Un programme pour prévenir la violence armée mise sur la surveillance des jeunes

« Si les jeunes se sentent traqués partout où ils vont, ils n’iront plus vers les organismes, ils n’iront plus à l’école. »

Un nouveau projet de lutte contre la violence armée promet de prévenir la violence chez les jeunes de Rivière-des-Prairies et de Montréal-Nord, mais mise en partie sur une surveillance accrue. Si l’accompagnement des jeunes par les organismes communautaires est un pas vers l’avant, la surveillance policière pourrait cependant renforcer l’exclusion de ceux et celles qui sont déjà marginalisé·es.

Le ministère québécois de la Sécurité publique a annoncé lundi un nouveau projet ciblant les jeunes « à risque de commettre un geste de violence » dans les arrondissements de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles et de Montréal-Nord.

Dans un communiqué, le ministère de la Sécurité publique indique que le projet Prévenir et intervenir sur les violences observées sur le territoire (PIVOT) vise à la fois la prévention par des organismes communautaires ainsi que la répression par la police.

L’Institut universitaire Jeunes en difficulté du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal ainsi que deux organismes communautaires se partageront une somme de 1,86 million $ provenant des coffres du ministère de la Sécurité publique (1,35 million $) et de la Ville de Montréal (513 000 $) sur une période de trois ans.

« Ce financement nous permettra d’avoir plus de ressources sur le terrain », explique Ousseynou Ndiaye, directeur général d’Un itinéraire pour tous (UIPT), l’un des organismes impliqués qui sera chargé du volet prévention.

Ce soutien permettra entre autres à UIPT de former des équipes d’accompagnement qui pourront suivre les jeunes individuellement. « C’est ce qui manquait », indique-t-il en saluant un investissement attendu dans le réseau communautaire, qui peine à pérenniser ses activités.

« Ce financement nous permettra d’avoir plus de ressources sur le terrain. »

Ousseynou Ndiaye, Un itinéraire pour tous

L’autre organisme financé est Équipe RDP, qui travaille depuis plus de 30 ans auprès des jeunes à Rivière-des-Prairies, notamment ceux et celles qui vivent des difficultés.

Répression préventive

Le projet fait partie de la Stratégie québécoise de lutte contre la violence armée (CENTAURE) qui cumule un budget de plus de 90 millions $, et qui vise majoritairement des opérations policières. D’ici 2027, 246,7 millions $ y auront été consacrés selon les prévisions actuelles, dont près de 139 millions $ viseront la répression.

Dans son communiqué, le ministère de la Sécurité publique indique que la répression de la violence armée sera également une partie importante du nouveau projet, sans toutefois préciser comment celle-ci sera déployée.

Or, c’est ce dernier volet qui inquiète particulièrement Izara Gilbert, doctorante à l’École du travail social de l’UQAM, qui étudie de près les effets de la criminalisation des jeunes dans le quartier Rivière-des-Prairies.

« CENTAURE, c’est un trauma dans la communauté », explique-t-elle en relatant comment la répression autorisée dans le cadre de ces opérations a eu pour effet d’attiser la méfiance des jeunes racisé·es qui habitent dans les quartiers ciblés par le projet.

Pressé par Pivot de préciser l’implication des policiers dans son projet, le ministère de la Sécurité publique a indiqué que les forces de l’ordre auront pour mandat de « surveiller » et « d’avertir » les jeunes soupçonné·es de mener ou de préparer un acte criminel.

« Même s’il n’a pas encore commis d’acte, si on a un jeune qui porte une arme [illégalement], des agents pourraient faire toc toc toc, aller le voir et faire une intervention ciblée », explique Geneviève Tremblay, conseillère politique principale au cabinet du ministre de la Sécurité publique. Ces agents pourraient alors dire aux jeunes « je sais que tu vas commettre un crime, sache que je te surveille, et je t’assure que si tu vas de l’avant il y aura des conséquences », illustre Mme Tremblay.

« Des agents pourraient faire toc toc toc. »

Geneviève Tremblay, ministère de la Sécurité publique

« C’est très inquiétant », réagit tout de suite Izara Gilbert, qui craint que ce nouveau mandat justifie une surveillance accrue des jeunes sur la base de soupçons non-fondés. Pour elle, une telle mesure n’est qu’un outil de plus dont se dotent les autorités pour judiciariser les jeunes racisé·es des quartiers du nord de l’Île.

« Tout nous indique qu’on est encore dans la répression et le ciblage de jeunes racisés. »

« C’est de la surveillance, c’est de la répression, il n’y a rien là-dedans qui est de la prévention », explique-t-elle. « Si les jeunes se sentent traqués partout où ils vont, ils n’iront plus vers les organismes, ils n’iront plus à l’école. »

En faisant ça, « on renforce la stigmatisation et l’exclusion des jeunes de Rivière-des-Prairies et Montréal-Nord ».

Si le gouvernement provincial souhaite réellement miser sur la prévention, il ferait mieux d’investir dans les services publics de ces quartiers, en commençant par l’école et ses programmes réguliers, pense-t-elle.

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