« La leçon de la pandémie, c’est que la vraie prospérité, c’est le bien-être, pas l’argent »

« Il a fallu arrêter la croissance économique pour protéger notre santé. » Entrevue avec l’économiste écologiste Tim Jackson sur les leçons de la pandémie.

La semaine dernière, plusieurs expert.es se sont rassemblé.es pour discuter du rôle de l’intervention gouvernementale dans la pandémie dans le cadre du colloque Après la pandémie : austérité, relance ou transition ? Parmi eux, l’économiste écologiste Tim Jackson. Il dirige le Center for the Understanding of Sustainable Prosperity (CUSP) à l’Université de Surrey. Il est aussi l’auteur de Prospérité sans croissance. Livre dans lequel il remet en question le modèle de la croissance économique et donne des pistes pour une redéfinition de la notion de prospérité. Nous avons discuté avec lui de l’avenir post-pandémie qu’il envisage pour le Canada.

Quelles failles de nos sociétés la pandémie nous a-t-elle montrées ?

La pandémie a démontré que le système de santé n’est pas valorisé. Le travail de soins des travailleurs de première ligne est dévalorisé. Ces gens nous permettent de bien vivre. Ça fait des décennies que ces travailleurs ont de bas salaires et des emplois précaires. Ce sont eux les plus touchés par la pandémie. Cette situation m’amène à contester le système capitaliste et la manière dont ce système traite les gens. Si un système maltraite ceux qui sont les plus essentiels au bon roulement de l’économie, le système est problématique. 

Vous mentionnez que les travailleurs de première ligne ont été glorifiés en tant que héros durant cette pandémie, mais que cette désignation faite par les gens au pouvoir ne concorde pas avec leurs mauvaises conditions de travail. Pouvez-vous commenter ce paradoxe ?

Il y a un an à peine, on applaudissait ces gens, mais la mémoire collective est courte.

Au Royaume-Uni, juste quelques mois après ces applaudissements, les infirmières se sont fait offrir une augmentation de salaire qui est sous le taux d’inflation.

On doit vraiment se demander pourquoi ce genre de chose se produit dans ce système économique, et creuser plus profondément. Et lorsqu’on creuse, on s’aperçoit que le profit et la productivité sont tellement prisés par le capitalisme que ça crée un conflit direct avec le bien-être des gens. Prendre soin des gens, ça prend du temps, et ce n’est pas valorisé par le capitalisme. Ce système incite les gens à maximiser leur productivité pour maximiser les profits des entreprises. On doit créer un modèle qui protège le système de santé et le travail de soins. 

Le budget fédéral 2022 va bientôt être déposé au Parlement. Ou pensez-vous que le gouvernement doit investir son argent pour bien servir les Canadien.nes ?

La première chose que je remarque, c’est que le gouvernement ne croit pas que les dépenses en santé soient un investissement. On croit plutôt que c’est un coût. Mais si on prend le temps d’y penser, sans les soins de santé — tels que ceux que les familles donnent chez eux ou ceux pour les aînés — l’économie n’existerait pas.

Les investissements en santé vont produire des profits à très long terme. Mais cette perspective est vraiment différente du statu quo politique, qui actuellement les considère comme un déficit dans le budget.

On pourrait avoir un budget très différent cette année si le gouvernement reconnaît que les soins de santé sont une priorité et qu’investir dans ce secteur est bénéfique pour l’économie de l’avenir. 

Pourquoi croyez-vous que c’est si difficile pour un.e politicien.ne de voir les soins de santé comme un investissement plutôt qu’une dépense ?

Le travail de soins a été dévalorisé depuis très longtemps. Ce n’est pas une coïncidence que ce genre de travail soit souvent fait par les femmes. Beaucoup d’économistes féministes pensent que la dévalorisation du travail de soins vient d’une dévalorisation plus large du travail des femmes — un travail qui consiste à s’occuper des gens vulnérables qui ne sont pas prisés dans notre société capitaliste.

Les politicien.nes ont des mandats limités par le temps. Il n’est pas politiquement avantageux pour le gouvernement au pouvoir de faire des investissements à long terme. Croyez-vous que c’est politiquement viable pour le gouvernement actuel de faire une transition écologique juste ? 

Je crois qu’en ce moment, c’est plus politiquement viable qu’autrefois, parce qu’on reconnaît la valeur du travail de soins et l’importance d’une transition écologique. La pandémie nous a clairement montré que le secteur de la santé est un enjeu important pour les électeurs. Les gens commencent à comprendre qu’il faut investir en santé à long terme. Ils vont voter pour cette option si elle est présentée de la bonne manière. 

La pandémie nous a permis de voir que la vraie prospérité n’est pas la même chose que la croissance économique. Il a fallu arrêter la croissance économique pour protéger notre santé.

La leçon de la pandémie, c’est que la vraie prospérité, c’est le bien-être, pas l’argent. 

Comment peut-on convaincre les électeur.ices que le bien-être, c’est la vraie richesse ?

La première chose à faire, c’est de reconnaître que différentes personnes dans la société vont avoir des besoins très différents. Il faut les laisser exprimer leurs besoins particuliers. C’est un processus qui requiert d’écouter attentivement une diversité de personnes. Il faut trouver un moyen de décentraliser le pouvoir de décision pour tenir compte de ces différences, car un pouvoir central va imposer des politiques qui reflètent les intérêts des élites et reproduire des inégalités systémiques. Le gouvernement a la responsabilité d’écouter ses électeurs et de réellement prendre soin d’eux. Il doit aussi investir dans des institutions locales qui vont répondre à leurs besoins. C’est un plan ambitieux, mais que je crois apprécié des électeurs, car ça leur donne le pouvoir de déterminer ce que le bien-être signifie pour chacun d’entre eux. 

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