Couvre-feu : plus jamais

Grâce au travail exceptionnel du journaliste Thomas Gerbet, nous avons maintenant un accès complet à l’avis défavorable sur le couvre-feu de la Direction régionale de la santé publique de Montréal (DRSP-MTL), rédigé le 21 décembre 2021 mais gardé confidentiel. Comme nous l’avions exprimé dans une analyse portant sur les effets du premier couvre-feu et dans une lettre ouverte s’opposant au second, la DRSP-MTL affirme que le « manque de données robustes sur l’efficacité spécifique des couvre-feux » doit être balancée avec ses « multiples effets collatéraux » sur les populations vulnérables. Plutôt que d’imposer un couvre-feu, la DRSP-MTL recommandait, tout comme nous, de favoriser les mesures de mitigation efficaces que sont le traçage, le port adéquat du masque, la ventilation des espaces fermés, les autotests et le télétravail. L’analyse des données de l’INSPQ relatives au premier couvre-feu nous a permis de constater un effet quasi-nul, voir indétectable de cette mesure sur les cas de COVID-19 au Québec. Le gouvernement n’a pas voulu répliquer cette étude, mais en a cité quelques autres, qui ne concluent pas à des liens statistiquement solides entre couvre-feux et baisse des contaminations. 

Clairement, on a ici affaire à une prise de décision top-down, émanant de Legault et/ou de Koskinen, conseiller spécial de ce dernier, où on demande à des institutions publiques et para-étatiques de justifier dans l’urgence une décision prise par l’Exécutif, qui gouverne toujours par décret. Un petit vernis « scientifique » pour faire avaler la pilule. On sait que le premier couvre-feu venait d’eux. Cela vous fait-il peur ? C’est normal, c’est glauque. Dans les courriels rendus publics, l’attachée d’Arruda écrit à Dr. Marie-France Raynault et Dr. Éric Litvak, le 30 décembre 2021, pour leur demander la chose suivante : « Horacio souhaite que vous et vos équipes (!) lui fournissiez un argumentaire en lien avec le couvre-feu en prévision des questions des journalistes en conférence de presse de 17 h ce soir : 1. Quelles sont les études ? 2. Qu’est-ce qui se fait ailleurs ? Le tout présenté [sic] dans un argumentaire serré ». Or, impossible pour l’INSPQ et la DGSP de livrer la marchandise.

Cette instrumentalisation de la Santé publique à des fins strictement politiques – le couvre-feu servait d’abord à envoyer un « message » à la population – témoigne de l’ouverture de sombres possibilités pour notre société, qu’il faudrait s’attarder à refermer au plus vite, faute de se retrouver aux prises d’autres autocrates comme Legault, qui seront séduits par l’efficacité inhérente d’une telle violence sociale.

Violence, ose-je le dire, ce mot honni ? Si Geneviève Guilbault rêve probablement de loi martiale dans sa banlieue de Québec, elle devrait se trouver un bon jeu vidéo auquel jouer pour se désennuyer. Ou publier aux Éditions du Dauphin Blanc une fiction politique dans laquelle elle jouerait la « Cheffe de la police secrète ». Les idées ne manquent pas. Dans le cas québécois dont on discute présentement, le couvre-feu constitue un acte de violence d’État dirigé contre la société civile, pour permettre au gouvernement de donner l’impression qu’il agit « fortement » dans une soi-disant « guerre » contre le virus.  Malgré la brume épaisse de confort et d’indifférence qui aveugle la province, nous savons bien, dans nos corps et nos mémoires, que l’État québécois et la Ville de Montréal n’ont pas hésité, en 2012, à frapper, blesser, agresser, tabasser, emprisonner, faire éclater des yeux.

Les effets de la violence inhérente au couvre-feu sont peut-être moins visibles directement, ce qui joue clairement en sa faveur dans l’opinion publique. Mais le contrôle et la pression qu’il exerce sur les corps, sur les liens sociaux, sur la jouissance de la liberté, sur la compression spatiale de la violence conjugale, sur la capacité de respirer de l’air frais, sur les possibilités d’accès à des soins et, plus largement, au care, méritent d’être dénoncés. Comment déployer la solidarité et l’aide mutuelle, en temps de crise, si les rues sont patrouillées par des hommes et des femmes armé.e.s de fusils et d’amendes salées, cet outil de violence économique insidieux ? Telle un phare dans la nuit obscurantiste, la Ligue des droits et libertés a bien rappelé qu’il s’agissait d’une attaque envers les libertés civiles. Qui d’autre s’en indigne ? Après deux ans, on peut clairement affirmer que cette « guerre » contre le virus ne se mène efficacement qu’à coup de masques, d’appels – « tu tiens le coup » ? – de ressources échangées, de marches extérieures, d’appuis communautaires, de résilience sociale, de bienveillance, d’un système de santé efficace. Qui n’a pas versé une larme devant la beauté logistique organisée par les personnes administrant les vaccins ? La séquestration forcée de la population ne peut produire que des conséquences funestes, comme l’augmentation des féminicides nous l’a démontré.

Le couvre-feu, survivance médiévale, permet de ligoter les relations sociales pendant la nuit, pour « le bien de la population ». Une population qu’on infantilise, à qui on ne donne pas les soins nécessaires ni l’information adéquate pour se protéger, une population sur laquelle on externalise tous les coûts socio-économiques de la pandémie, une population à qui l’on ment allègrement. Rappelons-nous que 93 % des éclosions, avant Noël 2021-2022, avaient lieu dans les milieux institutionnels (scolaire, travail, santé).  Seulement en 2021, le gouvernement québécois a empoché 30 millions de dollars grâce au couvre-feu. Mais surtout, pas question d’investir pour ouvrir les tests PCR à la population générale ou de doter toutes les classes du Québec de filtres HEPA. Franchement, voyons. Cette extorsion organisée et armée – la fonction première de l’État – aura donc permis à beaucoup de policiers de se payer des heures supplémentaires et de bons beignes, tout en se contaminant dans l’auto-patrouille ou au poste.

Peut-être que plusieurs parmi vous auront d’abord donné le bénéfice du doute au gouvernement. Maintenant, il faut renverser la vapeur, autant dans la jurisprudence, dans l’opinion publique que dans nos mémoires historiques, pour que cette option ne soit plus jamais sur la table quand la prochaine crise surviendra. L’assignation forcée à résidence doit être refusée sur toute la ligne pour que puisse se déployer la solidarité.

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