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Deux ans de pandémie : les immigrant·es en première ligne, mais dernier souci des gouvernements

Depuis deux ans, les communautés immigrantes ont été frappées plus durement par la crise sociale et sanitaire, conclut une analyse. Les décideurs n’ont pas suffisamment tenu compte des inégalités et des difficultés particulières vécues par les immigrant·es.

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Au Québec, les personnes immigrantes ont été davantage affectées depuis le début de la crise sanitaire : elles ont été beaucoup plus touchées par le virus, tandis que le confinement et le couvre-feu ont accru l’isolement et la marginalisation dont elles étaient déjà victimes. Et les demandeur·euses d’asile et les autres immigrant·es à statut précaire étaient privé·es d’accès à certains services essentiels, comme les soins de santé ou les prestations d’urgence, alors même que les délais de traitement des dossiers s’allongeaient.

Ces enjeux sont abordés dans une récente analyse intitulée Inégalités sociales : impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé et la qualité de vie des personnes immigrantes au Québec. Ce bilan a été produit par un regroupement d’organismes et d’institutions, dont l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) et la Table de concertation des organismes au service de personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

Les constats sont notamment basés sur un sondage mené en mai 2021 auprès de 700 immigrant·es installées au Québec depuis sept ans ou moins. Ils s’appuient en plus sur les expériences des organismes communautaires et sur un bilan des connaissances déjà existantes.

« La pandémie a été plus difficile pour les personnes immigrantes, et elle l’est toujours aujourd’hui », pose Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ et co-auteur du rapport.

« La population immigrante au Québec vit déjà avec des inégalités : la pandémie a ajouté de nouvelles inégalités, de nouvelles difficultés, en plus d’accroitre certaines qui préexistaient. »

En effet, si la COVID-19 a apporté son lot de problèmes inédits, les immigrant·es ont aussi beaucoup fait face à « des défis et des obstacles systémiques, structurels, qui existaient bien avant et qui ont été exacerbés par la crise », insiste Erika Massoud, de la TCRI, qui a aussi collaboré au rapport.

D’une part, « les personnes immigrantes ont vécu des difficultés spécifiques, uniques », souligne-t-elle. Elle cite en exemple le ralentissement des procédures administratives permettant d’obtenir un statut migratoire stable, ou encore la haine et la violence accrue envers certains groupes racisés, comme les personnes d’origine asiatique.

Les immigrant·es ne forment pas un tout homogène, tient à rappeler Erika Massoud. En particulier, certain·es ont un statut d’immigration précaire (réfugié·es, demandeur·euses d’asile, étudiant·es et travailleur·euses étranger·ères), voire pas du tout de statut d’immigration. D’autres ont un statut plus stable (résidence permanente, citoyenneté).

De même, certain·es appartiennent à une minorité visible et risquent de vivre du racisme et de la xénophobie, tandis que d’autres non.

D’autre part, les immigrant·es ont aussi connu des difficultés qui touchaient tout le monde, comme le virus lui-même, mais qui frappaient plus durement encore leurs communautés, poursuit Erika Massoud.

« Quand on est dans une pandémie, tous les membres de la société sont impactés, peu importe leur statut. Le virus ne discrimine pas. Par contre il y a des conditions qui peuvent empirer l’impact du virus et de la pandémie sur certains groupes plus que d’autres. »

À lire :
« La pandémie des inégalités : comment la (gestion de) crise aggrave les souffrances sociales »
« L’Institut de la statistique le confirme : la pandémie a renforcé les inégalités »

Plus d’infections et de morts

Les communautés immigrantes ont en effet été frappées plus fortement par les infections à la COVID-19 et par la mort due à la maladie. Par exemple, dans Montréal-Nord au printemps 2021, on recensait un taux d’infection quasiment deux fois plus élevé que la moyenne montréalaise (9572 contre 5398 cas par 100 000 habitant·es). Quant au taux de mortalité, au Québec en 2020, il a été plus de trois fois plus élevé dans les quartiers à forte proportion de minorités visibles que dans les quartiers à faible proportion de minorités (123 contre 35 décès par 100 000 habitant·es).

Une multitude de facteurs ont mené à cette dure réalité. D’abord, les personnes immigrantes sont surreprésentées dans les emplois les plus à risque, par exemple dans les services essentiels qui ont été maintenus lors des vagues successives. Les immigrant·es plus précaires ont même été encouragé·es par les gouvernements à aller travailler comme « anges gardiens » dans le système de santé en échange de la régularisation de leur statut migratoire.

Le fait d’habiter à plusieurs dans les logements exigus, comme c’est le cas pour certain·es nouveaux·elles arrivant·es, a aussi contribué à une contagion plus forte.

« On est plus à même d’attraper la COVID si on a le mari qui travaille dans le milieu de la santé et la femme qui travaille dans un milieu de garde, et qu’en plus de ça on vit dans un logis plutôt restreint, qu’on doit partager avec d’autres personnes dans la famille », illustre Thomas Bastien.

Erika Massoud signale aussi que « la barrière de la langue a été importante », compliquant l’accès de certain·es immigrant·es aux informations nécessaires pour bien se protéger.  Elles et ils ont parfois dû attendre jusqu’à deux mois avant d’obtenir des informations claires sur la situation et sur les mesures sanitaires dans une langue comprise, peut-on lire dans le rapport.  Dans la province, « l’information n’a pas visé les communautés culturelles assez rapidement. Elle était diffusée surtout en français et n’était pas traduite », remarque-t·elle.

« Oui, il y a des lois pour protéger le français au Québec, mais quand on parle d’une pandémie, il faut que tout le monde soit informé, peu importe sa maîtrise de la langue. »

Enfin, l’accès aux soins de santé a été limité pour de nombreuses personnes immigrantes. « Certains quartiers ne sont pas bien servis par le système de santé et de services sociaux », remarque Erika Massoud. Elle signale aussi le manque de services qui « prennent en compte les besoins spécifiques et multiples des personnes immigrantes », grâce à des approches culturellement adaptées. « Il reste encore beaucoup, beaucoup de défis de ce côté-là. »

Qui plus est, à cause de l’absence de couverture médicale, plus du quart (27 %) des personnes sondées se sont empêchées de consulter un·e professionnel·le de la santé pour des symptômes liés à la COVID-19. Des dispositions avaient été prises par les autorités pour éviter d’exclure les personnes à statut précaire, mais les directives étaient mal connues ou même mal appliquées, précise Erika Massoud.

« On remarque que cette problématique du statut, elle suit les personnes dans toutes les étapes de leur vie », souligne Thomas Bastien. « Quand elles veulent avoir accès à des soins, mais aussi à l’éducation, au logement, au travail. Le statut, il est à la base de tout. »

Confinement particulièrement difficile

La question du statut a en effet compliqué la vie des personnes immigrantes à plusieurs autres points de vue. Par exemple, quand le couvre-feu a été imposé par le gouvernement Legault, restreignant les libertés de toute la population, il a représenté une difficulté supplémentaire pour les personnes sans statut ou à statut précaire, pointe Erika Massoud : « elles ont une peur réelle, fondée, d’être interpellées par la police ». Plusieurs travaillent pourtant de soir ou de nuit.

Deux lettres ouvertes à lire :
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Par ailleurs, les personnes demandeuses d’asile et sans statut n’ont pas accès aux services de garde subventionnés dans la province : elles connaissent depuis longtemps des difficultés de conciliation travail-famille comme celles qui ont affecté les familles du Québec durant la pandémie. « Beaucoup de parents ont réalisé l’importance des garderies quand ils se sont retrouvés à devoir travailler et faire l’école à la maison. Mais c’est un problème que les demandeurs d’asile vivaient déjà bien avant », souligne Erika Massoud.

Des services de garde d’urgence pour les travailleur·euses essentiel·les ont été mis en place au début de la pandémie, mais brièvement, d’avril à juin 2020, rappelle-t-elle. Les demandeur·euses d’asile étaient supposé·es y avoir droit, exceptionnellement, « mais en réalité, on a vu qu’il y a eu beaucoup de difficultés d’accès », rapporte encore Erika Massoud.

Plus généralement, le confinement a été particulièrement dur, comme le montre le sondage réalisé pour le rapport. Plus d’un parent sur cinq (22 %) n’était pas en mesure de bien comprendre les directives de l’école ou du service de garde. Plus du tiers (35 %) disent n’avoir pas pu utiliser le matériel du ministère de l’Éducation pour encadrer l’école à la maison.

« Les personnes immigrantes vivent de l’isolement, et ça s’est amplifié durant la pandémie », résume Erika Massoud.

Aussi, parmi les télétravailleur·euses, un sur cinq (21 %) considère que son aménagement à la maison n’est pas adéquat pour travailler, que ce soit pour des raisons d’espace, de bruit ou d’accès à internet ou au matériel informatique.

Précarité économique accrue

Les personnes immigrantes ne sont pas toutes pauvres, mais elles sont tout de même nombreuses à avoir subi les défis économiques exacerbés par la pandémie. « La précarité économique n’est pas inhérente aux communautés immigrantes », précise Erika Massoud. « Mais on sait qu’un certain nombre d’immigrant·es occupent des emplois moins payants, il y a des enjeux de reconnaissance des diplômes et des acquis, ou de la discrimination chez les employeurs. »

Cette précarité économique a été accrue par de nombreuses pertes d’emplois chez les immigrant·es (14 % des personnes sondées), dont plusieurs travaillent dans le secteur des services ou de l’hôtellerie, par exemple, expose Erika Massoud. D’autres ont moins d’ancienneté que leurs collègues. Rappelons que la perte d’emploi occasionne un stress supplémentaire pour les personnes immigrantes qui comptent là-dessus pour obtenir leur statut permanent au pays.

De plus, seulement la moitié (47 %) des répondant·es ont eu recours à l’aide gouvernementale après une perte d’emploi. Cela peut s’expliquer par le statut migratoire, par la peur de nuire au processus d’immigration ou encore par un trop petit nombre d’heures travaillées par les nouveaux·elles arrivant·es.

La moitié des immigrant·es sondé·es disaient avoir vécu de l’insécurité financière, craignant de ne pas pouvoir faire face à leurs obligations. Le rapport signale aussi « un recours sans précédent aux banques alimentaires », celui-ci ayant triplé dans certains quartiers multiethniques. Des banques alimentaires ont même connu des pénuries et ont été forcées de suspendre leurs activités au début du premier confinement.

Des problèmes spécifiques : de l’intégration ralentie à la haine raciale

L’un des problèmes propres aux immigrant·es en temps de pandémie a été l’allongement des délais au fédéral pour l’obtention d’un statut stable. « Pendant la crise, la bureaucratie a fonctionné au ralenti et les demandeurs d’asile, par exemple, ont dû attendre plus longtemps pour avoir une date d’audience », explique Erika Massoud. Un tel problème a évidemment accentué toutes les difficultés liées à un statut migratoire précaire, soulève-t-elle.

Les cours de francisation ont aussi été suspendus ou réduits, ce qui pose des difficultés pour l’intégration et la recherche d’emploi. De même, les mesures de distanciation, le confinement et la suspension de multiples activités culturelles et communautaires ont compliqué l’intégration et la participation des immigrant·es récent·es à la société québécoise, peut-on lire dans le rapport.

Par ailleurs, les personnes asiatiques (immigrant·es ou non) ont aussi servi de « boucs émissaires » : les actes de racisme et les crimes haineux à leur égard ont explosé durant la pandémie. Selon les chiffres de la police, à Montréal, ces gestes ont été multipliés par cinq durant la première année de la crise.

« Les épidémies créent la peur, et la peur est un ingrédient clé pour que le racisme et la xénophobie prospèrent. La pandémie de COVID-19 a révélé des fractures sociales et politiques au sein des communautés, avec des réponses racialisées et discriminatoires en réaction à la peur. »

Extrait de « Racism and discrimination in COVID-19 responses », commentaire publié dans la revue The Lancet et cité dans le rapport

Prendre soin des populations marginalisées

Pour bien protéger tout le monde durant la pandémie, les décideurs auraient dû se soucier davantage des difficultés des communautés immigrantes, concluent les organismes derrière le bilan. « Les constats de ce rapport illustrent très bien les angles morts de la prise en compte des besoins spécifiques des personnes immigrantes dans le contexte de la pandémie, et ce tout particulièrement pour les personnes à statut précaire », déclare Stephan Reichhold, directeur général de la TCRI.

« Il y a  toutes sortes de considérations fines qui n’ont pas été prises en compte », critique aussi Thomas Bastien.

Pourtant, « à partir du moment où on prend soin des populations les plus marginalisées, ça a un impact positif sur l’ensemble de la population », insiste-t-il.

Le rapport comprend une série de recommandations pour améliorer les pratiques. Plusieurs ne sont pas nouvelles : soutenir l’emploi, pallier la fracture numérique, assurer des conditions de vie décentes aux plus précaires ou lutter contre le racisme, par exemple.

Il est aussi question d’accélérer la régularisation des statuts d’immigration, notamment en assouplissant les critères d’accès à la résidence permanente. De même, il est suggéré de mieux soutenir les organismes qui ciblent précisément les personnes immigrantes, tout en facilitant l’accès aux services en tous genres et en autorisant un accès véritablement universel aux services de garde et aux soins de santé.

« Quand on parle d’élargir l’accès aux services pour toutes les personnes immigrantes, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement », affirme Thomas Bastien. « Si on investit dans la santé des nouveaux arrivants, on fait des gains exceptionnels pour une intégration réussie », puisque la santé est une condition de tout le reste, insiste-t-il.

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