Le vol organisé de l’aviation internationale

La 41e assemblée de l’OACI s’ouvre à Montréal et les États membres ne comptent pas réduire le trafic aérien, malgré ses conséquences climatiques.

L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ouvre son assemblée générale triennale ce mardi 27 septembre en camouflant et en niant sa propre responsabilité dans la catastrophe climatique en cours, accusent deux organisations qui suivent de près les activités de cette agence des Nations Unies basée à Montréal.

« Les incendies monstrueux et les inondations désastreuses des derniers mois le prouvent : la crise climatique est tangible… et la croissance du trafic aérien ne fait que l’aggraver », écrit Mira Kapfinger, coordonnatrice de Stay Grounded (Rester sur Terre), un réseau composé de 233 groupes disséminés sur tous les continents, dans un échange de courriels avec Pivot.

« L’Assemblée de l’OACI ne discutera pas de la nécessaire réduction du trafic aérien et ne tient même pas compte de toutes les émissions [de l’aviation] qui altèrent le climat, comme le révèlent ses documents officiels analysés par Stay Grounded. […] La stratégie climatique de l’OACI est du pur écoblanchiment. »

Transport & Environment (T&E), une organisation basée à Bruxelles qui regroupe une cinquantaine d’ONG militant pour des politiques de transport responsables, dénonce les mécanismes de compensation de carbone mis de l’avant par l’OACI pour faire croire qu’elle cherche à réduire l’impact de l’aviation sur le climat.

« La stratégie climatique de l’OACI est du pur écoblanchiment. »

Mira Kapfinger, coordonnatrice de Stay Grounded

« L’OACI, cette agence des Nations Unies qui a le mandat de réduire les émissions globales de l’aviation, utilise un système d’achat de crédits de carbone qui s’est révélé jusqu’à maintenant complètement inefficace pour réduire l’impact climatique de l’aviation », affirme T&E dans un communiqué émis à la veille de la 41e assemblée.

Une analyse effectuée par T&E montre que sur un vol entre l’Europe et les États-Unis, les passager·ères n’auront en moyenne qu’à payer 2,40 euros (3,16 $) de plus pour compenser leurs émissions de carbone, et cela, pas avant 2030.

L’illusion des crédits carbone

Une analyse de l’ordre du jour de la 41e assemblée montre que l’OACI centre sa stratégie climatique sur l’efficacité technologique et sur son programme CORSIA, ou Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale.

Transport & Environment qualifie le programme CORSIA de fraude, tandis que Stay Grounded parle d’illusion verte.

C’est de la poudre aux yeux, rétorquent les organisations Stay Grounded et Transport & Environment. Oui, les avions consomment de moins en moins de kérosène. Mais cela leur permet de voler plus loin, plus vite et à moindre coût, si bien qu’au final, ils volent plus, transportent plus de passagers et polluent plus.

Ce fameux « paradoxe de Jevons » est bien visible sur nos routes : grâce aux améliorations technologiques, les véhicules consomment moins de carburant par kilomètre, avec le résultat que les fabricants vendent des VUS plutôt que des petites voitures.

Transport & Environment qualifie le programme CORSIA de fraude, tandis que Stay Grounded parle d’illusion verte.

En gros, l’OACI fait croire qu’il est possible de compenser l’impact des vols en achetant des crédits carbone. Les quelques dollars supplémentaires que coûteront éventuellement les billets d’avion serviraient par exemple à planter des arbres, très souvent dans l’hémisphère sud. Mais avant qu’un petit arbre stocke les 3 tonnes d’équivalent carbone émises par un aller-retour Montréal-Paris, il faudra des dizaines d’années… si, entretemps, il ne brûle pas ou n’est pas coupé.

Les programmes de crédit carbone s’avèrent non seulement totalement inefficaces – étant couronnés de succès dans 2 % des cas selon un institut de recherche allemand –, mais ils peuvent se faire au détriment des populations locales des pays du Sud, obligées de compenser les émissions faites par les privilégié·es des pays du Nord.

L’injustice est flagrante. C’est la fraction la plus aisée de l’humanité qui prend l’avion.

Dans certains cas, « les petits propriétaires et les populations autochtones se voient interdire l’utilisation de la forêt selon leurs habitudes ancestrales, cela afin de stocker du carbone dans les arbres en quantités prédéfinies », souligne Stay Grounded.

« En somme, la compensation est injuste et assimilable à une sorte de colonialisme du carbone. Pour permettre à une petite partie de la population mondiale de prendre sans arrêt l’avion tout en gardant bonne conscience au plan écologique, certaines populations doivent en payer le prix : ce sont souvent celles dont les émissions sont déjà très basses, dont la contribution historique au changement climatique est négligeable, et qui de surcroit doivent déjà faire face aux impacts de la crise climatique. »

Urgence d’agir

La 41e session de l’assemblée générale de l’OACI débute alors que le monde n’a jamais été aussi conscient de la gravité de la crise climatique. Ce samedi 24 septembre, l’ouragan Fiona s’est déchaîné dans les provinces atlantiques. Des vents soufflant jusqu’à 177 km/h ont ravagé les côtes, détruisant une vingtaine de maisons à Channel-Port aux Basques, à Terre-Neuve, et causant d’énormes dommages aux Îles de la Madeleine et dans les Maritimes. La force de cette tempête s’explique notamment par le réchauffement des eaux de l’océan.

Au cours de l’été, l’Europe, l’Ouest américain, la Chine, le Pakistan et plusieurs autres régions ont connu une succession de canicules, de sécheresses et d’inondations sans précédent. L’été dernier, la sécheresse a entraîné une forte baisse des rendements agricoles dans les Prairies canadiennes. Les grandes famines, qu’on pensait appartenir au passé, reviennent nous hanter, notamment en Somalie.

Cela avec seulement une augmentation d’un degré Celsius de la température moyenne. Or, on se dirige vers une augmentation de 3,2 oC d’ici la fin du siècle. Pour bien comprendre ce que signifie ce chiffre apparemment petit, comparons-le à une fièvre permanente de 40 oC et plus chez un être humain…

Dans un rapport déposé en septembre, le secrétaire général de l’Organisation mondiale de la météorologie, Petteri Taalas, souligne qu’il faut multiplier par sept les engagements de réduction de gaz à effet de serre d’ici à 2030 si on veut respecter l’Accord de Paris, visant à ne pas dépasser une augmentation de 1,5 oC.

Ce même rapport questionne en termes diplomatiques l’ambivalence du secteur de l’aviation à cet égard, ainsi que les « ambiguïtés » inhérentes aux programmes de crédit carbone.

Reprise dramatique des vols

L’OACI se félicite de la reprise du trafic aérien, qui a chuté pendant la pandémie. Ce trafic double tous les quinze ans. L’Air Transport Action Group (AGAG), un des lobbys qui représente l’industrie aérienne, prévoit une augmentation de 3 % par année au cours des 20 prochaines années.

Cette augmentation va de pair avec une hausse constante des émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’aviation. Dans ses documents internes, l’OACI mentionne seulement les émissions de CO2 – environ 2 % du total – mais elle passe sous silence les autres émissions de GES, telles que les oxydes d’azote, la suie qui noircit les banquises et les traînées de condensation qui emprisonnent la chaleur. Au total, l’aviation est responsable de presque 6 % du réchauffement planétaire.

L’injustice est flagrante. C’est la fraction la plus aisée de l’humanité qui prend l’avion. On évalue que moins de 5 % des êtres humains prennent l’avion chaque année. Entre 80 % et 95 % des humains ne l’auront pas pris une seule fois pendant toute leur vie.

L’augmentation du trafic aérien va de pair avec une hausse constante des émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’aviation.

Un seul aller-retour Montréal-Paris a un impact climatique équivalent à 3,2 tonnes de CO2 – alors qu’un Ougandais n’en émet que 1,1 tonne par an en moyenne. La moyenne d’émissions d’équivalent CO2 est de 4 tonnes par habitant sur la terre. Si on veut empêcher le climat de se réchauffer de plus de 1,5 oC, il faudrait couper les émissions de moitié d’ici à 2030, pour atteindre une moyenne de 2 tonnes par habitant.

L’avion personnel du rappeur canadien Drake, pourvu de salles de bains de luxe, en émet deux fois plus en un vol de 14 minutes entre Toronto et Hamilton.

Montréal, capitale mondiale de l’aviation

En prenant l’avion pour leur plaisir ou pour leurs affaires, les êtres humains les plus aisés aggravent ainsi la catastrophe climatique au détriment des plus pauvres. C’est une vérité crue, que personne ne veut entendre, surtout pas à Montréal, capitale mondiale de l’aviation civile, siège du principal lobby de l’industrie (l’Association du transport aérien international, IATA) et de Bombardier, un des principaux fabricants de jets privés, qui réclame toujours plus de subventions aux gouvernements.

C’est aussi une vérité que ne veut pas reconnaître l’OACI, pourtant une agence des Nations Unies, dont le secrétaire général, Antonio Guterres, multiplie les mises en garde contre le « suicide collectif » que constitue le réchauffement climatique.

POUR EN SAVOIR PLUS

Le journaliste André Noël, collaborateur à Pivot et à Radio-Canada, a commenté l’ordre du jour de la 41e assemblée générale de l’OACI à l’émission Tout peut arriver du samedi 24 septembre.

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