89 % constatent des problèmes d’épuisement au sein de leurs équipes.
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Autonomie menacée
Les groupes communautaires s’inquiètent aussi parce qu’ils doivent de plus en plus compter sur du financement à la pièce, qui vient avec des ententes de services précises fixées par les ministères. En revanche, le financement qui leur permettrait d’assurer librement leur mission globale demeure insuffisant. Cela menace l’autonomie de l’action communautaire, soutient Caroline Toupin.
« Moins on a d’autonomie, moins on est capable de répondre aux besoins des gens, parce qu’on est attaché à des priorités ministérielles, à des objectifs qui viennent d’en haut, qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins de la population sur le terrain. »
Inversement, le financement à la mission permet aux organismes d’être plus flexibles et en phase avec les demandes provenant de la communauté, explique la coordonnatrice du RQ-ACA. Elle rappelle que durant la pandémie, c’est ce qui a permis aux groupes communautaires de s’adapter à une situation de crise nouvelle et changeante. « Ça nous permet une agilité sur le terrain. Ça nous donne une stabilité. Ça nous permet de trouver avec les gens des solutions qui leur correspondent vraiment, puis d’aller faire des revendications auprès du gouvernement. »
Pour Caroline Toupin, il est essentiel que l’action communautaire conserve une distance critique avec les exigences gouvernementales : c’est ce qui lui permet de faire évoluer la société. « On défend précieusement cette autonomie de pouvoir critiquer le gouvernement et de pouvoir faire avancer des lois et des politiques publiques. »
« On offre des services à la population, c’est une partie importante de notre rôle, mais on ne fait pas que ça. On fait aussi des actions pour transformer la société », rappelle-t-elle.
« C’est très précieux pour la démocratie. On prétend être un des plus importants mouvements de participation citoyenne au Québec, le mieux organisé aussi. On est des organismes qui appartiennent aux communautés, et ce sont les communautés qui agissent pour résoudre leurs propres problèmes », affirme Caroline Toupin.