Et si nous voulions que le prix du gaz monte encore?
Au Québec et ailleurs dans le monde, des ménages mangent leurs bas et les compagnies gazières et pétrolières qui contribuent à détruire notre planète se remplissent les poches (en plus de vider les nôtres en recevant en plus du financements public). Si on mettait enfin un terme à ce cirque grotesque?
« Immoral. » C’est le puissant mot utilisé par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour qualifier les profits indécents de 100 milliards $ réalisés par les compagnies pétrolières et gazières durant le premier trimestre de 2022. Comme solution, il enjoint les gouvernements du monde à taxer ces bénéfices malsains, notamment pour aider les communautés vulnérables et appuyer la transition vers des énergies renouvelables.
Plus encore, serions-nous prêt·es, collectivement, à accepter des mesures dissuasives, comme une taxation ambitieuse de la pollution, pour financer un meilleur avenir?
Par exemple, voudrions-nous que le prix de l’essence reste haut, voire qu’il grimpe pour lutter contre les ravages du dérèglement climatique? Cela ressemblerait à ce qu’on a vu dans la lutte contre le tabagisme.
Cigarettes et combustibles fossiles : même combat et mêmes remèdes?
Il existe de nombreux points communs entre les cigarettes et les énergies fossiles. Par exemple, des industries ont travaillé fort pour cultiver la dépendance de la société à ces produits nocifs pour le vivant, tout en semant volontairement le doute sur leurs conséquences désastreuses – tout cela pour de faramineux profits. (Pour en apprendre plus sur ce sujet, je vous recommande notamment le célèbre livre Les Marchands de doute et le documentaire qui en a été tiré.)
Cigarette et énergie fossile : l’une est un cancer pour nos poumons, l’autre pour notre planète. Mais peut-on pousser la comparaison jusqu’à imaginer des remèdes similaires?
En Australie, l’augmentation de 440 % du prix des cigarettes de 1990 à 2015 s’est soldée en une diminution de moitié des fumeur·euses. La France enregistre aussi une diminution marquée des fumeur·euses à mesure que la taxation augmente. Cela signifie moins de cancers, moins de dépenses publiques ainsi qu’une meilleure santé et qualité de vie pour de nombreuses personnes.
Suffirait-il donc d’augmenter le prix des énergies fossiles de manière draconienne pour calmer le dérèglement climatique? Mais, me direz-vous, l’augmentation du prix de l’essence à plus de 2 $ le litre n’a pas débouché sur une baisse importante de sa consommation au Québec, comme le révèle une note du ministère des Finances de mai 2022, mais plutôt sur des instabilités sociales et économiques. L’argument ne tiendrait donc pas?
Il existe une différence majeure entre le tabac et les énergies fossiles : ces dernières sont réellement indispensables, même pour les citoyen·nes avec la meilleure volonté du monde.
Ce verrouillage est ancré jusque dans notre culture grâce au marketing profossile : la voiture, un outil en tôle pour se déplacer, est devenu un symbole identitaire pour certain·es, un peu comme détruire ses poumons en fumant était tristement cool à une époque.
Ce n’est donc pas qu’une question de volonté, c’est un enjeu d’accès à des alternatives.
Choisir notre projet de société
Comme bien d’autres environnementalistes et économistes, je suis d’avis que des mesures dissuasives, comme une taxe importante sur le carbone ou un marché du carbone renforcé, font partie des outils indispensables pour diminuer les émissions de GES, au même titre que l’interdiction des publicités pour des véhicules qui détruisent la planète.
Mais cela implique une responsabilité publique de mettre en place très rapidement les solutions pour accompagner les citoyen·nes.
Agir autrement est immoral alors que la biodiversité s’effondre et que l’urgence climatique gronde. D’ailleurs, la note du ministère des Finances du Québec précise que les consommateur·trices d’essence pourraient s’ajuster à plus long terme, par exemple en se dirigeant vers le transport en commun : mais encore faut-il qu’il soit suffisamment facile et efficace pour se passer d’une voiture!
Les précédentes générations ont déjà réussi un exploit comparable et nous bénéficions aujourd’hui. Le choc énergétique mondial a été adouci au Québec grâce à ce projet de société du début du 20e siècle, visionnaire à l’époque, qu’est l’hydroélectricité. Quelle serait notre vie si notre électricité et notre chauffage dépendaient encore davantage des hydrocarbures plutôt que d’une énergie locale et renouvelable? Il suffit sans doute de jeter un œil du côté des pays européens, où la population souffre d’une effrayante augmentation en série du prix du gaz, et donc du chauffage, à quelques mois de l’hiver.
La hausse subi(t)e du prix de l’essence que nous avons connue dans les derniers mois ne s’inscrivait pas dans un projet pour une société plus saine, plus propre, plus apaisée, plus démocratique, avec une meilleure qualité de vie à la clé pour toutes et tous.
Ce n’est pas un outil de la transition socioécologique : c’est un choc survenu parce que les citoyen·nes du monde meurent d’une pandémie et que des Ukrainien·nes défendent leur démocratie d’une invasion russe – invasion financée par les hydrocarbures, d’ailleurs.
Quelle différence cela peut-il faire que l’essence soit à 2 $ le litre en raison d’une pandémie, d’une guerre ou d’une transition socioécologique, me demanderez-vous. 2 $, ça reste 2 $…
Dans une démarche de transition, vous auriez déjà accès à des transports collectifs efficaces, modernes, abordables, confortables. Autour de vous, il y aurait des trottoirs, des pistes cyclables agréables et sécuritaires pour se déplacer rapidement. Vous auriez accès à une variété de services d’autopartage électrique.
De toute façon, le besoin d’une auto serait moins présent : l’école et la garderie de vos enfants sont près de chez vous, tout comme des magasins et des épiceries variés, un club sportif et artistique, des bars et restaurants, voire même votre emploi. Allons littéralement plus loin : imaginez-vous des déplacements longues distances grâce à un transport ferroviaire électrique?
Ce n’est pas un rêve, c’est simplement un choix de société.